Israël: L’inégalité entre juifs et arabes à la source des sanglantes émeutes d’octobre

APIC Analyse

Le sentiment de discrimination des non juifs augmente

Jérusalem, 11 décembre 2000 (APIC) Selon un sondage publié lundi par la presse israélienne, le sentiment d’inégalité entre juifs et arabes est à la source des sanglantes émeutes d’octobre au cours desquelles 13 Arabes israéliens ont été abattus par balles. Un rapport d’universitaires israéliens remis au Premier ministre Ehud Barak renforce lui aussi l’idée que l’Etat juif, qui se veut démocratique, n’a pas réussi à être l’ »Etat de tous ses citoyens ».

Certaines victimes de la répression d’octobre auraient été tout simplement « exécutées », accusent des habitants de Nazareth. Le gouvernement israélien a finalement créé une commission d’Etat pour enquêter sur la mort de ces 13 Arabes israéliens.

Une enquête d’opinion commanditée à l’Institut Smith par le « New Israel Fund » pour marquer la Journée Internationale des Droits de l’Homme, est révélatrice du fossé qui sépare la population juive des citoyens arabes d’Israël. Les enquêteurs ont interviewé 501 juifs et 401 arabes fin novembre, les questionnant notamment sur l’identité arabe. 50% des citoyens arabes israéliens citent les discriminations dont ils sont l’objet de la part des autorités comme étant à l’origine des violences qui ont secoué leur communauté. Du côté juif, le son de cloche est tout autre: la cause des émeutes arabes serait leur identification avec les Palestiniens des territoires occupés.

Questionnés sur le genre d’Etat dans lequel ils désireraient vivre, juifs et arabes se distinguent clairement. 41% des Arabes déclarent vouloir vivre dans un « Etat démocratique », 41% dans un « Etat de tous ses citoyens » et 9% dans un « Etat juif démocratique ». Parmi les juifs, 29% sont partisans d’un « Etat démocratique », 10% d’un « Etat de tous ses citoyens », tandis que 48% se disent favorables à un « Etat juif démocratique ».

Ils avaient voté à 90% pour Barak et se sentent trahis

Alors que les villes, colonies et agglomérations juives sont florissantes, depuis 1948, pas une seule nouvelle communauté arabe n’a été établie en Israël, alors que la population arabe (celle qui n’a pas été chassée ou qui n’a pas fui lors de la fondation de l’Etat d’Israël il y a 52 ans) a plus que quintuplé. Le million de citoyens arabes d’Israël (sur 6,3 millions d’habitants) n’a pas accès aux mêmes services et opportunités que les résidents juifs. Ces citoyens de seconde zone se sont à plusieurs reprises révoltés contre la confiscation continuelle de leurs terres. Les Arabes israéliens, qui représentent 18% de la population et 14% environ de l’électorat, avaient voté à plus de 90% en faveur d’Ehud Barak lors des élections de mai 1999, apportant une contribution essentielle à sa victoire contre le candidat de la droite, Benyamin Netanyahu. Mais Barak est accusé de n’avoir rien fait pour corriger les discriminations structurelles dont est victime la minorité arabe.

Nécessité d’une nouvelle politique, selon un rapport détaillé remis à Barak

25 chercheurs israéliens viennent de remettre au Premier ministre israélien sortant Ehud Barak un rapport détaillé critiquant la politique de discrimination envers la minorité arabe d’Israël. Rédigé à la suite des troubles qui ont ensanglanté en octobre dernier la communauté arabe en Israël, le rapport demande une « nouvelle politique gouvernementale » envers les citoyens non juifs.

Parmi les aspects de la politique israélienne sous le feu de la critique, les points sensibles sont notamment les droits fonciers et la planification et l’aménagement du territoire. Le rapport critique a été rédigé entre autres par le professeur Oren Yiftachel, chef du Département de géographie et de développement environnemental à l’Université de Ben-Gourion, au Néguev, le professeur Rassem Khamaisi, du Département de géographie de l’Université de Haifa, et le professeur Alexandre Kedar, de la Faculté de droit de l’Université de Haifa. Les auteurs constatent que la politique foncière et la planification et l’aménagement du territoire en Israël « sont basés sur des modèles de discrimination en contradiction avec les principes fondamentaux d’égalité et d’administration démocratique ».

Des changements structurels de cette politique de discrimination visant les non juifs, fondés sur des politiques démocratiques et égalitaires en matière de droits fonciers, et leur mise en œuvre doivent être adoptés afin de renforcer la conviction de la légitimité du système gouvernemental au sein de la population arabe, écrivent les auteurs de l’étude. Une telle politique, à leurs yeux, « devrait contribuer à la stabilité politique et sociale d’Israël ».

L’Agence juive et le Fonds national juif dans le collimateur

Les auteurs constatent qu’alors que leur population augmente, les Arabes d’Israël font face à une diminution des terres disponibles pour leur développement, suite à l’annexion et à la confiscation de leur sol par les municipalités juives. « Les politiques foncières et de planification discriminent de façon consistante les Arabes. De fait, aucune terre propriété de l’Etat n’est attribuée aux villes et villages arabes existants; les nouveaux établissements arabes sont construits sans aide de l’Etat, car l’accès des citoyens arabes aux terres de l’Etat est bloqué ». Ainsi, les Arabes n’ont aucun pouvoir dans la prise de décision concernant les processus d’élaboration des plans d’aménagement et des décisions sur la propriété foncière.

Un aspect « spécialement problématique », selon les auteurs du rapport, est l’implication de deux organisations exclusivement juives, l’Agence juive et le Fonds national juif, dans le processus de prise de décisions officielles de l’Etat d’Israël dans ces matières sensibles. La situation ainsi créée favorise la propriété juive et le développement de la colonisation juive, tandis que le secteur arabe est contraint à la stagnation.

Pour une politique foncière non discriminatoire

« Le secteur foncier israélien est très dynamique, mais les changements sont principalement unidirectionnels. La population juive d’Israël poursuit le processus de colonisation et d’expansion, tandis que le secteur arabe, ces 50 dernières années, est resté presque entièrement gelé dans les mêmes villes et villages », peut-on lire dans le rapport adressé au gouvernement. Les auteurs de l’étude proposent des recommandations pour une nouvelle politique foncière non discriminatoire, estimant que « les terres juives doivent devenir des terres israéliennes ». Pour que cette nouvelle politique puisse voir le jour, il est nécessaire de réorganiser l’Administration israélienne des terres. « Actuellement, comme vont les choses, les procédures de décision et les règlements dans l’Administration israélienne des terres sont non représentatives et excluent les citoyens arabes ».

Il s’agit notamment de réviser les règlements qui renforcent dans le cadre de l’Etat le rôle d’organismes visant au développement exclusif des juifs comme l’Agence juive et le Fonds national juif. Ce sont ces organisations qui allouent les terres pour établir des quartiers et des agglomérations qui excluent les habitants arabes, souligne le rapport. Les auteurs demandent également la « cessation de la confiscation des terres arabes pour les destiner à des juifs, par ex. pour des colonies ou pour l’armée, et la rétrocession à leurs propriétaires de certaines terres arabes expropriées par l’Etat, dont certaines n’ont jamais été utilisées, ainsi que des propriétés appartenant au Waqf, le conservateur des biens musulmans.

Des compensations financières pour les victimes de la discrimination

L’étude demande également que les communautés arabes pauvres soient mises au bénéfice des mêmes subventions au développement que celles que reçoivent les communautés juives à bas revenus dans les régions périphériques, ce qui n’est pas le cas actuellement. Les auteurs suggèrent au gouvernement de prendre d’autres mesures – compensations financières ou autres – pour faire face aux blessures et injustices commises dans le passé par la politique foncière discriminatoire, qui a affecté les communautés arabes. Ils plaident pour une « action affirmative » en direction du secteur arabe d’Israël.

Des villages arabes inexistants pour le gouvernement

Le rapport condamne clairement la politique du gouvernement israélien qui ne veut pas reconnaître formellement l’existence de dizaines de villages arabes – bien que certains existent depuis bien avant la fondation de l’Etat d’Israël – , ce qui revient en pratique à leur refuser les infrastructures de base comme l’eau potable, l’électricité et les autres installations nécessaires. « Cette politique, qui est un tache morale sur la société israélienne, doit cesser immédiatement », exige le rapport remis au Premier ministre.

Les académiciens écrivent dans leur document que depuis la fondation de l’Etat d’Israël, la minorité arabe a été vue avant tout comme une menace démographique et une menace pour la sécurité de l’Etat, ce qui a poussé à mettre les Arabes « au ban de la citoyenneté commune ». Une telle politique menée depuis le début « est susceptible de provoquer des confrontations destructrices et d’empêcher la vision d’un Etat démocratique qui traite tous ses citoyens de manière impartiale, comme des égaux ». Les professeurs d’Université à l’origine du rapport affirment que le changement fondamental du statut de la minorité arabe va sans conteste affecter la définition de l’identité de l’Etat d’Israël. (apic/haar/jpost/be)

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