Actualité: En se rendant début mai en Roumanie, Jean Paul II a accompli un geste œcuménique historique: c’est la première fois qu’un pape se rend dans un pays majoritairement orthodoxe depuis le schisme de 1054 entre Rome et Byzance. Le professeur suisse

APIC – Interview

Maurice Page et Jacques Berset, agence APIC

Roumanie: La visite de Jean Paul II, tournant significatif dans les relations avec l’orthodoxie

Pour le prof. Martin Hauser, il y a désormais « un avant et un après »

Fribourg,

(APIC) « Le fruit de la visite de Jean Paul II en Roumanie est un véritable miracle », n’hésite pas à affirmer le théologien réformé Martin Hauser. Pour le professeur de Marly, enseignant depuis 1994 à l’Université de Bucarest, il y a désormais « un avant et un après » la visite du pape. Témoin privilégié de cet événement, marqué par la rencontre très personnelle du pontife romain et du patriarche Théoctiste, chef de l’Eglise roumaine, n’hésite pas à parler de « rencontre du cœur ». Une rencontre peut-être plus efficace que tous les colloques théologiques de haut niveau…

Réticent au départ comme nombre de ses collègues orthodoxes de l’Université de Bucarest, il considère aujourd’hui avec le recul que cette visite aura été un grand succès pour le rapprochement entre l’Eglise catholique et l’orthodoxie. Martin Hauser tire le bilan pour l’APIC de ce voyage riche en gestes symboliques. L’occasion aussi de souligner que la Roumanie doit encore mieux jouer son rôle de carrefour des cultures, des langues, des confessions et des religions, insiste-t-il.

APIC: Avant la visite de Jean Paul II en Roumanie, vous aviez exprimé des réticences. Aujourd’hui vous parlez d’un véritable « miracle »…

Martin Hauser: Mon attitude plutôt réticente s’expliquait par l’état des relations entre l’Eglise catholique romaine et les Eglises orthodoxes, mauvaises depuis le début des années 90. A cause des tensions liées à la guerre en ex-Yougoslavie et de l’influence grandissante de l’Eglise romaine en Europe de l’Est. Une nouvelle donne que les Eglises orthodoxes n’ont pas vraiment beaucoup appréciée, accusant Rome de « prosélytisme ». Sans oublier que la visite du pape se situait à un moment culminant de la guerre pour le Kosovo qui, sur le plan religieux, est une nouvelle épreuve entre le christianisme occidental et le christianisme oriental.

Dans ce contexte, les réticences étaient normales. Il ne faut pas oublier non plus les tensions entre les gréco-catholiques et les orthodoxes en Roumanie même depuis la chute de Ceaucescu. (Pomme de discorde dans les relations entre Rome et l’orthodoxie, les Eglises catholiques « uniates » de rite byzantin, en Europe de l’Est, réclament toujours la restitution de leurs lieux de culte perdus lors de leur réintégration forcée dans l’orthodoxie, nda.)

De prime abord, une invitation au pape de la part de l’Eglise orthodoxe de Roumanie était loin d’être évidente. Ma réticence était aussi le reflet de ce que j’ai pu ressentir autour de moi à Bucarest, au contact de mes collègues, du clergé et des fidèles orthodoxes.

APIC: Le pape a néanmoins reçu un accueil chaleureux et la visite a été un succès.

M.H. : Comme par miracle, au cours de la visite, tout était changé ! C’est probablement dû à deux facteurs. D’une part à la capacité des Roumains à s’adapter à de nouvelles situations et à leur sens de la fête. Sans compter que les Roumains sont un peuple très religieux. D’autre part, les deux acteurs principaux de cet événement hors du commun, le pape et le patriarche Théoctiste – en tant que personnes – ont accompli des gestes inattendus l’un envers l’autre.

Ils ont ainsi fait disparaître bien des barrières et posé un pont entre les deux familles chrétiennes. C’est une nouvelle base sur laquelle on peut continuer à construire. Tout cela a eu des répercussions positives sur la foule des fidèles, aussi bien du côté catholique qu’orthodoxe, voire même chez les groupes de protestants également présents pour l’événement.

APIC: Vous parlez de gestes significatifs, quels sont-ils ?

M.H.: Un des gestes les plus significatifs a été d’assister réciproquement en vêtements liturgiques à la grande célébration de l’autre confession en plein air devant des centaines de milliers de fidèles. En outre, sans que cela ait été prévu, les deux prélats se sont offerts mutuellement une coupe eucharistique. Ce geste inattendu, symbolique et prometteur pour l’avenir, a beaucoup impressionné les gens. Au regard de certaines tensions aggravées entre les familles ecclésiales, cet événement aura été tout de même extraordinaire. Mes collègues de l’Université, très sceptiques avant la visite du pape, sont restés muets devant l’événement.

Jean Paul II et Théoctiste ont véritablement posé des actes prophétiques. Le pape s’est exprimé presque uniquement en roumain, ce qui a prouvé une fois de plus ses extraordinaires talents de communicateur. Le fait que les deux hommes se soient trouvés ensemble dans la papamobile, ce qui n’est pas habituel, a été largement apprécié par les orthodoxes.

J’ai eu l’impression que, catholiques et orthodoxes mélangés, la foule s’est tournée dans un mouvement commun vers le pape et le patriarche qui ont donné un signe d’unité.

APIC: Après leur « renaissance », les gréco-catholiques roumains, incorporés de force à l’orthodoxie sous le régime communiste, ont réclamé avec vigueur la restitution de leurs biens, en particulier des églises. Cette revendication a provoqué de nombreux conflits locaux. Les gestes du pape et du patriarche ont-ils ouvert à vos yeux une nouvelle période dans les relations entre « uniates » et orthodoxes ?

M.H. : L’approche des problèmes concrets entre orthodoxes et uniates va être plus simple, plus directe. La visite du pape peut être un événement fondateur pour de meilleures relations entre orthodoxes et catholiques en Roumanie. L’image de l’autre vu comme un éventuel ennemi est largement corrigée.

Il faut maintenant et réfléchir comment continuer à partir des infrastructures existantes. Je dois saluer ici l’excellent travail du nonce apostolique en Roumanie, le Fribourgeois Jean-Claude Périsset, qui a su conquérir l’amitié et le cœur des orthodoxes. Je pense que d’autres gestes concrets sont possibles pour rapprocher les deux Eglises, en particulier face aux tensions dans les Balkans. L’Eglise orthodoxe joue aussi le rôle de soutien à la démarche politique du pays qui en fait est celle d’une grande ouverture vers l’Occident. L’invitation à Jean Paul II était d’ailleurs aussi celle du gouvernement roumain.

La Roumanie – je ne parle ici pas seulement de l’aspect religieux, mais aussi de la dimension politique – peut jouer un rôle clé pour l’entente entre les ethnies, les peuples, les confessions et les religions dans les Balkans et en Europe. En choisissant la Roumanie pour le premier voyage du pape en terre orthodoxe, le Vatican a vraiment bien fait les choses.

APIC: La Roumanie compte également une minorité protestante. Comment a-t-elle été associée à la fête ?

M.H.: Lors de la réception au patriarcat de Bucarest, je me suis longuement entretenu avec l’évêque luthérien de Roumanie. La présence des protestants s’est déroulée sous diverses formes. L’intérêt pour les protestants était de pouvoir s’intégrer dans une démarche dans laquelle une autre Eglise minoritaire, c’est-à-dire catholique romaine – les catholiques représentent moins de 6% de la population roumaine – était au centre. Les minorités nationales et religieuses en Roumanie dans les faits se solidarisent assez facilement entre elles. (apic/mp)

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