Si le dialogue instauré entre le gouvernement colombien et les deux principaux groupes insurrectionnels du pays, l’ELN et les FARCS (Forces armées révolutionnaires de Colombie) est unanimement salué, notamment par les secteurs en conflit dans le pays, les civils, les gouvernement européens et latino-américains, la méfiance voire la franche désapprobation domine en revanche à l’égard du « Plan Colombie », du président Pastrana. Ce « Plan », adopté fin juin par le Sénat des Etats-Unis, est largement critiqué par l’Union européenne, largement réservée sur la question. Une position que partage du reste la Suisse, confirme-t-on au DFAE à Berne. Ce « Plan » été déjà discuté le 7 juillet à Madrid, au cours d’une rencontre entre des représentants du gouvernement colombien et ceux de plusieurs pays de la communauté internationale, dont la Suisse, l’Espagne, le Canada et le Japon.
« El Plan Colombia » » a cependant été accepté par le Sénat des Etats-Unis dans le cadre d’un projet de loi sur les dépenses destinées à l’étranger. Ce projet porte sur un montant de 13,4 milliards de dollars, dont 934 millions en fonds d’urgence pour la Colombie. Ces fonds seront débloqués cette année encore, alors que ce soutien est perçu en Amérique latine comme une ingérence militaire des Etats-Unis dans les affaires intérieurs des pays.
Dans une note aux médias, le président Andres Pastrana s’en explique. Il est clair, dit-il, que la Colombie n’arrivera pas toute seule à relever les défis qui se posent à son pays. Raison pour laquelle, explique-t-il, « nous avons dessiné une stratégie qui permettra à la Colombie de marcher en avant ». Selon lui, le « Plan Colombia » permettra de « renforcer la démocratie, d’améliorer la participation citoyenne, d’atteindre la paix, de lutter contre le trafic de drogue, de moderniser et d’élargir l’accès à la justice, de promouvoir davantage la défense des droits de l’homme… »
Aujourd’hui, rappelle le président Pastrana, avec les FARCS, la guérilla la plus importante du pays, « nous avons délimité une zone destinée exclusivement au dialogue de paix, et nous avons convenu d’un agenda avec des thèmes à discuter ». Début juillet, relève encore le président Pastrana, une réunion internationale s’est tenue dans la zone démilitarisée accordée aux FARCS, en présence de représentants de 21 pays, y compris la Suisse, afin de traiter des substitutions des cultures illicites ». Une démarche semblable se tisse désormais avec l’ELN, admet enfin Andres Pastrana. Ce processus de dialogue « pourrait conduire à la tenue de la grande Convention nationale ». Et permettre de « mettre fin au conflit avec ce groupe ».
Favorables au processus de paix engagé entre le gouvernement et les forces de guérilla, mais opposées au « Plan Colombia », la Commission internationale catholique « Justice et Paix » ainsi que d’autres associations de défense des droits humains viennent en effet de joindre leur voix au cri lancé, le 15 juin à Bruxelles, par deux représentants de communautés indiennes de Colombie. Tous demandent à l’Union Européenne de ne pas soutenir le « Plan Colombia » inspiré par Washington.
Loin d’y voir un plan de paix, ils en dénoncent les dérives répressives et les menaces pour les civils et les communautés indigènes. Cet appel a été lancé dans la foulée de la rencontre du 19 juin à Londres entre les pays susceptibles de soutenir financièrement un plan de paix en Colombie. Cette rencontre a rassemblé des représentants des Etats-Unis, du Japon, du Canada, de la Norvège, de la Suisse et de pays de l’Union Européenne, ainsi que de la Banque Interaméricaine de Développement.
Le « Plan Colombia » a été présenté pour la première fois en décembre 1998 par le président Andrés Pastrana comme programme parallèle aux négociations entamées avec la guérilla. Un « plan parallèle » élaboré en fait en dehors de toute concertation avec les secteurs les plus représentatifs de la société civile, bien que prétendant soutenir des projets de développement. Depuis six mois, le plan a été diffusé en sept versions. Celle présentée aux sénateurs de Washington pour obtenir l’aval du Congrès semble avoir été particulièrement influencée par le Pentagone, observent les organisations humanitaires latino-américaines.
Logique de paix ou logique de guerre?
Le « Plan Colombia », sous la couverture d’un plan de paix, développe « une logique de guerre » et « une logique financière » incompatibles avec les impératifs de justice et de développement, avertit SocialAlert, une coalition de défense des droits humains, dont font notamment partie Pax Christi International, la Jeunesse Ouvrière Chrétienne Internationale et le Mouvement Mondial des Travailleurs Chrétiens.
Les cinq chapitres de ce plan, selon SocialAlert, tendent à réduire les efforts de paix à un jeu diplomatique et militaire et à ramener le développement à un accroissement d’investissements étrangers. La participation qu’il demande aux différents partenaires vise surtout à renforcer une présence militaire et la lutte contre le trafic de drogue. « Nul doute que ce trafic est un fléau qui alimente la violence », admet Isabelle Hoferlin, coordinatrice de SocialAlert. « Mais ce n’est qu’une des causes de la violence. Or le plan, tel qu’il est conçu, implique un investissement massif en armes et en aide militaire, surtout de la part des Etats-Unis. Pareil plan risque d’alimenter la spirale de la violence en relançant la lutte contre la guérilla ».
Tous s’inquiètent en outre du coûtde ce plan d’aide très militarisée: 7,5 milliards de dollars. Trois milliards seront versés par la communauté internationale mais les 4 autres resteront à charge de la Colombie.
Les indigènes, premiers menacés
Le « Plan Colombia » n’a rien pour rassurer les communautés indigènes témoignent Armando Valbuena, président de l’Organisation Nationale des Indiens de Colombie et son compatriote Berito Cubarua, représentant de la communauté indienne des U’was. « Ce plan menace directement notre survie ! », s’indigne Armando Valbuena. « En quinze ans, la violence a fait de nombreuses victimes dans nos rangs. Nos communautés indigènes ont déjà payé un lourd tribut aux grands propriétaires terriens, aux compagnies multinationales, et aux groupes paramilitaires. Des villages entiers ont été déplacés par la force et la violence, soit 2 millions de personnes à ce jour.
Un dixième des 45’000 hectares de terres affectées à la culture de la feuille de coca est probablement consacré à la production de drogue, si convoitée par les trafiquants. Depuis des années, les populations indigènes cherchent à nouer le dialogue avec le gouvernement. Mais rien ne vient. « Nous ne comptons pas! », constate Berito Cubarua. Sa communauté souffre particulièrement de l’exploitation de sa terre ancestrale par l’Occidental Petroleum Company (Oxy) qui, en accord avec le gouvernement de Bogota, « s’approprie notre sol, pollue notre eau, nous exploite et cherche à nous éliminer », dénonce le représentant U’wa. Pour les indigènes le problème numéro un est la répartition de la terre. Une minorité de possédants (2,6% de la population) s’est en effet appropriée 65% du sol colombien; une infime minorité de 0,3% possède à elle seule 45% du territoire national, fractionné en immenses propriétés de 500 hectares et plus. (apic/pr)
webmaster@kath.ch
Portail catholique suisse