Joseph Haydn, le souffle incarné et joyeux du Créateur

«Je me mets à genoux chaque jour et je demande à Dieu de m’inspirer», confiait Joseph Haydn (1732-1809). Le compositeur autrichien, qui a été une pierre d’angle de la musique classique, a insufflé dans son œuvre toute l’intensité de sa foi.

Entre fin 1786 et début 1787, Franz Joseph Haydn est possédé. Non par une entité diabolique, mais par la composition des Sept dernières paroles du Christ, l’une de ses œuvres majeures. Chaque nuit, en songe, il en réécrit une nouvelle version, relève Le Livre des Merveilles. Au petit matin, épuisé dans son appartement de Londres, il prend la plume et tente vainement de coucher sur le papier ce qu’il a imaginé en rêve.

Lorsqu’il rentre définitivement à Vienne en 1795, il a acquis sa maturité orchestrale. Ses grandes symphonies londoniennes rivalisent avec celles de Mozart et annoncent la révolution beethovénienne. Car Joseph Haydn a eu une influence directe sur les deux musiciens classiques que même le dernier cancre de la classe connaît.

Le maître de Beethoven

Une admiration et une émulation réciproques existaient entre Joseph et Wolfgang Amadeus (1756-1791). On dit que Haydn a donné au compositeur de La Flûte enchantée les formes (sonate, quatuor, symphonie), la logique structurelle, ainsi qu’une façon nouvelle de faire dialoguer les instruments. Mozart a apporté à son aîné une profondeur expressive, un raffinement harmonique, ainsi qu’une densité émotionnelle qui a influencé ses œuvres tardives.

« Haydn a composé plus de 100 symphonies, qui ont constitué un véritable laboratoire d’innovations »

Ludwig van Beethoven (1770-1827) s’est, lui, fait tirer quelques fois les oreilles par Haydn. Le professeur de musique considérait l’Allemand comme un élève brillant mais indiscipliné. Pas rancunier, il le recommandera tout de même et jouera un grand rôle dans sa renommée. Beethoven retint notamment de son maître l’art des surprises et des tensions, ainsi qu’une pensée musicale fondée sur le développement.

Le père du quatuor

Bref, la musique classique, et peut-être la musique en général, ne serait pas ce qu’elle est sans Joseph Haydn. L’Autrichien a joué un rôle déterminant dans la naissance et l’évolution de la symphonie classique. Il en a façonné la forme en quatre mouvements, le sens du développement thématique et l’équilibre entre les sections. Il a composé plus de 100 symphonies, qui ont constitué un véritable laboratoire d’innovations (nouvelles orchestrations, surprises, humour musical).

Il est également considéré comme le père du quatuor à cordes moderne, dans lequel il est parvenu à établir un dialogue équilibré entre le violon, l’alto et le violoncelle. Ses 68 quatuors ont formé le socle du genre et profondément influencé les grands noms du classique qui l’ont utilisé après lui.

Des dons venant d’en haut

Parmi ses plus belles œuvres on trouve des pièces religieuses telles que La Création, La Missa in tempore belli, ou encore Les Sept paroles du Christ. Dans une société qui tournait entièrement autour du christianisme, composer des œuvres pieuses était un passage obligé. Haydn a été au service des Esterházy, l’une des plus grandes familles nobles hongroises de l’Empire des Habsbourg. Il a écrit pour ces mécènes de nombreuses messes sous mandat.

Il l’a néanmoins fait avec une profonde sincérité, car il était un catholique convaincu et constant. H. C. Robbins Landon, dans sa biographie du compositeur (Haydn: His Life and Music,1998), note bien que sa foi n’est pas un simple arrière-plan culturel: elle est l’un des moteurs de sa vie et de sa créativité. «Haydn avait cette conviction que ses dons venaient d’en haut et qu’il avait, à travers sa musique, une mission à accomplir.»

« Une grande partie de son œuvre consiste à rendre hommage à Dieu »

Il cherche à transmettre toute la profondeur et la grandeur du mystère divin. «La musique [de Haydn] demeure entièrement tournée vers une méditation intérieure que viennent encore souligner les longs temps de silence (…)», relève Le Livre des Merveilles.

Une foi authentique et personnelle

Mais le compositeur n’était pas un théologien «stratosphérique» ni un bigot. Il était empreint d’une certaine simplicité spirituelle, assure H. C. Robbins Landon. Il avait acquis sa formation musicale dans le chœur de la cathédrale Saint-Étienne de Vienne. Cette expérience l’avait amenée vers la pratique religieuse plutôt que vers une réflexion doctrinale.

Sa foi était authentique et personnelle. Elle s’exprimait dans la gratitude et la confiance, davantage que dans la stricte observance. Le fait de penser que son talent ne venait pas de lui-même mais d’une grâce divine l’amenait vers l’humilité. Une grande partie de son œuvre consiste donc à rendre hommage à Dieu. Il inscrivait parfois en tête ou à la fin de ses partitions des formules telles que «In nomine Domini» (Au nom du Seigneur), ou «Laus Deo» (Louange à Dieu).

« Dans sa fin de vie douloureuse, il se plaît à réentendre La Création, l’œuvre qui l’a rapproché du divin »

Mais Haydn n’est pas animé, au contraire d’un Beethoven, d’un sentiment de culpabilité ou de tragique. Sa foi est sereine. Ses grandes œuvres religieuses témoignent d’une spiritualité lumineuse, joyeuse, confiante. Il revitalise notamment le genre musical de la messe en y introduisant des couleurs orchestrales nouvelles.

Indécrottable joyeux

Une nouveauté qui a pu faire grincer des dents chez ceux qui font rimer solennité avec austérité. Au XIXᵉ siècle, certains représentants de l’Église catholique, influencés par le mouvement cécilianiste (favorable à la sobriété et au retour au chant choral), ont sévèrement jugé Haydn, le trouvant trop «mondain», trop proche du théâtre et trop «optimiste» pour exprimer la Passion ou le sacré.

Après 1803, Haydn est pratiquement incapable de créer de grandes œuvres, tant sa santé s’est péjorée. Il est atteint d’une faiblesse générale, d’un épuisement chronique, de vertiges et de troubles circulatoires.

Cet indécrottable joyeux continue pourtant à louer Dieu et sa bonté. Dans cette fin de vie douloureuse, il se plaît à réentendre La Création, l’œuvre qui l’a rapproché du divin. Il proclame avant de mourir: «Je dois l’œuvre au ciel, et là je retourne.» (cath.ch/livredesmerveilles/arch/rz)

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/joseph-haydn-le-souffle-incarne-et-joyeux-du-createur/