Suisse: 2’500 jeunes Suisses ont participé au 25ème pèlerinage du « Ranft » en décembre
Une nuit pour marcher vers ses rêves
Marie-José Portmann, APIC
Flueli-Ranft, 27 décembre 2000 (APIC) Deux mille cinq cents jeunes ont marché des heures, à la lumière des bougies et des torches, dans la nuit du solstice d’hiver, jusqu’à la chapelle de Flueli-Ranft. Quel est donc le secret des gorges de la Melchaa, où voilà plus de 500 ans, saint-Nicolas de Flue, patron de la Confédération, s’est retiré pour aller à la rencontre de Dieu et des hommes?
Stans. C’est le terminus pour la dizaine de jeunes voyageurs venus de la Singine, de la ville de Fribourg et de la campagne bernoise. Markus et Rebecca se joignent à eux au collège de Nidwald pour une partie de « Scrabble » autour de l’expression « sans frontière ». Ou plus exactement « unbegrenzt » car la langue véhiculaire du pèlerinage à Flueli-Ranft (OW) est l’allemand.
« Liberté, cosmos, univers, océans, espace »: décidément, l’infini inspire le groupe composé d’une dizaine de filles et … de deux garçons. N’était ce « röstigraben » écrit par une participante romande qui barre soudainement la grille… Derrière chaque lettre, un mot pour dévoiler un peu de soi. « M » comme « mère », lit Carli, jeune Estonienne de 18 ans qui passe une année au gymnase Ste-Croix à Fribourg. Cadette de sa famille, elle évoque sa maman, là-bas, dans son pays sans montagne mais entouré par la mer. Carli n’est pas baptisée. Elle a reçu une culture chrétienne en assistant sporadiquement à l’école du dimanche, à travers des livres illustrés et en regardant les fresques bibliques d’Hollywood. Elle aime pourtant la Bible, « une si belle histoire que j’y trouve toujours une phrase pour remonter la pente quand je ne me sens pas bien ».
Un thème douloureux
« Sans frontière, sans limite », le thème du rassemblement du Ranft est presque douloureux pour Cornelia, frêle petite Fribourgeoise de 18 ans qui en paraît tout juste 13, suspendue hors du temps par une anorexie qui terrorise son entourage et la met en retrait de sa propre existence. La joie et l’animation autour d’elle ne lui parviennent qu’amorties par son obsession. Quand donc saura-t-elle la raison de ce mal, qui l’attire vers la mort? A-t-elle touché le fond de sa détresse, peut-elle espérer bientôt revivre?
Il est presque 21 heures. Les voix montent claires dans l’air vif. De chaque côté du lac d’Alpnach, les sommets enneigés se dressent, phosphorescents. Les bougies qui indiquent le chemin disparaissent dans la nuit piquetée d’étoiles. Les conversations se nouent. Le peloton se distend et se resserre, au gré de la topographie. Après trois heures au pas de charge, l’équipe arrive en sueur et de très bonne humeur à l’étape, dans une grande scierie ou des pèlerins de tous âges se restaurent.
Née en Namibie et ayant nomadisé avec sa famille sur plusieurs continents, Corinne habite aujourd’hui la basse ville de Fribourg. Elle explique que les cultures et les langues qu’elle a côtoyées ont creusé en elle l’envie de voyager et de rencontrer des gens. Etendu sur le plancher, Patrick l’écoute en fermant les yeux.
Scanner et course contre la montre
Le groupe parcourt en somnambule les derniers kilomètres avant le monastère de Béthanie. Chaleur, lumière, grouillement de la foule. Avec la fatigue, les fous rires sont inextinguibles. Karin et Danièle de Wileroltigen (BE), les conductrices, installent le groupe dans le couloir pour relancer la réflexion sur mot « Sehnsucht » (nostalgie, quête). Les « idées géniales » des randonneurs de Berne-Fribourg rejoindront celles des deux cents autres groupes avant d’être scannées par cinq jeunes artistes. En effet, à quelques encablures, dans le hameau de Kerns, une course contre la montre a commencé pour que les pensées des jeunes participants au « Ranft » puissent être distribuées en grand nombre au petit matin, sous la forme d’une douzaine de cartes postales. Parmi les messages transmis, « Le Ranft, lieu des possibilités illimitées: bienvenue au pays de ton imagination », « Abattons les murs qui séparent » ou encore « l’aspiration à l’infini est une drogue légale ».
« Le « Ranft », c’est le pendant, au plus fort de l’hiver, de la Pentecôte que j’ai vécue cette année à Taizé, au solstice d’été: deux points de repères dans mon quotidien, explique Iris, de Wileroltigen (BE), qui a fait sa confirmation à l’Eglise réformée, l’an passé. Agée de 16 ans, Iris est déjà une inconditionnelle de la virée nocturne en Suisse centrale. Comme Aurélia, de Chiètres (FR), qui commencer le gymnase à Fribourg, elle ne manquerait à aucun prix cette nuit rythmée par les rencontres au cœur de la nuit, la variété des activités nocturnes, qui vont du mur de grimpe au jeu de rôles en passant par l’expression picturale, les tatouages à l’henné, les masques de gypse, les danses folkloriques, rock ou jazz, le jonglage ou le témoignage d’habitants de pays lointains. Pour le 25ème anniversaire du pèlerinage, l’Afro-Cubain Leonardo Ponce a fait un malheur avec son atelier de percussion…, rapporte Aurélia.
Chair de poule
« On ne peut pas dire que les jeunes d’aujourd’hui soient moins religieux qu’il y a 25 ans », explique Helena Jeppesen-Spuhler, membre de la direction du rassemblement du Ranft, à la presse réunie au milieu de la nuit à la maison Sainte-Dorothée, à Flueli-Ranft (OW). « Mais ils ne se retrouvent pas dans ce que leur propose l’Eglise. Le pèlerinage du Ranft crée les conditions d’une expérience spirituelle et communautaire. »
Il est bientôt deux heures du matin. Au bord de la large échancrure creusée dans la colline par le torrent de la Melchaa, le groupe marque un temps d’arrêt pour allumer les torches. En contrebas et sur l’autre versant, des centaines de lumières descendent en silence vers le fond de la vallée. Une vision mouvante qui donne la chair de poule. Certains éclatent en cris sauvages, couverts bientôt par les gospels du groupe schwitzois « Rainbom Singers ». D’où vient donc cette impression fugace de toucher au but?
Une nuit pour marcher vers ses rêves
La houle de lumières entoure la chapelle de Saint-Nicolas de Flue et les bougies font surgir les visages de la nuit, sous les flocons de neige. Le nouvel évêque des jeunes en Suisse, Mgr Denis Theurillat, lance à la foule: « Ne perdez pas une minute: cherchez le trésor qui est en vous. Interrogez-vous sur ce qui compte le plus dans votre vie, suivez votre voix intérieure. Soyez une lumière pour ceux qui vous entourent ». Et le président du mouvement de jeunesse « Jungwacht », Thomas Feldmann, de poursuivre: « Peut-être que Dieu, c’est justement cette quête qui vous pousse à agir, la soif qui vous brûle, le besoin qui vous habite de faire exploser les limites et les frontières ».
Il reste encore plus de deux heures de route avant de pouvoir croquer le « pain du matin » à Sarnen (OW), à Sachseln (OW) ou à Kerns (OW). Dans l’aube glaciale, les torches témoignent discrètement de l’éblouissement que les jeunes viennent de vivre. Durant quelques instants, ils ont senti vibrer, à l’unisson avec des milliers d’autres jeunes, leur aspiration au bonheur et à la paix, leur besoin jamais comblé d’amour.
Cinq heures du matin; les trains spéciaux descendant vers Lucerne (LU) sont pleins à craquer de jeunes dormeurs, épuisés d’avoir à marché toute la nuit vers leurs rêves. Arrivée à Berne, Irène qui achève ses études d’institutrice, se demande encore ce qui l’a pris de soustraire deux précieux jours à la préparation de ses examens. (apic/mjp)
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