APIC Reportage
Au cœur de l’îlot chrétien du Qalamoun… où l’on parle encore la langue de Jésus
Jacques Berset, agence APIC
Les cloches sonnent à toute volée. Une litanie d’anges en aubes affublés d’ailes en tissu, l’évêque portant à bout de bras l’ostensoir du Saint-Sacrement sous un dais porté par quatre hommes vigoureux. L’album couleur sépia de mon enfance fribourgeoise ? A l’angle du square, la mosquée et le portrait tutélaire du président Hafez el-Assad et de ses deux fils me ramènent sur terre: nous sommes à Maaloula, le seul endroit de Syrie où l’on célèbre encore la Fête-Dieu.
Les maisons en terrasse aux couleurs pastel s’égrènent comme des alvéoles dans la falaise ocre échancrée par l’érosion. Dans ce paysage aride couleur de sable, l’œil est attiré par de grandes croix peintes sur des pans de rochers qui s’élèvent à 1650 m d’altitude. A une cinquantaine de kilomètres au nord de Damas se dresse Maaloula, l’une des perles de l’îlot chrétien du Qalamoun, terre sainte prisée par les ermites et les pèlerins depuis deux millénaires. Situé à l’écart des grandes routes commerciales passant plus à l’Est, le long plateau du Qalamoun a été comme préservé des remous de l’Histoire.
Maaloula, « l’entrée » en araméen, est lovée au fond d’un amphithéâtre de pierre couronné par le monastère grec-catholique de Saint-Serge, Mar Sarkis. Le couvent, datant de l’empereur Constantin, a été construit en l’honneur des saints Serge et Bacchus, deux officiers romains d’origine syrienne exécutés en 297 pour avoir refusé de sacrifier aux idoles.
Du plateau, la route des pèlerins redescend ensuite vers l’entrée d’un canyon assez étroit et impressionnant qui ramène vers le village par le défilé de Sainte-Thècle. Cette dernière, fille du gouverneur romain d’Iconium (l’actuelle Konya, en Turquie) abandonna tout pour suivre saint Paul. Elle est l’une des saintes les plus populaires de l’Orient chrétien. Le monastère des sœurs grecques-orthodoxes de Mar Takla est construit au pied de la grotte où la sainte chercha refuge et passa le reste de sa vie en prière. La foule venue de loin s’y presse: il y suinte une eau dont les vertus miraculeuses guériraient les rhumatismes notamment.
Ce jeudi, toute la population – le village compte 80% de chrétiens, les melkites catholiques approchant les 60%, les autres étant grecs-orthodoxes – est endimanchée et les rues ont été soigneusement nettoyées. Quelques musulmans coiffés d’un keffieh devisent entre eux et contemplent le cortège qui se forme sur la place. De 3000 âmes en hiver, le village passe à 15’000 habitants en été, quand reviennent ceux qui travaillent à Damas pendant les périodes scolaires. Une partie d’entre eux a déjà commencé l’estivage.
Une tradition catholique occidentale
« On ignore la Fête-Dieu dans le reste de la Syrie, car c’est une tradition catholique occidentale, en principe étrangère à la spiritualité orientale, mais ici, même les orthodoxes participent à la fête, c’est devenu une manifestation religieuse pour tous », relève l’ancien vicaire patriarcal François Abou Mokh, lui-même natif de Maaloula.
La procession du « Corpus Domini », la Fête-Dieu – une célébration née au XIIIe siècle à Liège – ne se fait plus qu’à Maaloula en semaine. « Avant, on faisait de telles processions dans les rues d’Alep, d’église en église, mais elles ont été supprimées. Cela ne fait pas partie de la mentalité orientale… plus orientée vers le sacré, le mystère, les icônes: le corps et le sang du Christ ne doivent pas être exposés dans les rues. C’est une fête typiquement catholique que l’Eglise melkite a introduite après l’union avec Rome », précise Mgr Isidore Battikha, vicaire patriarcal d’Antioche des grecs-melkites, venu tout exprès de Damas.
Empruntant les venelles qui serpentent dans la falaise, le cortège portant le Saint-Sacrement passe d’une église à l’autre, sans distinction confessionnelle. A la tête de la procession, Mgr Battikha porte l’ostensoir contenant l’hostie. Il progresse sous un dais porté par quatre hommes au milieu d’une foule compacte revêtue de ses plus beaux habits: les filles à l’allure occidentale, joliment maquillées et portant jeans et baskets à hautes semelles côtoient les femmes mûres, chapelet à la main et couvertes d’une mantille noire. Maaloula aux couleurs ocres brille sous le soleil, du haut des terrasses ou sur le pas des portes, des femmes aspergent la foule avec du parfum et répandent des pétales de rose.
Des petites filles en aubes bleues et blanches encadrées par des religieuses portent haut bannières et oriflammes marquées du cœur du Christ. L’évêque s’arrête alors pour donner la bénédiction devant les reposoirs préparés par les familles de la ruelle. Les plus dévots vont toucher tableaux et statues de la Vierge – de style tout à fait occidental! – placés sur les autels. Vers midi, sur la place écrasée de soleil, la foule joyeuse se disperse pour le repas de fête. (apic/be)
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