Rwanda: Les juges de Kigali acquittent Mgr Augustin Misago, accusé de génocide
Kigali, 15 juin 2000 (APIC) Mgr Augustin Misago, l’évêque catholique de Gikongoro accusé de complicité dans le génocide rwandais de 1994 et de crimes contre l’humanité, a été acquitté jeudi après-midi par un tribunal de Kigali, confirme la nonciature apostolique à Kigali. Le procureur avait réclamé la peine de mort contre le prélat âgé de 57 ans, qui vient de passer 428 jours en prison. A l’énoncé du verdict, l’évêque atteint dans sa santé, s’est mis à pleurer, rapportent les témoins.
Mgr Misago a toujours clamé son innocence, se considérant comme « victime d’un complot politique » visant à affaiblir l’Eglise. Le Vatican, et le pape en personne, n’ont jamais douté de l’innocence du prélat, considéré comme le bouc émissaire du régime en place à Kigali. Le Saint-Siège ne lui a pas ménagé son soutien. L’issue du procès prouve que les interventions étrangères, qui soulignaient la vacuité du dossier et la nature politique de l’action judiciaire contre l’évêque de Gikongoro, ne sont pas restées sans effet.
Après près de deux heures de lecture du jugement en langue rwandaise, le kinyarwanda, les juges ont laissé tomber toutes les accusations contre Mgr Misago, qui doit donc être libéré. « Mgr Misago est libre, il a gagné le procès », a déclaré Jariel Sekarusu, juge de la Cour criminelle de Kigali. Les juges qui ont prononcé le verdict d’innocence en présence de nombreux observateurs et responsables de l’Eglise catholique au Rwanda, ont pénétré en salle d’audience à 15 h 08 (heure française). La séance a commencé par une récapitulation des chefs d’accusation et des preuves présentées au cours de l’entière procédure judiciaire, qui a duré 10 mois. A 57 ans, Mgr Misago, qui s’est levé à l’entrée des juges, n’a pas été autorisé à s’asseoir pour se reposer. Les 14 mois qu’il a passés en prison ont pourtant sérieusement détérioré ses conditions de santé
Mouvement de prière et de solidarité autour du monde
Alors que l’on attendait jeudi à Kigali le verdict du procès en cours depuis 10 mois contre l’évêque de Gikongoro, Mgr Augustin Misago, accusé d’avoir participé au génocide anti-tutsi de 1994 au Rwanda, un mouvement de prière et de solidarité s’est créé spontanément en plusieurs parties du monde. Mgr Misago, depuis 428 jours dans les geôles rwandaises, a toujours clamé son innocence, se considérant comme « victime d’un complot politique » visant à affaiblir l’Eglise.
L’avocat béninois Me Alfred Pognon, qui dirige le collège de la défense du religieux, s’est toujours dit optimiste sur l’issue favorable du procès, étant donné que le dossier de l’accusation était vide et qu’il n’existait pas de preuves contre Mgr Misago. D’après Me Pognon, le procès de Mgr Misago, contre lequel la peine de mort était requise, représente pour la justice rwandaise une occasion de démontrer qu’elle est réellement « super partes », impartiale.
Dans de nombreux monastères et communautés religieuses du monde entier, on prie depuis quelques temps déjà pour Mgr Misago, en particulier chez les clarisses de Huehuetenango, au Guatemala, chez les trinitaires et les visitandines de Guatemala, les sœurs Franciscaines de Sainte-Croix, au Liban, au Foyer de Charité de Châteauneuf de Gallaure, en France, dans les diocèses de Niamey, au Niger, de Monrovia, au Liberia, de Santiago du Cap-Vert…
Interventions du pape et du Saint-Siège
Le pape Jean Paul II lui-même a exprimé à plusieurs reprises sa solidarité avec Mgr Misago et le Vatican avait attiré l’attention du régime en place à Kigali sur les graves conséquences que pourraient avoir cette pénible affaire, menée sur la base d’accusations inconsistantes. Le Saint-Siège avait manifesté sa préoccupation et souligné que « l’arrestation d’un évêque est un acte d’une extrême gravité qui blesse non seulement l’Eglise au Rwanda mai encore toute l’Eglise catholique ».
Parmi les nombreux messages de soutien au prélat accusé par la justice rwandaise dans un procès qui a rapidement tourné au désavantage du Ministère public rwandais, ceux des cardinaux tchèque Miloslav Vlk, archevêque de Prague et président du Conseil des Conférences Episcopales d’Europe (CCEE), et français Roger Etchegaray, président du Comité Central du Grand Jubilé. Ce dernier a déclaré à l’agence d’information missionnaire vaticane Fides: « Je connais très bien Mgr Misago, et il sait bien combien je lui suis proche pour lui apporter un réconfort moral et spirituel. J’ai suivi pendant des années le drame de l’Eglise et du peuple rwandais. Je prie pour que, en ce Jubilé, on voie s’instaurer au Rwanda la réconciliation de tous, sans laquelle il n’y a pas de progrès dans la justice et dans la vérité. »
Le président du Conseil pontifical « Justitia et Pax » à Rome, Mgr François Xavier Nguyen Van Thuan, évêque vietnamien qui a lui-même passé 13 ans dans une prison communiste, exprime également sa solidarité avec Mgr Misago. « J’ai toujours suivi avec grande attention le cas de Mgr Misago, auquel je veux exprimer toute ma sympathie, ayant moi-même souffert en prison. Ma préoccupation s’accompagne de prières ferventes. Je prie afin que ce procès ne soit pas une cause de division mais de solidarité dans la charité. Le Rwanda, ce beau pays, a besoin de reconstruction; il ne mérite pas d’être affligé par des luttes douloureuses et par des destructions dramatiques et inutiles. »
Alors qu’il était emprisonné depuis le 14 avril 1999 sous l’accusation de complicité de génocide, l’évêque a toujours attendu le jugement du tribunal avec sérénité et dans la prière. « Chaque jour, il célèbre la messe sur un petit autel sur lequel repose un tabernacle, dans un coin aménagé et séparé par des rideaux des autres détenus de la vaste cellule collective », rapporte l’agence FIDES. Ses conditions physiques se sont améliorées, même si ses problèmes cardiaques ont été aggravés par la détention.
Les preuves à charge, comme il est ressorti de la plaidoirie finale, étaient inconsistantes: « seulement des témoignages indirects ou des suppositions spécieuses », comme l’agence vaticane. Parmi les quelques témoignages directs, en revanche, celui de Jérôme Rugema, âgé de vingt ans, qui, d’après l’accusation devait avoir été tué à cause de Mgr Misago, ainsi que d’autres jeunes gens, a semé la confusion dans les rangs de l’accusation. Témoignant le 1er décembre dernier – alors qu’il était censé avoir péri à cause de l’évêque ! – Jérôme Rugema a au contraire déclaré qu’il devait la vie précisément à l’intervention de Mgr Misago.
Pour l’agence FIDES et la Congrégation vaticane pour l’évangélisation des peuples dont elle dépend, l’un des points les plus préoccupants de cette affaire est que « le long procès contre Mgr Misago est le signe d’une campagne contre la présence de l’Eglise dans la région des Grands Lacs et dans le reste de l’Afrique, parce que l’Eglise reste l’une des rares voix à affirmer que l’homme africain a plus de valeurs que les matières premières et qu’il est plus important que le pouvoir et les diamants. » (apic/fides/misna/bbc/be)
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