Rome: Béatification dimanche 3 septembre du pape Pie IX

APIC- Interview

Le Syllabus de Pie IX en question

Caroline Boüan, pour l’agence APIC

Rome, 30 août 2000 (APIC) Le 8 décembre 1864, le Saint-Siège publie l’encyclique du pape Pie IX « Quanta cura » sur les « erreurs modernes ». Cette encyclique, qui allait faire grand bruit, est accompagnée d’un texte qualifié d’explosif, le « Syllabus », ou « Catalogue des principales erreurs de notre temps ». 80 de ces erreurs sont énumérées, condamnant en vrac le libéralisme, le socialisme, le communisme, le rationalisme, les sociétés bibliques, les sociétés clérico-libérales, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la liberté totale de culte ou de presse… On reparle de ce catalogue à l’occasion de la béatification contestée du pape Pie IX.

Le Syllabus mérite d’être mieux replacé dans son contexte pour être correctement compris, estiment les auteurs de l’ouvrage « Le Syllabus de Pie IX », qui vient de paraître aux éditions du Cerf à quelques jours de la béatification de Pie IX par Jean Paul II le 3 septembre. Pour ses deux auteurs, le Père Roland Minnerath, professeur à l’Université catholique de Strasbourg et membre de la Commission théologique internationale, et le Père Paul Christophe, professeur d’histoire de l’Eglise à la Faculté de théologie de Lille, il ne s’agit pas de voir en Pie IX uniquement un pape condamnant la liberté des cultes et le libéralisme. Car, si l’on prend en considération le contexte historique d’alors, ce que condamnait Pie IX, ce n’était pas la liberté de conscience, mais plutôt ce qu’il percevait comme une machine de guerre contre l’Eglise, et une opposition à la foi par l’affirmation de la supériorité de la raison.

APIC: L’image de Pie IX est aujourd’hui celle d’un pape très intransigeant. Pourtant, au début de son pontificat, il était considéré comme un pape libéral. Pourquoi ce changement de réputation ?

R: Au début de son pontificat, en 1846, Pie IX avait effectivement une réputation de « libéral ». On le présentait facilement comme acceptant le libéralisme, c’est-à-dire les principes de la Déclaration des droits de l’homme issus de la Révolution française. On l’opposait ainsi à son prédécesseur Grégoire XVI, présenté comme « intransigeant », c’est-à-dire refusant ces mêmes principes, et favorable à la religion d’Etat. En France, quelqu’un comme Frédéric Ozanam, fondateur des Conférences de Saint-Vincent-de-Paul, s’est émerveillé de l’intérêt du nouveau pape pour les idées nouvelles, et il attendait des réformes de sa part.

De fait, Pie IX a ouvert son pontificat par des réformes. Il a notamment décidé la construction de chemins de fer dans les Etats pontificaux, et il a accordé une amnistie pour les prisonniers politiques, qui fut assez large, bien que prudente. Cette amnistie a contribué à répandre l’idée qu’il était un pape « libéral ». En réalité, Pie IX, plus que « libéral », était d’une grande libéralité d’âme, d’une profonde bonté, et d’une grande générosité.

A Spolète et à Imola, les deux diocèses dont il avait été évêque auparavant, il avait exercé ses responsabilités dans le sens de la conciliation, notamment lors de la révolution de 1831. Il avait alors invité ceux qui avaient rallié l’insurrection à déposer les armes, sans toutefois les dénoncer une fois le calme revenu. Mais beaucoup des auteurs des remous de l’époque, qui prônaient l’unité de l’Italie, voulaient que le pape prenne la tête d’une confédération italienne dirigée contre l’Autriche. Ce n’était pas du tout son intention.

Dans ce contexte, Pie IX s’est trouvé piégé par ses propres déclarations de « Vive l’Italie ! » car cela fut mal interprété, et présenté comme un soutien à la cause de l’unité italienne et à la guerre contre l’Autriche. Or, lorsque celle-ci fut effectivement déclarée, au mois de mars 1848, et que des volontaires de tous les Etats italiens y participèrent, Pie IX en fut consterné. Il réaffirma qu’il ne désirait pas la guerre. Du coup, à la légende du pape « libéral » succéda celle du pape « traître » à la cause italienne.

APIC: Le pape voulait en particulier conserver les Etats pontificaux, qui sont considérés par la papauté dès les origines au VIIIème siècle comme la garantie de son indépendance spirituelle vis-à-vis des puissances temporelles.

R: La même année en effet eut lieu la Révolution, comme dans beaucoup d’Etats européens. Les révolutionnaires organisèrent une manifestation devant le palais du Quirinal, au point que Pie IX dut fuir et partit pour Gaète, à environ 70 kilomètres au nord de Naples, où il resta environ un an et demi. Pendant ce temps, il fit savoir son opposition aux mesures prises par les révolutionnaires. Il défendit en particulier les Etats pontificaux, et appela à l’aide les nations catholiques, si bien que lorsqu’il put finalement rentrer à Rome en avril 1850 ­ grâce notamment à l’intervention des Français – c’en était fini de l’image du pape libéral, et cela, jusqu’à la fin de son pontificat qui devait durer jusqu’en 1878.

APIC: Cette réputation d’intransigeance n’a pu être que renforcé avec la parution du « Syllabus »!

R: Effectivement, le Syllabus, paru en 1864, a contribué à faire apparaître le pape comme celui qui condamnait la liberté des cultes et le libéralisme. Le contexte de leur publication nuance toutefois cette vision des choses. Ce que condamnait Pie IX, ce n’était pas la liberté de conscience, mais plutôt ce qu’il percevait comme une machine de guerre contre l’Eglise, et une opposition à la foi par l’affirmation de la supériorité de la raison.

Cela ne contredit pas ce qui a été affirmé ensuite par le Concile Vatican II, à savoir que la liberté religieuse doit être défendue face aux totalitarismes et à la société. En un siècle, la civilisation a changé. Entre-temps, il y a eu les guerres mondiales et l’expérience des dictatures. On se trouve aujourd’hui dans un monde pluraliste, où l’on met davantage l’accent sur la liberté subjective.

APIC: Dans le Syllabus, c’est surtout le dernier paragraphe qui a attiré l’attention. Est-ce qu’il ne s’agissait pas d’une condamnation de la civilisation moderne ?

R: L’encyclique « Quanta cura », et le Syllabus, ou « Recueil renfermant les principales erreurs de notre temps », furent publiés ensemble le 8 décembre 1864. Pourtant, le Syllabus eut plus de retentissement par les propositions qu’il condamnait, et en particulier à cause de la dernière, la 80ème: « le pape peut et doit se réconcilier et transiger avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne ». La condamnation d’une ouverture du pape au progrès et à la modernité n’était pas une formulation très habile, il faut le reconnaître. Il était en effet assez maladroit d’affirmer de cette manière que le pape ne pouvait pas se réconcilier avec la civilisation moderne.

Il faut toutefois rappeler, pour comprendre le sens de cette condamnation, que toutes les phrases du Syllabus reprenaient des encycliques ou des discours précédents ­ en l’occurrence une allocution prononcée en 1861 en ce qui concerne la 80ème proposition – qui se situaient dans des contextes plus restreints et souvent très polémiques.

APIC: Pour Pie IX, le concept de progrès et de libéralisme avaient un sens précis…

R: C’est un fait qu’au moment de la parution du Syllabus, beaucoup de journaux ont tourné en ridicule la mention du « progrès » par le pape, en disant qu’il s’opposait à l’éclairage au gaz, aux machines à vapeur et autres nouveautés technologiques. Pie IX ne s’opposait évidemment pas à tout cela. Le mot « progrès » était en effet entendu, dans le milieu libéral de l’époque, comme le moment où la science chasserait enfin les « ténèbres religieuses ».

Par ailleurs, si l’on considère la question du libéralisme, il faut tenir compte du fait que le mot se référait alors au gouvernement libéral tel que le pratiquait le Piémont, qui, au nom des idées modernes, prenait des mesures antireligieuses contre l’Eglise catholique. Il ne s’agissait donc pas d’une abstraction. Le libéralisme était plutôt synonyme du rationalisme qui l’emporte sur foi, et, dans le contexte italien, de toute une série de mesures anticléricales.

APIC: En France et ailleurs, les réactions ont été nombreuses du côté de l’Eglise comme du Gouvernement.

R: Effectivement, lorsque le document est paru, Napoléon III a interdit au clergé français de le publier. Les journalistes, en revanche, se sont précipités sur le texte, et en ont fait des traductions personnelles comme ils ont pu. On s’est retrouvé alors avec de nombreuses erreurs. Par exemple, l’expression latine « Res publica », qui signifie l’Etat, la « chose publique », a été traduite à tort par « République ». Or cela ne visait pas le régime républicain.

Les questions de traduction sont très importantes en ce qui concerne le Syllabus. En effet, comme il rassemble une série de phrases très courtes, des inexactitudes en viennent à modifier assez sérieusement le sens de ses paragraphes. De tels amalgames ont donc créé des malentendus importants, alors que l’ensemble était plus atténué dans le texte original. D’autant plus que l’aspect « intransigeant » du texte a été accentué par les commentaires des catholiques partisans de la ligne de Louis Veuillot, face à celle des catholiques plus libéraux, comme Montalembert.

La réaction de Mgr Dupanloup, évêque d’Orléans, a eu dans ce cadre un très grand succès. Il a en effet expliqué dans une brochure comment comprendre le langage du Syllabus en dehors du contexte italien. Et Pie IX l’a personnellement remercié pour ces clarifications opportunes. Telle quelle est présentée, et sans explications, une phrase comme la 80ème proposition du Syllabus ressemble en effet à une déclaration de guerre. Ce n’est pas une interprétation très sérieuse. La pensée de l’Eglise et du pape était tout de même plus nuancée. Mais un catalogue d’erreurs n’était pas forcément la meilleure solution pour la présenter. Il aurait fallu sans doute être plus prudent, vu l’environnement très idéologique dans lequel le document devait être reçu. (apic/imedia/cb/be)

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