APIC – Portrait
Brésil: Dom Helder Camara fête ses 90 ans
« Mon socialisme? C’est la justice! »
De notre correspondant à Sao Paulo, Paulo Pereira Lima
Recife, 1er février 1999 (APIC) Symbole d’une Eglise aux côtés des pauvres, l’ancien archevêque de Recife, Dom Helder Camara, fête ses 90 ans le dimanche 7 février. Le petit évêque du Nordeste brésilien s’est un jour défini de la manière suivante: « Je déteste ceux qui restent passifs et soumis. Je suis un socialiste qui respecte la personne humaine, une option d’ailleurs qui nous vient de l’Evangile. Mon socialisme? C’est la justice! ».
Le correspondant d’APIC au Brésil a recueilli à cette occasion le témoignage de quelques-uns de ses amis évêques et théologiens. Tous reconnaissent l’impact évangélique de cet évêque à la parole vibrante et au courage prophétique.
Les villes de Recife et Olinda, dans l’Etat de Pernambuco au Brésil, préparent une grande fête pour le 7 février. Des conférences, des débats et des célébrations avec la présence de plusieurs artistes brésiliens sont agendés.
Ceux qui ont connu Dom Helder dans sa pleine activité pastorale voient en lui le défenseur des plus pauvres et des droits de l’homme. Celui qui a osé le dialogue avec les autres Eglises et les autres religions. Son action a ému les multitudes quand il posait des questions pertinentes et « subversives » aux dictatures militaires. Car il a mis constamment le doigt sur une question éternelle: pourquoi la richesse de quelques uns se fait-elle sur le dos des miséreux et des peuples du Sud? Tous admirent l’acteur éloquent pour tenter de mettre fin à la violence, au racisme, aux guerres et à l’injustice sociale.
« Il a modifié le visage de l’Eglise »
« Petit de taille, il paraissait pourtant un géant par son éloquence quand il parlait en public », raconte le dominicain Frei Betto, l’un des principaux théologiens de la libération qui a travaillé avec Dom Helder quand ce dernier était l’évêque responsable de l’Action catholique au Brésil. « Il avait toujours des idées claires et précises, articulant l’ardeur de sa foi avec son cri pour la justice. Ses projets audacieux, jaillis de sa vive intelligence, ont modifié le visage de l’Eglise. Grâce à lui, une partie significative de l’Eglise catholique est revenue à ses origines évangéliques dans un engagement concret pour la justice envers les marginaux et les exclus « .
Pour le théologien belge Joseph Comblin, un des principaux collaborateurs de Dom Helder Camara à Recife, il peut être comparé à saint Paul. Sa parole, ses gestes et sa personne enthousiasmaient tous les auditoires, catholiques ou non. C’est pour cela qu’il est devenu aussi « l’apôtre des païens ».
Le pacte des catacombes
Selon l’historien et théologien Oscar Beozzo, membre de Commission des études sur l’histoire de l’Eglise en Amérique latine (CEHILA), Dom Helder fut le Brésilien qui a le plus influencé le Concile Vatican II, alors que paradoxalement, il n’est jamais intervenu publiquement dans la basilique Saint-Pierre. Il eut pourtant une influence active sur de nombreux évêques. Vêtu d’une simple soutane beige, avec une apparence fragile, mais une voix forte, il fit de « Domus Mariae », la résidence des évêques brésiliens à Rome, un des lieux les plus importants d’articulation entre une cinquantaines d’évêques et de théologiens qui partageaient sa vision pastorale. Les participants de ce groupe appelé « l’Eglise en faveur des pauvres » se réunissaient régulièrement entre les sessions conciliaires. A la fin du Concile, ils signèrent le « pacte des catacombes », qui demandait, entre autres, une fois rentrés dans leurs diocèses, de vivre pauvrement. Rentré à Recife, Dom Helder donna des terres appartenant à l’archidiocèse à des paysans victimes de l’arrogance de grands propriétaires terriens. Il refusa désormais de porter un anneau en or. Il sortit de son palais épiscopal pour aller habiter dans la sacristie d’une petite église. Il marchait à pied ou prenait le bus à travers sa ville, comme la majorité de ses diocésains.
C’est aussi grâce à son témoignage de dépouillement personnel qu’il a réussi à galvaniser le continent latino-américain, affirme encore le cardinal Aloisio Lorscheider. L’archevêque d’Aparecida témopigne: « Partout où il passait, il est devenait le porte-voix de la cause des pauvres, ici au Brésil, mais aussi dans le monde entier à cause des très nombreux voyages effectués dans d’autres pays. On pourrait dire qu’il était le ’microphone des pauvres’. De plus, il est un homme d’espérance. Jamais triste ou accablé, de tempérament jovial, il est l’une des figures les plus expressives de l’Eglise universelle ».
Quant au cardinal Paulo Evaristo Arns, archevêque émérite de Sao Paulo, il a toujours eu une relation d’amitié très cordiale avec Dom Helder. « C’est mon oncle, » dit-il en souriant, rappelant que lorsqu’il avait reçu le titre de cardinal, Dom Helder, lui avait proposé à brûle- pourpoint: « Est- ce que tu ne veux pas être mon neveu? ». En expliquant amusé. « Mais oui, le pape appelle les évêques ses frères, et les cardinaux ses fils. Donc le fils du pape est neveu de l’évêque »!
« L’évêque rouge »
Dom Helder, durant la dictature militaire, instaurée lors du coup d’Etat de 1964, fut déclaré « l’évêque rouge » et qualifié « d’ennemi No 1 » du régime. Car il osa dans ses voyages à l’extérieur dénoncer la torture pratiquées dans les prisons militaires. Dans une conférence à Paris en 1970, il déclara qu’il avait reçu souvent des menaces de mort et qu’il pourrait bien mourir de la même façon que le pasteur américain Martin Luther King. Il paya cher son audace. N’osant pas, à cause de sa réputation internationale, s’en prendre à l’intégrité physique de l’archevêque de Recife, les militaires se vengèrent en tuant et en torturant des prêtres et à des laïcs. Tous les journaux, les radios et les télévisions du Brésil reçurent l’ordre de ne jamais donner la parole à Dom Helder. Ceci jusqu’en 1977. Une campagne de diffamation est alors orchestrée dans la presse brésilienne. Il fut ainsi obligé de trouver d’autres formes pour dénoncer les prisons, la torture et les atrocités subies par les prisonniers politiques. « Je peux simplement espérer que le scandale de mes dénonciations dans la presse mondiale et l’intervention de l’Eglise puisse sauver quelques vies chez nous », répondait en privé Dom Helder quand le régime l’accusait de salir l’image du Brésil à l’étranger.
L’ancien archevêque d’Olinda et Recife sait que sa lutte ne fut pas inutile. Il a désormais une place garantie dans les meilleures pages de l’histoire de l’Eglise catholique au Brésil depuis les années 50. Actuellement, à l’âge de 90 ans, dans le silence et l’humilité, il vit reclus dans son petit logis. Et pourtant le monde se souvient.
Déjà le quotidien catholique français « La Croix » écrivait, à l’occasion de ses 80 ans: « Quand la voix des sans-voix, l’avocat du tiers monde, prend la parole, l’ardeur de l’Evangile éclaire son visage et met en mouvement le moulinet de ses mains et son bras jeté en avant. L’index tendu prend le ciel à témoin. Est-ce un homme égaré dans notre monde injuste qui parle? Plutôt un homme juste dans un monde égaré ». (apic/plp/ab/ba)
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