Suisse: Christian Kissling sur l’autorisation de l’aide au suicide dans les EMS zurichois

APIC Interview

« Un aumônier ne peut pas aider quelqu’un à mettre fin à ses jours »

Par Stephan Moser, de l’APIC

Berne 13 novembre 2000 (APIC) A l’heure où les Pays-Bas sont sur le point de dépénaliser l’euthanasie active, après avoir toléré cette pratique pendant plusieurs années, la ville de Zurich est la première collectivité publique à autoriser la mort volontaire et accompagnée dans les maisons de retraite. Secrétaire de la Commission Justice et Paix de l’épiscopat suisse, l’éthicien Christian Kissling regrette cette décision et estime que ce n’est en aucun cas le rôle des aumôniers catholiques d’aider les patients à suicider.

Dès le début de l’année prochaine, les personnes âgées pourront recourir aux organisations d’aide au suicide, à l’intérieur des établissements médico-sociaux (EMS) et des homes. Le 25 octobre dernier, l’exécutif des bords de la Limmat a en effet levé l’interdiction frappant, depuis 13 ans, l’aide au suicide dans les maisons de retraite. Pour autant que le patient n’ait plus de domicile propre et qu’il n’existe aucun doute sur sa capacité de discernement, qu’il ne fasse pas l’objet de pression et qu’aucune autre prise en charge ne soit prescrite.

Dans les hôpitaux et les cliniques psychiatriques, il est en revanche toujours interdit de commettre un suicide mais les organisations d’aide à la mort volontaire sont admises à visiter les patients, sans restriction. De leur côté, les Pays-Bas seront le premier pays au monde à dépénaliser l’euthanasie active, après ratification de leur Sénat.

Pour l’éthicien Christian Kissling, ces décisions posent plus d’un problème. D’abord, les expériences cliniques montrent que le désir de mourir exprimé par les malades chroniques est souvent un appel à l’aide, face à une solitude devenue insupportable et à de mauvais soins. Répondre à l’appel désespéré de ces patients en les aidant à mettre fin à leur jour est inadapté et hautement discutable sur le plan éthique, juge le théologien bernois Interview.

APIC: En critiquant la décision de la ville de Zurich d’autoriser l’accompagnement de la mort volontaire dans les EMS, n’est-ce pas la légitimité de l’action des organisations d’aide au suicide que vous mettez en cause?

Christian Kissling: Les membres des organisations d’aide au suicide prétendent s’engager pour le bien-être des personnes qui souffrent. Je trouve pervers de vouloir aider les autres, lorsqu’ils sont en situation de crise, avec cette façon quasi industrielle de « tirer la prise ». Si les personnes actives dans ces associations avaient vraiment à cœur le bien-être des malades chroniques, elles se consacreraient à leur prodiguer des soins et à les accompagner dans leur maladie plutôt qu’à les aider à mourir.

APIC: Comment réagir lorsque des malades demandent à en finir avec la vie?

Christian Kissling: Pour soulager la souffrance, il fait améliorer les soins, les rendre à la fois plus professionnels et plus humains. Le malaise, dans le système santé, vient du décalage entre l’extraordinaire évolution des soins aigus et le retard considérable pris par la médecine palliative et les maigres moyens dont elle dispose. Le sauvetage des vies mises en péril par les accidents et la maladie n’a pas de prix. Dans notre société, les malades chroniques n’ont droit en revanche qu’au strict minimum, faisant les frais des restrictions de personnel et de la surcharge croissante des travailleurs de la santé.

On ne peut s’empêcher de même en parallèle le développement effréné de la médecine « high-tech » et l’autorisation de l’aide au suicide dans les institutions publiques. Est-ce que l’on ne cherche pas ainsi à réduire le coût élevé de la prise en charge des malades chroniques? J’y vois l’émergence d’une « mentalité d’élimination et de retraitement des déchets ». On met tout en œuvre pour sauver une vie. Lorsque l’on est confronté à un malade chronique pour qui, objectivement, il n’y a plus rien à faire, on veut l’ »aider » à libérer son lit dans les plus brefs délais.

APIC: L’autorisation de l’aide au suicide accrédite la thèse que l’homme peut gérer sa vie et sa mort. Cette revendication d’autonomie n’est-elle pas légitime?

Christian Kissling: Bien sûr que si. Mais en réclamant à corps et à cri le libre choix en toute circonstance, on oublie quelque chose d’important: il existe dans notre vie une part qui nous échappe et que nous ne pouvons maîtriser. On ne nous a pas demandé si nous voulions venir au monde; le malheur nous frappe sans nous demander notre avis: le bonheur ne vient pas non plus sur commande. Si nous nous en arrangeons plus ou moins, nous restons désemparés face à l’énigme finale de l’existence. D’abord, nous évitons de penser au fait que nous sommes mortels. Puis, confronté à notre fin prochaine, nous voulons encore garder le contrôle de l’aspect fragile et limité de notre existence et décider nous-même du moment de notre mort.

Il s’agit d’une exagération dangereuse de notre revendication d’autonomie. On ne peut pas plus organiser et gérer sa propre mort que sa naissance. Soumis aujourd’hui à la dictature de notre exigence de libre arbitre, nous devons réapprendre que nous ne pouvons pas tout dominer.

APIC: Est-il hors de question pour un catholique d’être membre d’une organisation d’assistance à la mort volontaire comme Exit ou Dignitas?

Christian Kissling: Je ne sais pas si l’Eglise l’interdit. Il me semble cependant qu’une foi chrétienne sincère est incompatible avec l’action de ces organisations.

APIC: Si le suicide est tabou, quel recours reste-t-il au croyant qui a le sentiment que sa souffrance et son état le privent de toute dignité?

Christian Kissling: Permettez-moi de répondre par une autre question. Qu’est-ce qu’une vie digne et qu’est-ce que la dignité? La dignité est-elle réservée aux personnes jeunes, en pleine possession de leurs moyens? Les personnes âgées, malades n’ont-t-elles pas la même dignité?

Si une personne souffrante pense qu’elle n’est plus digne de vivre à cause de sa déchéance physique, c’est peut-être que son entourage lui renvoie cette image indigne en lui prodiguant trop peu de soins, de soutien psychologique et d’attention. Si le patient souhaite mourir dans une telle situation, c’est bien qu’il demande de l’aide mais pas sous la forme d’une pilule qui lui permettra de mettre fin à ses jours.

APIC: Si on n’a pas de prise sur l’ »ultime énigme de la vie », comment l’affronter?

Christian Kissling: La bonne mort a une longue tradition dans l’histoire du christianisme mais il n’existe pas de voie royale pour franchir le cap. Une chose est certaine: tout être humain, a peur de la mort. Jésus sur la croix a éprouvé ce sentiment, car il était vraiment un homme. Mourir, ce n’est pas seulement « crever ». La mort est bien plus l’ultime accomplissement de la vie, l’abandon dans le mystère de Dieu. Nous ne savons pas ce qui vient après la mort – même nous, les « bons » catholiques qui croyons à la résurrection de la chair. Cela demande du temps pour se faire à l’idée que la mort est un lâcher prise et une libération dans le mystère infini de Dieu. Qui peut réellement et intimement accepter cette idée? Il ne reste en dernier ressort que l’espérance d’avoir le bonheur d’une mort douce et sans complication.

APIC: La décision de la ville de Zurich peut mettre en difficulté les aumôniers qui accompagnent les personnes dans les homes. Quelle réaction attendre d’un prêtre ou d’un assistant pastoral qui apprend qu’un pensionnaire qu’il visite veut se tuer?

Christian Kissling: C’est difficile de dire comment l’aumônier devrait se comporter dans chaque cas particulier. Une chose est claire: il est là avant tout pour réconforter et donner du courage au malade et pour lui dire que Dieu ne l’a pas abandonné. L’autre devoir de l’aumônier est de se faire l’avocat du patient face à la direction de l’institution. Le cri exprimé à travers le désir de suicide ne doit pas être ignoré. L’aumônier a le devoir de s’engager pour que l’on remédie aux éventuelles carences dans les soins et la prise en charge et que le patient reçoive l’assistance dont il a besoin.

L’aumônier n’abandonnera jamais un patient même si celui veut s’ôter la vie. Mais je ne peux pas concevoir qu’un aumônier aide quiconque à se suicider, de quelque manière que ce soit.

APIC: Le conseiller national socialiste et oncologue Franco Cavalli demande dans une initiative parlementaire, que l’aide directe et active au suicide soit dépénalisée en Suisse, comme au Pays-Bas. La décision de Zurich influencera-t-elle le débat?

Christian Kissling: En ville de Zurich, on a autorisé l’assistance au suicide. Je ne pense pas que cette décision de l’exécutif zurichois aura un effet sur la législation de l’euthanasie active en Suisse. (apic/mos/job/traductionMarie-JoséPortmann)

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