APIC-Reportage
Suisse: Au cœur du Valais, la nouvelle communauté Eucharistein à Epinassey
Comment apprêteriez-vous 120 kg de fenouils?
Josef Bossart, de l’agence APIC
Epinassey,
(APIC) Ils se réclament de François d’Assise, de Mère Teresa et avant tout de l’amour de Jésus-Christ pour les pauvres. Dans le hameau valaisan d’Epinassey, à un jet de pierre de St-Maurice, les Frères et Sœurs de la Fraternité « Eucharistein » partagent depuis cinq ans leur temps de travail et de prière avec des êtres en détresse.
La communauté compte déjà une cinquantaine de membres. Son essor est rapide car elle bénéficie d’une grande aura chez les Romands. Au point que l’évêque de Bâle lui a demandé d’essaimer dans le canton de Lucerne.dLe dernier arrivage de légumes, offert par des gens de la région, a pris pour la première fois la créativité des frères en défaut. Comment apprêter 120 kg de fenouils sans lasser les membres de la fraternité, s’est demandé le rédacteur du journal de la communauté, priant instamment le Très Haut de mettre fin à ce déluge au parfum d’anis.
En ce jour de printemps, pas de fenouils sur la table de la Maison de Bethléem de la Fraternité Eucharistein, mais une choucroute odorante, garnie de morceaux de fromage d’Italie. Mon voisin de table me glisse qu’il s’agit de restes congelés (tout à fait savoureux) des Journées mondiales de la Jeunesse à Rome.
Vingt ou trente jeunes gens ont pris place sur les bancs de bois du premier étage de la Maison de Bethléem. Si tout le monde était là, ils seraient une bonne cinquantaine. Certaines et certains reviennent de loin. De l’enfer de la drogue, de l’alcool, de la démence, des mauvais traitements et des abus sexuels.
Il en restera dix corbeilles…
Les membres de la communauté et leurs protégés retrouvent dans leur assiette les produits du potager de 1’000 mètres carrés, où pousse une très grande variétés de légumes, et les dons de la population des environs: des pâtes, des carottes, des pommes, des gâteaux aussi. L’approvisionnement est assuré. En cinq années d’existence, la communauté n’a jamais dû acheter de denrées alimentaires. Il faut dire qu’elle calque son mode de vie sur la pauvreté de François d’Assise.
La vie a poussé en 1996 sur une vielle ferme en ruines et elle croît, de plus en plus fort. « Chaque semaine, nous sommes contraints de refuser deux demandes d’accueil faute de place », explique un homme avec une simple croix de bois sur la poitrine et d’épaisses lunettes de corne sur le nez. On pourrait prendre Nicolas Buttet, âgé de 39 ans, pour un jeune paysan aux larges épaules. C’est lui, avec quelques « disciples », qui a fait naître la « Fraternité Eucharistein », reconnue par l’Abbé de Saint-Maurice au titre de société catholique privée.
« Ora et labora »: sur le modèle de la règle bénédictine, la journée alterne les temps de travail et de prière. Le Saint-Sacrement est adoré jour et nuit. « La prière nous fait découvrir des horizons inconnus en partant de l’existence humaine, affirme Nicolas Buttet. Suivant l’exemple de Mère Teresa, nous accueillons à bras ouverts les pauvres de l’Evangile, ceux qui ploient sous le fardeau. »
Tout le monde met la main à la pâte à Eucharistein, que ce soit au ménage, au jardin, au bureau ou à l’écurie. Quiconque veut s’engager comme Frère ou comme Sœur pour des périodes de trois ans passe par une année de postulat, comme dans les ordres religieux, avant un noviciat de deux ans.
Au milieu des années 90, Nicolas Buttet, natif de Sierre (VS), s’est installé pour trois ans à l’ermitage de Notre Dame du Scex, surplombant St-Maurice (VS). Tirant du même coup un trait sur une carrière très prometteuse. Le juriste Nicolas Buttet a été l’un des plus jeunes hommes politiques du canton du Valais, secrétaire à Berne du groupe démocrate-chrétien au Conseil national et collaborateur du Conseil œcuménique des Eglises (COE) à Genève.
Les pèlerins ont vite retrouvé les 482 marches menant à l’abri de pierre, à fleur de falaise, abandonnée depuis des décennies. Pour s’entretenir avec ce jeune homme qui semblait avoir les pieds sur terre. Et qui a découvert dans sa retraite que Dieu n’était pas une idée que l’on a en tête mais qu’il existe de façon palpable dans le cœur de chaque homme.
L’ermitage plutôt que la disco
Des jeunes ont gravi un soir le rocher de Notre Dame du Scex pour demander à Nicolas ce qu’ils pourraient faire de leur samedi soir, plutôt que de le passer à la disco, au cinéma ou dans les brumes de l’alcool. Nicolas Buttet les a alors invités à le rejoindre un samedi sur deux dans son ermitage pour parler et prier avec lui. D’une petite poignée au départ, le groupe des visiteurs a grossi de semaine en semaine. Des adolescents pris dans la nasse des drogues ou de difficultés ont également entrepris l’ascension.
Au bout de deux ans, de la façon la plus naturelle du monde, un noyau s’est formé autour de Nicolas Buttet, composé d’une pharmacienne, d’une infirmière et de trois enseignants, qui un beau jour lui ont annoncé leur volonté de tout laisser pour se consacrer à Dieu. Et « à l’accueil sans réserve des plus pauvres, brisés par la vie ». Nicolas Buttet: « Nous avons prié de toutes nos forces pour prendre la bonne décision et nous nous sommes dit: Nous n’avons rien en main mais si c’est vraiment ce que Dieu attend de nous, il nous faut une maison quelque part pour vivre la simplicité franciscaine. »
Tout est alors allé très vite: une ferme d’Epinassey, au pied de la paroi de rocher verticale, à l’abandon depuis vingt ans, a été cédée à la communauté, avec ses six hectares. Des forêts avant tout, réserve de bois de chauffage aussi gratuite qu’indispensable. Il a fallu tout d’abord se retrousser les manches pour reconstruire le bâtiment en ruines.
Les Frères et Sœurs de la communauté se sont familiarisés sur l’heure au maniement de la pelle, de la truelle et du marteau. Après quelques mois d’un travail exténuant, la communauté forte de neuf membres a pris ses quartiers dans la bâtisse au confort spartiate. Baptisée Bethléem à cause de la chapelle, lieu de silence de la communauté, édifiée à l’endroit de l’ancienne écurie, la maison s’est rapidement révélée trop petite. On a doublé l’occupation d’une partie des 15 cellules aménagées sous le toit.
Maison des Sœurs
Depuis quelques semaines, une seconde bâtisse jouxte celle de Bethléem. Elle a été construite avec les éléments d’un chalet s’élevant autrefois à Genève et offert à la communauté. Cette maison sera celle des Sœurs car la communauté vient de décider qu’hommes et femmes ne vivraient désormais plus sous le même toit à « Eucharistein ».
Au grand étonnement de Nicolas Buttet, cet arrêt a été pris à l’unanimité des dix frères et sœurs formant actuellement le cœur de la communauté. « Il est important de pouvoir vivre son identité sexuelle au sein de d’une fraternité religieuse: les hommes doivent pouvoir être des hommes, les femmes des femmes. » Un autre élément a déterminé cette nouvelle orientation: parmi les jeunes qu’Eucharistein accueille gratuitement, beaucoup ont été victimes de graves abus. Comme cette jeune femme violée durant des années. Ou ce jeune qui a vu son père abattre sa mère et se pendre ensuite.
Une pelle mécanique prêtée par une entrepreneur des environs remue des masses de terre derrière Bethléem. C’est là que « Noéeucharistein » verra le jour cet automne. Une véritable arche de Noé qui abritera les poules, les chèvres, les moutons, l’âne et le petit cheval d’Eucharistein.
Surgeon dans l’Entlebuch lucernois?
La communauté a bien d’autres plans encore, dont celui d’essaimer. Eucharistein se demande si elle doit honorer la requête de l’évêque de Toulon, en France, celle de l’évêché de Berlin ou encore celle de l’évêque de Bâle. Les trois diocèses lui demandent d’être active sur leur territoire mais les forces actuelles ne suffisent qu’à fonder une seule nouvelle communauté.
Si rien n’est encore décidé, Nicolas Buttet verrait d’un bon œil qu’Eucharistein prenne également racine outre-Sarine, puisque le mouvement a vu le jour en Suisse. « Nous nageons dans l’opulence dans ce pays. Les jeunes croulent sous les objets mais l’essentiel leur manque: l’amour! Le regard aimant qui dit: Tu n’es pas un numéro pour moi, tu comptes à mes yeux ».
Un prêtre du diocèse de Bâle, l’abbé Andreas Gschwind, âgé de 37 ans, vit depuis plusieurs mois à Epinassey. Il espère bientôt emmancher le travail d’Eucharistein à Hasle, dans l’Entlebuch lucernois. Une maison est déjà à disposition et le curé du lieu est tout feu tout flamme pour le projet. Si la communauté opte pour ce lieu, il ne manquera plus que le soutien actif de Mgr Kurt Koch, estime Andreas Gschwind. Eucharistein serait un don du ciel pour l’Eglise en Suisse alémanique: « La soif d’authentiques expériences spirituelles y est si grande ». (apic/job/wm/version française Marie-José Portmann)
Encadré
Epinassey, fleuron du Renouveau en Suisse romande
La communauté « Eucharistein » est l’un des fleurons en Suisse romande du courant spirituel appelé Renouveau, né à l’intérieur des Eglises chrétiennes protestantes et catholiques il y une trentaine d’années. Ce mouvement, selon son comité suisse romand, met en valeur des éléments traditionnels un peu oubliés tels que la louange, l’adoration, l’intercession fraternelle, la prière communautaire, les charismes et une confiance radicale dans l’action de l’Esprit saint. Du Renouveau sont issus un peu partout dans les paroisses des groupes de prière qui se réunissent une fois par semaine ainsi que des communautés de vie. (apic/com/mjp)
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