« Je regrette la décomposition de l’intelligentsia française »
Bordeaux 11 février 1999 (APIC) « La laïcité est un très grand principe mais je préfère encore parler au nom de l’Evangile », relève Mgr Pierre Eyt, archevêque de Bordeaux. Même s’il souhaite un débat moins passionné sur le projet de Pacte civil de solidarité (PACS), le président de la Commission doctrinale de l’épiscopat français tient fortement à la valeur normative de la famille traditionnelle.
Mgr Eyt, l’un des cinq cardinaux français, l’a répété aux journalistes de l’information religieuse (AJIR) en visite à Bordeaux. Ancien recteur des Instituts catholiques de Toulouse et de Paris, diplômé en études juridiques et économiques ainsi qu’en philosophie, docteur en théologie, Mgr Eyt plaide pour une analyse approfondie des valeurs qui fondent aujourd’hui la société française.
Pour vous, la lutte contre le PACS est « une bonne cause ». Mais dans ce combat, l’Eglise ne risque-t-elle pas de renforcer une image ringarde ? L’Eglise ne va-t-elle pas faire reculer le débat sur la laïcité?
Mgr Pierre Eyt: M’accuser de « ringardise » ne me touchera pas davantage que si on affirmait que la vérité est un mal, et le mensonge un bien. Il faut avoir à ce sujet des positions d’une fermeté extrêmement claire. Notre République n’a pas été bâtie sur le marquis de Sade.
Au fond, c’est comme si le gouvernement de la gauche « morale » n’acceptait pas que quelqu’un soit encore plus moral que lui, tant pour les sans-papiers que pour le PACS ! J’aurais aimé que la manifestation anti-PACS soit moins démonstrative au plan extérieur et davantage l’occasion d’un vrai approfondissement de ce qu’est le couple, la famille, le rapport entre sécurité-paix civile et éducation.
Je regrette néanmoins la décomposition de l’intelligentsia française, qui fait l’impasse sur des questions clés comme la différenciation sexuelle et le droit absolu de l’enfant à avoir un père et une mère. Ne nous illusionnons pas: le PACS est un tir en caponnière, avec une série de salves en réserve. J’ai interrogé trois personnalités socialistes éminentes, dont un ancien garde des sceaux. Elles n’étaient pas très à l’aise avec le côté composite de cette loi.
Ne faites-vous pas un procès d’intention au législateur ? Il n’a parlé ni de mariage homosexuel ni de droit d’adoption d’un enfant accordé à un couple d’homosexuels « pacsés » !
P.E.: C’est pourtant ce qui se dit, sans ambages, dans certaines officines. La pression du lobby homosexuel est une réalité. Par ailleurs, cela fait partie du jeu démocratique que d’anticiper sur les conséquences de la loi et nous devons avoir une vision stratégique des combats à mener. Pourquoi, en effet, le gouvernement n’a-t-il pas présenté un projet de loi, mais laissé courir une diversité de propositions ? Tout cela pose le problème d’une utilisation de loi qui n’est pas encore démasquée.
Dans le registre ecclésial, vous êtes pourtant un défenseur de la liberté de parole et de la pluralité des opinions. Vous avez émis dans la presse des réserves sur l’Instruction romaine concernant la collaboration des laïcs au ministère des prêtres de novembre 1997.
P.E. : Le rôle des évêques et du Saint-Siège n’est pas de diffuser une défiance à priori vis à vis des laïcs. Il faut bannir cette perspective. Certes, il peut y avoir des incompatibilités entre prêtres et laïcs, mais pas plus qu’entre prêtres eux-mêmes. Les pasteurs doivent faire la guerre en eux-mêmes contre le sentiment d’être une exception. Je suis contre la culture de l’exception. L’Eglise est le lieu de notre conversion et ne doit pas donner lieu à des crispations à priori sur des titres. Les laïcs ne sont pas encore assez associés à la « gouvernance » des communautés chrétiennes.
Vous répétez pourtant que l’Eglise n’est pas une démocratie ?
P.E.: Je l’ai beaucoup dit comme recteur de l’Institut catholique confronté à des théologiens qui abordaient cette question trop vite. L’incarnation chrétienne vient d’un don gratuit. Le respect de ce régime de grâce, de ce don sur lequel personne n’a un droit de propriété, est à rebours du droit natif. Pour autant, l’Eglise doit se comporter démocratiquement, sinon elle n’est pas en conformité avec l’Evangile. J’essaye pour ma part de me comporter en démocrate. (apic/jcn/cx/mp)
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