Jean Sangnier évoque son père
« Il y avait toujours beaucoup de monde chez nous, des militants du Sillon puis de la Jeune République proches de mon père. A table, se retrouvaient aussi bien des polytechniciens que des ouvriers de chez Renault. Ensuite, quand mon père s’est engagé dans le combat pour la paix, nous avons reçu à Paris et dans le domaine qu’il avait acheté à Bierville (région parisienne) nombre de militants internationaux, dont beaucoup d’Espagnols et d’Allemands en butte avec les régimes oppressifs de leurs pays », observe avec une modestie non feinte Jean Sangnier.
Né en 1910, Jean Sangnier a récemment écrit au cardinal Lustiger, archevêque de Paris, pour lui signaler « l’extraordinaire fécondité de la soumission de mon père à la condamnation du Sillon par Pie X, soumission à mettre en parallèle avec le refus d’obtempérer de l’Action Française, condamnée à son tour en 1914 ». Il est clair que Jean Sangnier et tous ceux qui ont gardé une fidèle mémoire de Marc seraient ravis que le Vatican délivre pour le 50° anniversaire de sa mort un message chaleureux. Mais ils n’osent à peine rêver à voix haute…
Jean atteste du profond désarroi de son père après la décision très sévère de Pie X, à contre-pied de l’encyclique « Rerum novarum » (1891) du pape Léon XIII et de son appel au ralliement des catholiques à la République.(1892) « Assurément ce fut une grosse épreuve ». Et d’expliquer qu’au lendemain de cette fameuse condamnation, Marc Sangnier a demandé au Vatican si celui-ci ne voyait pas d’obstacle à ce qu’il fasse paraître le quotidien « La Démocratie ». Par le biais de Mgr Merey del Val, cardinal secrétaire d’Etat au Vatican, Rome donna son accord à la condition que ce journal ne soit pas présenté comme un journal religieux.
Rome distributrice de coups de crosse mais source également d’un grand réconfort via l’audience auprès de Benoît XV, en 1917. « Le pape a assuré mon père qu’il n’y avait rien de condamnable ni dans ses propos ni dans son action. Ce fut pour lui une invitation à continuer le travail entrepris ». Autre souvenir vif : en 1936, lors du Congrès de l’Action catholique de la jeunesse française (ACJF) pour son 50° anniversaire qui vit se rassembler près de 40’000 jeunes, le cardinal Gerlier, archevêque de Lyon, déclara au fondateur du Sillon : « Réjouissez-vous, Marc, c’est le fruit de votre travail ! ».
Marc Sangnier fut-il un homme de prière ? « Oui, il était profondément religieux. Sa grand-mère et sa mère lui avaient transmis une foi solide. Ses proches collègues partageaient sa prière du soir. C’était un homme spontanément chaleureux, d’un abord facile. Entre lui et les jeunes militants, le tutoiement était de rigueur ». Comment le fils d’un des pionniers du christianisme social voit-il l’évolution de l’Eglise aujourd’hui ? « Incontestablement, il y a ici et là des coups de frein et des éléments en réaction. Mais par rapport à ce que vécut mon père, quels changements ! Quel souffle de liberté ! Nul doute que le concile Vatican II l’eut comblé de joie ! » (apic/jcn/ba)
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