Lukengu et le tamtam

Lukengu est le Gavroche de mon village congolais. Il a environ huit ans. Son papa n’existe pas; sa maman, son grand frère et sa grande sœur, qui vivent dans la misère la plus complète, n’en font pas façon. Il fait ce qu’il veut, n’a pas d’horaire et si le Père missionnaire ne le surveillait pas, ne lui offrait pas de temps en temps un uniforme et quelques savons, il n’irait pas à l’école.

Les gens avaient l’habitude de le traiter d’ «enfant-sorcier», un enfant qui aurait reçu un sort et qui fait le mal, apporte le malheur dans sa famille et dans son village… jusqu’à ce que je me fâche rouge: «une bonne paire de gifles et vous allez voir si c’est un enfant-sorcier!» La leçon a porté alentour et désormais Lukengu et sa réputation vont mieux!

Depuis ce jour et même si je le gronde souvent quand il ne va pas à l’école et me balance des excuses fantaisistes, Lukengu et moi sommes de bons copains. Ce garçon est très intelligent…

Hier j’ai reçu de lui mon premier cours de tam-tam. J’ai surtout compris qu’à tous ceux qui auraient des tendances racistes ou des propensions à sous-estimer la culture traditionnelle africaine, il faudrait imposer un cours de tamtam avec un enfant de 8 ans de la savane congolaise. Cela rend plus humble.

Lukengu a le rythme dans le sang et joue divinement de cet instrument. Nous sommes en face l’un de l’autre, un tamtam entre les deux. Il pose les mains sur la peau du tambour avec une grâce humble et indescriptible, alterne les jeux de paumes et de doigts, joue de tout son être avec une facilité telle qu’il semble que la musique sort toute entière de son petit corps comme de l’instrument, dont il trouve naturellement les harmoniques sur la surface réduite de la peau. Le blanc essaie de faire de même: toute la différence entre les pas d’un éléphant malade et âgé et la démarche du guépard dans la savane. Alors que j’essaie de maîtriser mes deux mains dans un rythme un-deux-un-deux… lui commence simplement, puis toujours plus vite, toujours plus agile, varie à l’infini les vibrations…

Quelque chose s’est fissuré en moi et j’ai découvert derrière la peau de ce tamtam tout un univers de culture et de musique que l’intelligence innée et la finesse de Mozart ne regarderaient pas de haut!

Dieu a répandu sa musique sur toute la surface de la terre, dans les cœurs de tous les humains. N’empêchons pas la musique! (Il paraît que c’est la devise du nouvel évêque de Lugano.)
Guy Luisier

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