APIC – Interview
Un avion décollera de Paris le 29 septembre
Pierre Rottet, agence APIC
Paris, 27 août 2000 (APIC) Le 29 septembre prochain, un avion affrété par le Père Jean-Marie Benjamin décollera de Paris, en direction de Bagdad, avec à son bord plus de 150 personnalités. En avril dernier, le prêtre français avait déjà défié les forces américano-britanniques en posant pour la première fois en dix ans un appareil sur l’aéroport de Bagdad. Le vol Paris-Bagdad emmènera des députés de plusieurs pays européens, des hommes de lettres et des scientifiques, des Prix Nobel, des évêques et d’anciens ministres, ainsi que des journalistes.
L’action, coordonnée par 4 ONG françaises – « Amitiés franco-irakiennes », « Enfants du monde-droits de l’homme », « Co-développement tiers monde », « Coordination internationale pour la levée de l’embargo » – résonne comme un défi lancé aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne, qui, insiste le Père Benjamin, ont unilatééralement décrété les deux zones d’interdiction de vol, au sud et au nord de l’Irak. La France a d’ores et déjà donné l’autorisation au départ de l’avion.
Au Quai d’Orsay, à Paris, on confirme: « De notre point de vue, le Conseil de sécurité de l’ONU n’a jamais adopté de texte spécifique visant à instaurer une interruption de vol général à destination ou en provenance de l’Irak ».
En compagnie des ONG partenaires, le Père Benjamin travaille depuis plusieurs mois à rendre possible « Un avion pour l’Irak », afin de braver les interdits et les diktats. Et dénoncer la catastrophe humanitaire qui s’abat depuis 10 ans sur l’Irak, en raison de l’embargo de l’ONU, imposé par Washington et Londres après la guerre du Golfe. Interview.
APIC: Pourquoi ce vol, cette action de défi. Et qu’espérez-vous de cet acte?
Père Benjamin: Il s’agit en premier lieu de sensibiliser et motiver les pays européens. L’Europe peut influencer sur le veto anglo-américain en vue de lever l’embargo. Pour la première fois, dans l’ »histoire modrne des guerres » tout au moins, un pays détruit et anéanti par une guerre, comme ce fut le cas avec la guerre du Golfe, se trouve achevé de la sorte. Un peuple tout entier est enfermé comme dans un camp de concentration. Tout au long de ces dix ans, on s’est acharné pour empêcher ce peuple de reconstruire, en allant jusqu’à lui couper l’alimentation, l’aide, la santé, la médecine, même si celle-ci est envoyée au compte gouttes.
Le but de l’action est aussi de dénoncer les deux zones d’interdiction de vol, au nord et au sud, au niveau des 33e et 46e parallèles, décrétée unilatéralement par Washington et Londres. Contrairement à ce que peut dire ou écrire la presse ou ces deux capitales, ces zones d’interdiction n’ont pas été imposées par la communauté internationale. Elles n’ont jamais été reconnues ni par les Nations Unies, ni par la communauté internationale. En d’autres termes, les opérations anglo-américaines sont aujourd’hui encore et toujours unilatéralement décidées.
APIC: Une provocation lancée contre les Etats-Unis et leurs alliés britanniques, qui larguent encore et toujours leurs bombes au-dessus du territoire irakien…
Père Benjamin: En quelque sorte. Cette hypocrisie doit être dénoncée. D’où ce vol, effectivement. Il n’existe aucune résolution des Nations Unies à propos d’un d’embargo aérien contre l’Irak, ou plutôt de ces zones d’interdiction de vol. Et nous entendons le rappeler au monde par le biais de notre action.
APIC: On suppose qu’un certain nombre d’appuis ont été accordés pour rendre possible le départ de l’avion de Paris, pour un vol annoncé vers Bagdad, via un espace aérien à hauts risques dans cette région du Proche-Orient.
Père Benjamin: La France a d’ores et déjà autorisé le décollage de notre avion. Le ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine m’a personnellement répondu. Dans un communiqué daté du 4 avril dernier, soit au lendemain de notre atterrissage à Bagdad, le premier après 10 ans (voir encadré), la France a confirmé qu’il n’existe aucun embargo aérien. Elle l’a du reste répété il y a une quinzaine de jours. Les raids aériens britanniques et américains, meurtriers s’il en est, sont une violation flagrante du droit international.
APIC: Les Britanniques et les Américains prétendent pourtant le contraire…
Père Benjamin: Ils sont bien les seuls. Pire, ils poursuivent leurs bombardements. Il y a quelques jours, plusieurs missiles ont été largués dans une région du sud de l’Irak. Bilan: 2 morts et 19 blessés. Cela sous le prétexte que des tirs de la défense irakienne menacent les avions américains et anglais. De qui se moque-t-on? Les missiles sont tirés d’une altitude de 10’000 mètres, guidés par laser, sur des défenses aériennes qui datent des années 70 à 80, donc dans l’impossibilité technique d’atteindre les avions anglais et américains. Non seulement ces avions n’ont rien à faire dans cette région, mais encore ils violent l’espace aérien d’un pays souverain, au mépris le plus total du droit international.
APIC: L’aéroport de Bagdad vient d’être rouvert, par le ministre irakien des Transports, après votre raid du 3 avril dernier à bord d’un Cessna. Le geste irakien est-il en relation avec le vol attendu le 29 septembre au soir?
Père Benjamin: On peut le penser. Notre opération d’avril a sans doute contribué à faire ce pas supplémentaire pour rendre possible des atterrissages à l’aéroport international de Bagdad. Il est actuellement encore en chantier pour accueillir notre vol, et d’autres, qui devraient suivre, pour braver les interdits qui frappent le peuple, et des enfants. L’embargo, en dix ans, a déjà coûté la vie à près d’un million et demi de personnes, dont plus de 500’000 enfants innocents.
APIC: Le vol Paris-Bagdad survolera-t-il ces fameuses zones d’interdiction, surveillées de près par les radars des Anglos-Américains et sillonnées par les F15 des Etats-Unis?
Père Benjamin: Je ne peux pas répondre pour l’instant. Une à deux heures avant le départ de l’avion pour Bagdad, nous tiendrons une réunion avec les quelque 150 passagers. C’est à ce moment-là seulement, que sera annoncé le plan de vol, cela, pour des questions de sécurité bien évidente. Aller atterrir avec un plan de vol publié par avance est beaucoup trop dangereux. Il s’agit maintenant d’étudier les possibilités de contourner les éventuels refus d’espaces aériens, par l’un ou l’autre pays. En le faisant, je signale que ce n’est pas seulement à la France qu’on le refuserait, cet espace, mais à d’autres pays européens, qui participeront à ce « raid » Paris-Bagdad.
APIC: Qui sera présent à bord du Paris-Bagdad le 29 septembre?
Père Benjamin: Je ne donnerai aucun nom pour l’instant. Je puis cependant vous annoncer le soutien de 7 Prix Nobel, dont deux seront à bord. Seront aussi présents une quarantaine de parlementaires européens, dont près de 25 Français. Les autres viennent d’Italie, d’Allemagne, d’Angleterre et d’Autriche, notamment. La liste n’est pour l’heure pas exhaustive. Deux hommes politiques suisses figurent parmi les passagers. Des journalistes de la plupart des grandes agences de presse et de grandes chaînes de TV d’Europe – TFI, notamment, sont annoncés. Je vous confirme en outre la présence de quelque 60 artistes, des acteurs et des chanteurs de renom, français en particulier, ainsi que des hommes de lettres. Tous ce monde côtoiera des juristes européens spécialistes du droit international, des représentants de l’UNESCO, de l’UNICEF, de Médecins Sans Frontières, et des plus importantes organisations mondiales des droits de l’homme, des scientifiques, des ambassadeurs de France à l’étranger, des anciens ministres, ainsi que des personnalités religieuses, mondiales et françaises, dont deux évêques.
APIC: Peut-on parler de vol à hauts risques…
Père Benjamin: Difficile à dire. Qui prendrait la décision d’intervenir, alors qu’à bord se trouveront des dizaines de parlementaires, des journalistes, y compris américains, et de nombreuses grandes personnalités. Si la Jordanie, aux ordres des Etats-Unis, ne nous laisse pas passer, deux alternatives sont prévues, que je ne dévoilerai pas. Reste la possibilité qu’Anglais et Américains fassent décoller leurs tristement fameux F15 pour nous obliger à atterrir dans un endroit ou l’autre… Je précise que le but de notre opération n’est nullement de provoquer, mais bien de sensibiliser le monde au drame humanitaire de l’Irak, à cause de l’embargo. Et de dire notre refus, qu’au nom des droits de l’homme et de la démocratie, un peuple entier soit ainsi massacré, anéanti.
APIC: Qui finance le projet?
Père Benjamin: Les ONG attachées à l’organisation de ce vol pour une part, et de l’autre les gens qui prendront place à bord du vol Paris-Bagdad. Tous, y compris la presse, ont accepté une participation financière, proportionnelle selon l’importance du média. (apic/pr)
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