Poussé par sa base évangélique, Trump fait bombarder le Nigeria

Poussé depuis des années par les milieux évangéliques américains et une grande partie de la droite républicaine affirmant que les chrétiens du Nigeria sont victimes d’un véritable «génocide», le président américain a ordonné de bombarder dans la nuit de Noël des «djihadistes de l’Etat islamique» dans l’Etat de Sokoto, au nord-ouest du Nigeria.

Au lendemain de la frappe, qui a fait des blessés civils et des destructions matérielles dans les villages touchés, dans une interview accordée à Politico, un média politique basé à Washington, Donald Trump a déclaré que l’attaque était initialement prévue pour la veille de Noël. Il l’a cependant reportée au jour même de Noël parce qu’il voulait qu’elle ait une signification «symbolique».  «Frappez-les le jour de Noël. Ce sera un cadeau de Noël», a-t-il déclaré en donnant l’ordre de lancer des missiles sur des «camps de l’Etat islamique».

Selon les observateurs sur place, les djihadistes se seraient dispersés et devraient profiter de dénoncer ces bombardements comme une intervention occidentale contre les musulmans. Plus de 10’000 personnes ont été tuées au Nigeria en deux ans, selon un récent rapport d’Amnesty International. Mais ce n’est pas dans le nord à grande majorité musulmane, notamment dans l’Etat de Sokoto, qu’il y a le plus de morts, mais plus au sud, dans deux États qui concentrent la majorité des victimes, avec plus de 6’800 morts dans le seul Etat de Benue et plus de 2’600 dans celui du Plateau.

Après l’attaque du 21 novembre à l’école catholique St. Mary’s de Papiri, au Nigeria | © Vatican Media

Trump avait menacé le gouvernement nigérian

Au début novembre, reprochant au gouvernement nigérian de ne pas suffisamment protéger sa population chrétienne face à la menace islamiste, les États-Unis avaient désigné le Nigeria comme «pays particulièrement préoccupant» en raison d’une «menace existentielle» pesant sur elle. Le Département d’État américain prévoit des sanctions contre les pays qu’il désigne comme se livrant, à ses yeux, à des violations graves de la liberté religieuse.

Peuplé de quelque 235 millions d’habitants, le Nigeria est divisé entre un nord majoritairement musulman et un sud principalement chrétien. La persécution des chrétiens va de pair avec les attaques contre les musulmans modérés dans la région, selon de nombreux observateurs.

Le Nigéria, «un pays violant la liberté religieuse»

Le sénateur républicain Ted Cruz mobilise depuis des mois ses collègues chrétiens évangéliques et exhorte le Congrès à désigner le Nigeria comme un pays violant la liberté religieuse, en répercutant les accusations de «génocide» contre les chrétiens nigérians. Sans s’embarrasser de vérifier ces chiffres contestés par le gouvernement nigérian, le sénateur texan a déclaré dans son message sur X: «Depuis 2009, plus de 50’000 chrétiens ont été massacrés au Nigeria, et plus de 18’000 églises et 2’000 écoles chrétiennes ont été détruites».

Selon l’Index Mondial de Persécution 2025, publié par Portes Ouvertes, 3’100 chrétiens ont été tués pour leur foi au Nigéria entre le 1er octobre 2023 et le 30 septembre 2024. Depuis 2014, selon cette ONG évangélique, ce sont 35’080 chrétiens qui ont été tués en raison de leur foi dans ce pays. Dans une situation sécuritaire très dégradée, dont sont victimes tant des populations musulmanes que des populations chrétiennes, il faut relever cependant   l’enlèvement ciblé de prêtres catholiques, souvent par des criminels qui veulent simplement obtenir des rançons. De nombreuse attaques sont de nature criminelle ou opportuniste plutôt que motivées par la haine religieuse.

Les conflits sont de plus en plus sanglants au Nigeria | www.canng.org

L’un des territoires les plus dangereux au monde pour le clergé

Entre 2015 et 2025, au moins 212 prêtres ont été kidnappés, selon une étude de la Conférence des évêques catholiques du Nigeria. Les cas recensés concernent plus de deux tiers des diocèses du pays, confirmant le Nigeria comme l’un des territoires les plus dangereux au monde pour le clergé.  

Plusieurs responsables religieux du Nigeria ont par contre dénoncé le terme de «génocide» comme une qualification «exagérée et susceptible d’approfondir les divisions dans un pays déjà fragile».  Certains dirigeants nigérians remettent en question le cadre religieux dans lequel s’inscrit l’action états-unienne. Parmi eux Mgr Matthew Hassan Kukah, évêque de l’État de Sokoto, qui s’est opposé aux frappes américaines. «La violence ne peut vaincre la violence», a-t-il déclaré, ajoutant que le christianisme a survécu à l’oppression grâce à sa résilience, et non à la force. «Écoutons les paroles solennelles de Jésus à Pierre: Remets ton épée dans le fourreau !» D’autres responsables catholiques nigérians ont salué les frappes aériennes américaines contre les militants du groupe État islamique dans le nord-ouest du pays. 

Le clergé divisé sur l’opportunité des frappes

«Cela aurait dû être fait depuis longtemps», a ainsi estimé Mgr John Bogna Bakeni, évêque auxiliaire de Maiduguri, à l’extrême nord du Nigeria, une région infestée par les djihadistes et les bandits. «Il est également positif que le gouvernement nigérian soit ouvert à l’aide internationale face à une insécurité écrasante», a-t-il déclaré OSV News, site d’information catholique basé à Huntington, dans l’Etat américain de l’Indiana.

Le Père Augustine Ikenna Anwuchie, un missionnaire nigérian Fidei Donum qui exerce son ministère dans le diocèse de Maradi, en République voisine du Niger, a déclaré à OSV News que cette frappe envoyait un message fort au gouvernement nigérian, qui a largement adopté des approches considérées par certains comme de la complaisance envers les terroristes en privilégiant le dialogue et les négociations. Le gouvernement a même versé des rançons «se chiffrant en milliards», plutôt que de prendre des mesures militaires décisives, a déploré le prêtre catholique.

Des bâtiments de la paroisse d’Aye-Twar, dans le centre du Nigeria, ont été détruits dans une attaque, le 11 août 2025 | © diocèse de Katsina

La mauvaise gouvernance, le tribalisme, la corruption en cause

«En toute honnêteté, a-t-il poursuivi, l’armée nigériane a la capacité d’affronter et de résoudre de manière décisive l’insécurité qui règne dans le pays. Cependant, la mauvaise gouvernance, la corruption et les attitudes tribales ont contribué à prolonger cette insécurité», a déclaré le Père Anwuchie. Le prêtre a ajouté que l’insécurité au Nigeria était devenue une industrie, étroitement liée à la politique, aux luttes de pouvoir, à l’extrémisme religieux et au contrôle des riches ressources minérales du nord du pays.

Selon de nombreux observateurs, la persécution des chrétiens va de pair avec les attaques contre les musulmans modérés dans la région.

Le 24 décembre, les djihadistes de Boko Haram a perpétré un attentat suicide dans une mosquée de Maiduguri, tuant 30 personnes, selon le prêtre, tandis qu’en même temps des éleveurs fulanis musulmans envahissaient une enclave à majorité chrétienne dans l’État de Benue, à l’est du Nigeria, tuant 5 personnes.

Le Père Moses Aondover Iorapuu, vicaire général pastoral du diocèse de Makurdi, dans l’État de Benue, a toutefois déclaré à OSV News que sans le soutien des États-Unis, le Nigeria n’avait aucune chance contre les djihadistes. «Nous avions des informations sur des attentats terroristes prévus pendant Noël, et nous avons dû reprogrammer nos messes dans le diocèse de Makurdi. Cette première vague d’attaques des États-Unis doit être préventive», a-t-il déclaré. «Le peuple nigérian sait que sans l’intervention des États-Unis, le pays n’a aucune chance contre les djihadistes qui ont infiltré la classe politique», a-t-il confié à OSV News.

Eviter d’en faire une affaire purement religieuse

Le Père Augustine Ikenna Anwuchie estime qu’il faut éviter de faire de la question de l’insécurité une affaire purement religieuse. «Pour de nombreux musulmans, c’est l’une des raisons pour lesquelles Trump ne devrait pas présenter l’insécurité au Nigeria comme un problème exclusivement chrétien. Néanmoins, beaucoup se réjouissent de cette frappe dans la mesure où elle met fin aux massacres, tandis que d’autres restent prudents et irrités par cette approche religieuse», a-t-il déclaré, avertissant que si les États-Unis peuvent apporter leur aide, c’est au Nigeria seul qu’il appartient de résoudre ses problèmes de sécurité.

Pour le moment, l’impact des frappes américaines n’est pas encore connu, mais selon l’Associated Press, le secrétaire américain à la Guerre, Pete Hegseth, a déclaré que d’autres frappes étaient à venir. (cath.ch/osvnews/rfi/africanews/be)

Jacques Berset

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