Et l’on n’aborde ici que le cas particulier des États-Unis. Mais on pourrait compléter le tableau en pointant les quatre points cardinaux, orthodoxie orientale, judaïsme, islam, hindouisme, bouddhisme. Bref, l’univers des croyances se métamorphose et mute: il se radicalise. Pour le baby-boomer que je suis, biberonné aux thèses sur la sécularisation des sociétés occidentales et la perte irrépressible du sentiment religieux en l’espèce chrétien, le réveil, en cette année 2025, est, disons… sportif.
C’est pourquoi, afin de comprendre ce qui se passe désormais, est-il urgent de décrypter ce que ces nouvelles tendances bouleversent, de manière à faire sens des séismes que nous vivons. Un pavé de 350 pages, fruit du travail de 17 historiens et politologues spécialisés dans les phénomènes religieux nous y aide: Radicalités religieuses. Au cœur d’une mutation mondiale (Albin Michel, sous la direction d’Alain Dieckhoff).
Prenez ainsi le chapitre consacré aux radicalités catholiques: il nous explique combien l’intégrisme intransigeant que l’on a connu immédiatement après et en réaction à Vatican II a cédé la place à une radicalité doué d’une toute autre dynamique.
«La mouvance radicale a redéfini ses combats catholiques en combats chrétiens, ses combats religieux en combats civilisationnels»
Son auteur, Denis Pelletier, constate que, dans le contexte de globalisation mondiale, le catholicisme est devenu ce qu’il appelle une minorité globale: «il est (presque) partout présent dans le monde, mais aussi (presque) partout minoritaire, en Afrique et en Asie en raison de la présence bien plus massive d’autres religions, en Europe et en Amérique du fait de la sécularisation.» À quoi s’ajoute que les courants radicaux sont eux-mêmes minoritaires dans l’Église et qu’à ce jour, ils ont perdu les combats sociétaux qu’ils ont entrepris dans les démocraties libérales (ainsi contre le mariage pour tous, par exemple).
Pareille situation a rendu cette mouvance radicale plus agile, plus interconnectée, plus active. Elle lui a appris surtout, «à ne pas être la seule à avoir raison, au contraire du courant intégriste dont elle est en partie l’héritière. Elle a redéfini ses combats catholiques en combats chrétiens, ses combats religieux en combats civilisationnels.»
Ce qui lui permet, du coup, de faire masse avec toutes les radicalités non catholiques qui partagent le même langage, les mêmes objectifs, la même nostalgie. Et ce qui lui permet également, intéressant paradoxe, d’agréger, au fond sans être gênée, ce qu’un autre des chercheurs de l’ouvrage, Olivier Roy, appelle «l’identitarisme chrétien irréligieux». En d’autres termes ce christianisme civilisationnel pour qui compte l’identité sociologique, plus que la foi réellement vécue; qui fait, d’une certaine manière, abstraction de la croyance, mais aussi des valeurs du christianisme: amour, charité, hospitalité. Pareille hybridation s’avère détonante dans un paysage religieux que l’on s’était accoutumé à qualifier de «religieux à bas bruit».
Elle rend d’autant plus intéressante la position de Léon XIV: sa capacité à être à la fois à l’écoute de certaines revendications de cette radicalité, qui ne semble être pour lui que des adiaphora (comme la messe tridentine), tout en maintenant fermement le cap des valeurs fondamentales du catholicisme, comme la valorisation des pauvres et des marginaux.
Michel Danthe
10 décembre 2025
Portail catholique suisse
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