Christine Mo Costabella – Adaptation: Carole Pirker
Christophe André (voir encadré) est l’un des grands promoteurs de la psychologie positive dans le monde francophone, connu aussi pour avoir popularisé la méditation laïque comme outil au service de la santé psychique.
Il y a une dizaine d’années, il a dû faire face à un cancer du poumon. En rémission, il est depuis persuadé que cette maladie devrait être prise en charge par une médecine dite intégrative, qui prend en compte toutes les dimensions de l’être humain. Une approche et une conviction qu’il partage dans cet ouvrage avec ses coautrices, les oncologues Cloé Brami et Violaine Forissier.
Comme pour la plupart des patients, est-ce que l’annonce du cancer a été pour vous aussi le pire moment de la maladie?
Christophe André: peut-être pas le pire, mais le plus remuant et celui dont je garde le souvenir le plus précis. On s’aperçoit alors qu’on ne se rendait pas compte à quel point c’est super de pouvoir espérer vivre encore quelques années ou quelques décennies. Tout cela nous est retiré d’un coup et la perspective de souffrir et de mourir devient réalité. Et ça, évidemment, c’est un sacré voyage émotionnel.
Savoir qu’un ami a le cancer peut faire peur. Cela nous renvoie à notre propre finitude et peut provoquer un certain rejet chez les autres…
Ce sont les aspects paradoxaux du cancer, pour le patient comme pour son entourage. Certains se sentent honteux ou culpabilisés d’avoir le cancer. Donc on ne prononce pas le mot cancer. On dit «longue maladie» ou «maladie douloureuse». Mais parfois les proches ont des réactions paradoxales. Ils veulent des nouvelles tout le temps et se montrent presque envahissants, alors que d’autres ont très peur et disparaissent. Le plus douloureux est le cas de figure où les conjoints partent. Et ce sont hélas plus souvent les hommes que les femmes qui le font. Certains attendent parfois la guérison pour revenir, d’autres partent en cours de traitement, ce qui est terrible pour la personne.
« Certains se sentent honteux ou culpabilisés d’avoir le cancer. Donc on ne prononce pas le mot cancer. On dit ‘longue maladie’ ou ‘maladie douloureuse’»
Le cancer est, dites-vous, un bouleversement existentiel. Être psychiatre vous a-t-il aidé à le traverser?
Oui, même si parfois cela complique un peu les choses, car on ne peut pas vous raconter de bobards. Vous savez exactement à quoi correspond votre maladie, et quelles sont vos chances d’en guérir. En revanche, les outils psychothérapeutiques que je propose à mes patients m’ont aidé. La méditation, la régulation des émotions douloureuses, parvenir à freiner mes pensées catastrophiques, le besoin d’une dose régulière d’activité physique, de nature, de rire et de sourire… ce sont tous des outils psychologiques que je me suis appliqué.
Vous avez parfois médité jusqu’à trois heures par jour. Qu’est-ce que cela vous a apporté?
Ce que je faisais auparavant par hygiène de vie, je le faisais désormais pour ma survie. La méditation vous apporte de l’apaisement. Elle vous installe dans l’instant présent, en vous reliant à votre souffle. On n’a aucune attente, on se contente de ressentir, d’écouter, de respirer. C’est profondément apaisant, aussi, de n’avoir aucun objectif à atteindre et de se contenter d’être juste là. Cela paraît tout bête, mais ce n’est pas si simple à faire. Nous sommes tellement habitués à penser, à agir, à nous distraire que notre cerveau a désappris la contemplation, la non-action. Or la méditation est très puissante.
« Nous sommes tellement habitués à penser, à agir, à nous distraire que notre cerveau a désappris la contemplation, la non-action. »
Vous citez le philosophe Alain: «Voir, entendre, flairer, goûter, toucher… Ce n’est qu’une suite de bonheurs. Même les peines, même les douleurs, même la fatigue, tout cela a une saveur de vie. Exister est bon.» Recommandez-vous cette attitude face à l’existence?
Oui, elle m’a beaucoup aidé à descendre mon niveau d’exigence par rapport à ce que devait m’apporter la vie. Quand on a traversé un cancer, rester simplement vivant est incroyable! Nous devrions nous en réjouir davantage et y puiser de l’énergie pour continuer d’avancer. C’est le principe de ce qu’on appelle la psychologie positive. La vie est dure, on vient au monde, on souffre et on meurt. Or c’est parce que la vie est dure que le bonheur et les bons moments sont importants. Et donner du sens à ce que nous traversons nous donne la force d’affronter l’adversité. Quand vous êtes hospitalisé, en convalescence chirurgicale ou en séance de radiothérapie, de chimiothérapie ou d’immunothérapie, il y a souvent des salles journées. Mais il y a toujours dans ces journées des coins de ciel bleu: des sourires de soignants, des bonnes nouvelles de votre famille, et des choses intéressantes à regarder ou à lire. Arriver à s’en nourrir nous rend capables de traverser ces adversités.
« La gratitude est une émotion très puissante. »
Vous auriez un souvenir lors d’une de ces «sales journées», où cet état d’esprit vous a aidé?
Oui, pour m’enlever mon cancer, j’ai subi une opération chirurgicale où on m’a retiré un lobe pulmonaire. Vous vous réveillez, vous êtes sous morphine, vous avez des tuyaux partout, vous ne pouvez pas bouger et vous avez assez peur. Quand mon chirurgien est venu me voir, je me souviens avoir ressenti une gratitude énorme par rapport aux soignants. Il était accompagné d’une dizaine d’étudiants chirurgiens qui venaient apprendre auprès de lui. Voir toutes ces compétences au pied de mon lit m’a fait fondre. Je me suis mis à pleurer de joie. La gratitude est une émotion très puissante.
Christophe André, pourquoi plaidez-vous pour une réintégration de la dimension spirituelle dans le parcours de soins?
Parce qu’il y a des moments dans la vie humaine où l’on côtoie le mystère. Que ce soit en assistant à la naissance d’un enfant, en accompagnant des gens dans la mort ou la maladie grave. En tant que patient ou soignant, on peut soit rester avec une optique purement matérialiste et technique, soit se laisser bousculer par cet aspect insondable, mystérieux et spirituel. Cela dit, quand j’étais en activité, jamais je ne parlais de foi et de spiritualité à mes patients. J’attendais qu’ils m’en parlent.
Lorsqu’on est confronté à la possibilité de la mort, se demande-t-on davantage si Dieu existe ? Et si oui, pourquoi il a permis ça?
Oui. Dans la traversée de ma maladie, cette dimension est devenue plus présente. Je pourrais être mort et je suis vivant. C’est formidable de vivre cela et je peux en remercier mon créateur. Quand la mort approche, on a besoin de Dieu. Mais quand on prie, la tentation est plus grande de le faire pour appeler Dieu au secours que pour le remercier, alors qu’on devrait le remercier régulièrement de ce qu’il nous offre, y compris les épreuves, lorsqu’elles nous nous ouvrent les yeux sur nos propres aveuglements.
Comment avez-vous vécu la veille de votre opération?
Je suis allé dans la chapelle de l’hôpital et j’ai prié très fort. J’ai remercié Dieu de m’avoir permis d’arriver jusque-là et d’avoir connu ces moments de bonheur. Et puis j’ai tenté ma chance en lui disant que j’étais preneur, s’il était d’accord pour qu’il y ait un peu de rab. Tout comme la gratitude et les émotions positives, la prière a une dimension thérapeutique incroyable.
Retrouvez l’entretien complet, en podcast sur rts.ch/religion/babel,
ou via l’App Play RTS, sur smartphone.
Mais la spiritualité peut aussi être dangereuse dans le cadre du parcours de soins d’un cancer. Certains ne recourent pas à la médecine traditionnelle, mais se confient uniquement à la méditation, ou aux médecines complémentaires…
Oui, malheureusement, certains croient que méditer ou prier va pouvoir les guérir. Désolé, mais ça ne marche pas. En revanche, quand un patient me dit qu’à côté de mes soins, il participe à des groupes de prières et que ça lui fait du bien, je suis ravi. Mais le faire en substitution aux soins est hors de question. Des sectes et des gourous prospèrent sur la santé, et peuvent représente un piège pour certains patients.
Votre livre s’appelle Vivre avec, Vivre après. L’après est aussi important?
Oui, parce qu’on est transformé après un cancer. Dans notre travail ou notre famille, les gens ont continué de vivre et notre fragilité n’est pas toujours facile à rendre constructive et cela demande du temps. Donc cet «après» est très important. Les patients disent souvent qu’ils se sentent orphelins lorsque les traitements s’arrêtent. Ils ressentent un grand vide et réalisent qu’il va falloir commencer tout un travail de reconstruction existentiel.
Est-ce qu’on ose dire que, dans certains cas, la maladie peut être une chance?
Il faut être très prudent parce dire, comme le fait Nietzsche, que ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort, est exaspérant lorsqu’on est incapable de l’entendre. Il s’agit de prendre conscience que ce n’est pas la traversée de l’adversité qui nous rend plus forts, mais l’usage qu’on en fait, soit la réflexion et la compréhension qu’elle peut nous amener. Cela nécessite une attitude active et du temps pour dialoguer avec des proches et lire des auteurs qui ont écrit sur le sujet. Je crois que c’est une parole intime qui ne fonctionne et ne rend service que si c’est nous qui décidons de la prononcer en notre for intérieur. (cath.ch/cmc/cp/bh)
Vivre avec, vivre après, de Christophe André, Cloé Brami et Violaine Forissier, Ed. l’Iconoclaste, octobre 2025, 426 p.
Christophe André
Né le 12 juin 1956 à Montpellier, Christophe André est médecin psychiatre. Il a été l’un des premiers à introduire l’usage de la méditation de pleine conscience en psychothérapie. Chargé d’enseignement à l’université Paris-Nanterre, il est l’auteur de nombreux livres de psychologie à destination du grand public: Imparfaits, libres et heureux (prix Psychologies-Fnac 2007), Méditer jour après jour, Trois amis en quête de sagesse (avec Matthieu Ricard et Alexandre Jollien) et Consolations, où il témoignait de son cancer. Lauréat en 2016 du Prix Jean Bernard, de la Fondation pour la recherche médicale, il est depuis 2025 chroniqueur régulier sur France Inter. CP
Rédaction
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/christophe-andre-lannonce-dun-cancer-est-un-sacre-voyage-emotionnel/