Bruxelles: Les détails du procès des quatre accusés rwandais
Bruxelles, 8 juin 2001 (APIC) La cour d’Assises de Bruxelles a rendu, le 8 juin, son verdict dans le procès où quatre Rwandais, dont deux religieuses, étaient poursuivis pour crimes de guerre et de droit international liés au génocide de 1994. Les quatre accusés ont tous été reconnus coupables. Ils risquent la réclusion à perpétuité, peine sur laquelle la cour doit encore se prononcer.
Vincent Ntezimana, un professeur d’université de 39 ans, était accusé d’avoir participé à l’exécution de plusieurs Tutsis et d’avoir établi des listes de personnalités tutsies, qui ont servi aux auteurs des massacres. La Cour n’a pas retenu à charge de l’inculpé divers homicides qui lui étaient imputés et commis sur des personnes nommément identifiées, mais elle l’a reconnu coupable d’avoir trempé dans l’élimination de plusieurs concitoyens, dont le nombre reste indéterminé.
Alphonse Higaniro, 52 ans, ancien ministre et toujours proche du pouvoir, dirigeait une fabrique d’allumettes au moment du génocide. Il a été reconnu coupable de tous les faits qui lui étaient reprochés, spécialement d’avoir mis des véhicules de sa société à disposition d’anciens militaires devenus membres des redoutables milices Interahamwe et ceci pour faciliter le » nettoyage » ethnique qu’il préconisait lui-même dans ses écrits.
Consolata Mukangango (Soeur Gertrude), 42 ans, était, au moment des faits, supérieure du monastère de Sovu, où vivait également sa consoeur inculpée Julienne Mukabutera (Soeur Marie Kisito), 36 ans. Toutes deux ont été reconnues coupables d’avoir livré aux génocidaires entre 6’000 et plus de 7’000 réfugiés qui étaient venus chercher protection et nourriture dans leur couvent.
Témoignages accablants pour les religieuses
Les principaux faits graves reprochés à la prieure de Sovu et à sa consoeur se sont passés entre les 18 avril et le 6 mai 1994. L’instruction du procès, recoupée par divers témoignages, a montré que les deux femmes entretenaient des contacts avec un certain Emmanuel Rekeharo, redoutable chef des milices locales Interahamwe, aujourd’hui emprisonné au Rwanda pour sa participation au génocide.
Dès le 18 avril 1994, la supérieure de Sovu refuse l’entrée de son monastère aux réfugiés qui arrivaient par centaines y chercher refuge. Elle et sa consoeur Kisito se rendent, au contraire, en voiture à Butare, d’où elles reviennent accompagnées de militaires qui refoulent les réfugiés vers le Centre de santé tout proche. Des stocks de nourriture disponibles, rien ne sera prélevé pour les réfugiés, dont les soeurs ne voulaient pas, diront-elles, apparaître « complices ».
Le 22 avril, le Centre de Santé de Sovu est attaqué dès le matin par des militaires, bientôt relayés par des milices Interahamwe, leur chef Rekeharo supervisant « le travail » (d’extermination). Les religieuses, semble-t-il, ont été prévenues par lui de ce qui allait se tramer. L’après-midi, le feu est mis au garage du Centre, où sont retranchés près de 700 réfugiés ; des jerrycans d’essence, apportés du couvent par Soeur Gertrude et Soeur Kisito, servent à alimenter le feu. Des témoins assureront avoir même vu Soeur Kisito attiser le feu et vérifier des listes, pendant et après le massacre.
Le soir du 22 avril, Soeur Gertrude annonce qu’elle va quitter Sovu pour « fuir les massacres », mais refuse d’être accompagnée. Le lendemain, plusieurs autres soeurs quitteront à leur tour le monastère, où il ne reste que trois religieuses tutsies, des membres de leurs familles, et des réfugiés survivants. Arrivé à nouveau au couvent, Rekeharo s’étonne de ne plus y trouver sa » soeur de sang « , Kisito. Il la ramène avec ses consoeurs le 24 avril. Puis il revient, le 25, pour exaucer, dira-t-il plus tard, un souhait des deux religieuses: « se débarrasser des réfugiés ». La supérieure presse ceux-ci de sortir du monastère afin de préserver les bâtiments. Le chef des milices répartit les personnes en trois groupes : les gens originaires de Sovu, les participants d’une session en cours et les familles des soeurs tutsies. Seul le troisième groupe sera épargné au cours de ce nouveau massacre, qui emporte quelque 600 victimes. Le 5 mai, il reste une trentaine de réfugiés au monastère. Soeur Gertrude écrit au bourgmestre de Huye : « Nous n’avons aucun moyen de les entretenir dans l’illégalité… Il faut absolument que tout soit terminé à la date du 6 mai pour que les travaux du monastère se poursuivent sans inquiétude… » Le bourgmestre vient apporter la réponse à cette lettre le 6 mai. Il est accompagné de policiers et d’Interahamwe qui encerclent le monastère et massacrent les derniers réfugiés.
La fuite en Belgique
Le 1er juillet, les combats entre les Forces Armées Rwandaises aux mains du pouvoir hutu et le Front Révolutionnaire Patriotique à forte dominante tutsie se rapprochent de Butare. Les soeurs sont évacuées vers l’évêché: le convoi est conduit par Rekeharo en personne. De Butare, elles parviendront à passer au Zaïre, puis en France, avant d’être accueillies en Belgique au monastère de Maredret, à quelques kilomètres de Namur.
Plusieurs religieuses rwandaises révéleront au juge d’instruction qu’elles ont subi des pressions de soeur Gertrude et d’autres responsables de l’ordre bénédictin pour ne pas mettre en cause leurs consoeurs aujourd’hui condamnées par la Justice. Des religieuses insoumises ont même été envoyées dans d’autres couvents, tandis que l’ordre bénédictin a entrepris des démarches jusqu’au Rwanda dans l’espoir de faire triompher l’image notamment d’une Soeur Gertrude qui a » tout fait pour sauver les réfugiés « , fût-ce « au risque de sa propre vie ».
« Protection » d’autorités ecclésiales
La « protection » ainsi offerte à des personnes soupçonnées de « crimes » graves a souvent été reprochée, au cours du procès, à différentes autorités ecclésiastiques et instances ecclésiales. Le reproche a été d’autant plus clairement formulé par l’avocat général et par les parties civiles que l’impunité des coupables aggrave la souffrance des rescapés et accroît le risque de nouvelles violences.
Le rôle de l’Eglise a ainsi été plus d’une fois mis en cause au cours de ce procès. Non qu’il ait été reproché à des chrétiens de n’avoir pas livré un témoignage héroïque. Pareil témoignage, forcément exceptionnel, a certes retenu l’attention, comme dans le cas de Laurien Ntezimana, théologien laïc et homonyme d’un accusé au procès de Bruxelles, mais entendu comme témoin pour avoir risqué sa vie jusqu’à Sovu. Les rescapés aujourd’hui parties civiles au procès n’en demandaient pas tant à Soeur Gertrude et à Soeur Kisito : simplement d’ouvrir les portes de leur monastère, comme l’a fait le curé tutsi d’une paroisse voisine, pourtant bien plus menacé que les bénédictines de Sovu.
Dans son réquisitoire du 23 mai, l’avocat général Alain Winants avait appelé les jurés à se placer du point de vue de la « conscience universelle » qui rejette la barbarie. « Toute société a le devoir de poursuivre, de réprimer et de condamner ces crimes de droit international contre l’humanité, où qu’ils se commettent, quels qu’en soient les auteurs et les victimes », avait-il déclaré avant d’ajouter : « Huit cent mille morts en treize semaines, d’avril à juillet 1994, c’est, en termes d’efficacité, mieux que ce qu’ont fait les nazis pendant la seconde guerre mondiale. » (apic/cip/bb)
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