Le système d’un pouvoir corrompu démasqué

Pérou: Une vidéo a eu raison de Fujimori et de son bras droit Montesinos

Par Pierre Rottet, de l’APIC

Lima, 18 septembre 2000 (APIC) Une vidéo a eu raison du président Alberto Fujimori et de son éminence grise Vladimiro Montesinos. L’achat filmé du congressiste Kouri, transfuge a eu raison d’un système corrompu. La dernière élection de Fujimori, entachée de fraudes a politiquement isolé le pays et son président. Les pressions et le scandale révélé jeudi dernier ont poussé Fujimori à annoncer de nouvelles élections. Sans lui. Quant à Montesinos, il serait détenu par la > au siège social des Services de renseignements (SIN). Les évêques du Pérou se déclarent pour leur part satisfaits du retour de la démocratie dans le pays.

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Ces quelques lignes sont extraites de la conversation tenue entre le congressiste Alberto Kouri, et Vladimiro Montesinos, le bras droit de Fujimori, l’éminence grise du régime surnommée >. De source autorisée, des membres de la Marine sont à l’origine du retrait de 32 enregistrements vidéos des archives du SIN (Services secrets). Celui diffusé jeudi dernier montre Montesinos refilant 15’000 dollars à Alberto Kouri, un parlementaire récemment élu sous la bannière de l’opposition, avec >, pour qu’il passe au parti de gouvernement. Montesinos a en réalité été pris à son propre piège. Des milliers de vidéos et d’enregistrements ont en effet fixé la vie de milliers de citoyens pour exercer sur eux les pressions dont le pouvoir avait besoin pour mener à bien sa politique.

D’autres vidéos mettent en cause des transfuges dont 12 ont été identifiés lors de la votation du directoire du Congrès. La conversation entre Kouri et Montesinos évoque également un plan pour soudoyer le nombre de politiciens nécessaires pour assurer une majorité confortable au Congrès et contrôler les commissions parlementaires.

Douze transfuges

Dans un article publié en juin par >, l’APIC faisait déjà état de la corruption et des moyens utilisés par le pouvoir pour soudoyer des politiciens de l’opposition et les faire passer dans ses rangs. Le groupement, >, de Fujimori, minoritaire dans le nouveau Congrès – 52 mandats sur 120 – cherchait en effet par tous les moyens à obtenir les 9 voix manquantes. Le congressiste Tito Chocano, ex-maire de Tacna (sud) révélait avoir reçu une offre de 10’000 dollars pour passer dans les rangs de Fujimori. Le parlementaire de Juliaca, Leoncio Torres affirmait de son côté avoir reçu une proposition semblable. Cinq congressistes de l’opposition ont révélé avoir reçu des appels pour un montant global de 50’000 dollars ainsi que la promesse d’une rétribution mensuelle s’ajoutant à leur salaire de parlementaire. Le > a fini par payer, puisque 12 congressistes de l’opposition ont passé à l’autre bord, dont Alberto Kouri et Frederico Salas, candidat à l’élection ce printemps, nommé Premier ministre en récompense.

Capitaine déchu pour espionnage, l’avocat Montesinos a tissé un maillage de relations obscures avec l’armée, les trafiquants de drogues et la CIA (v. encadré). Un mélange de compagnonnage et de chantage lui a valu de placer les gradés de sa promotion aux postes les plus stratégiques de la hiérarchie militaire et d’infiltrer les pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif.

Au lendemain de la diffusion de la vidéo, les pénibles négociations entre l’opposition, le gouvernement et l’Organisation des Etats américains (OEA) ont été bloquées. L’opposition a suspendu sa participation aux pourparlers et mis deux conditions à son retour à la table: l’éviction de Montesinos et de nouvelles élections, sans Fujimori. Les congressistes de cette même opposition ont en outre décidé de ne plus participer aux séances du Congrès, paralysant ainsi l’appareil politique de l’Etat. Pour le président Fujimori, pressé par les Etats-Unis de rétablir la démocratie et la confiance – le leader de l’opposition Alejandro Toledo se trouvait à Washington au moment de l’annonce de nouvelles élections – le situation devenait de plus en plus intenable, avec un pays politiquement immobilisé, des investissements étrangers en chute libre, et un isolement international de plus en plus grand. Quant aux citoyens opposés à Fujimori, ils se demandent où est passé l’argent des privatisations, 7,7 milliards de dollars entre 1991 et 1998. Depuis 8 ans, aucun budget digne de se nom n’a de surcroît été présenté.

Les pressions et mises en garde, même subtiles, de chefs d’Etat lors de sommets à Brasilia et New York ont sans doute aussi miné la détermination de Fujimori de s’aventurer cinq ans de plus à la tête du pays.

Les hypothèses

Aujourd’hui encore Fujimori se mure dans le silence après son bref message à la nation. La Constitution de 1993 ne prévoit pas le cas spécifique de la crise et d’élections avancées. D’ailleurs Fujimori reste président; il ne fait qu’écourter son mandat. La position du vice-président du Pérou et congressiste Francisco Tudela – qui a déjà annoncé sa possible candidature – est de tenir un référendum promu par le Congrès et de déterminer si oui ou non l’électorat veut des élections générales.

L’hypothèse la plus probable toutefois est que la décision à prendre se négocie dans le cadre de la reprise des pourparlers avec l’OEA. Déjà on parle d’un gouvernement de transition. Le nom de l’ombudsman, Jorge Santisteban, est suggéré par divers politiques. Juriste et autrefois fonctionnaire du Haut-Commissariat des Nations-Unis pour les Réfugiés, Santisteban est le premier ombudsman du Pérou (une nouvelle figure de droit inscrit dans la Constitution de 1993). Il est apprécié pour l’équilibre de ses positions. D’autres leaders, dont le même Alejandro Toledo, qui avait refusé de participer au second tour, ainsi que Fernando Olivera, l’homme qui a eu > par Montesinos interposé, sont également bien placés

Des élections ne seront cependant tenues qu’après de sérieuses réformes du système électoral pour éviter la répétition de la fraude du dernier scrutin. Pas avant 6 ou 7 mois, avance-t-on d’ores et déjà à Lima. (apic/pr)

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