Vaud: Le centre d’enregistrement des requérants d’asile de Vallorbe après 6 mois d’activité

APIC Reportage

Marie-José Portmann, APIC

Vallorbe, 22 juin 2001 (APIC) Même si les grottes de l’Orbe sont à deux pas, le Centre d’enregistrement des requérants d’asile (CERA) de Vallorbe n’a rien de la caverne d’Ali Baba. Débarquant de Sierra Leone, du Sri Lanka ou encore d’ex-Yougoslavie, ceux qui franchissent sa porte se rendent très vite compte que la formule magique « Suisse ouvre-toi » ne suffit pas pour obtenir l’asile dans ce pays.

Sans tambour ni trompette, à la mi-novembre 2000, Vallorbe a pris le relais de Genève pour enregistrer les demandeurs d’asile en Suisse romande. Lâchés par leurs passeurs en France voisine, ou arrivés de la gare, qui surplombe le gros bourg du Jura vaudois, ils surgissent à toute heure à la porte du centre. Frigorifiés et apeurés.

Le bouche-à-oreille a fonctionné. Jeunes pour la plupart, seuls ou en famille, ils sont plusieurs dizaines (jusqu’à soixante au début juin) à frapper chaque jour à la porte du sas vitré de la réception du Centre d’enregistrement des requérants d’asile (CERA). Quand on vient de Somalie, d’Afghanistan ou d’Angola, on ne peut que considérer avec appréhension la masse imposante et austère de l’ancien hôtel de cure vallorbien, converti en caserne avant de retrouver une seconde jeunesse grâce à l’Office des réfugiés (ODR).

L’atmosphère bon enfant du CERA – qui peut accueillir plus de 2000 personnes – ne gomme pas la minutie, les précautions et le haut degré de technicité de l’administration fédérale. De quoi glacer d’effroi les requérants ayant connu des régimes très répressifs et subi violences et persécutions.

Même si c’est pour la bonne cause, la dactyloscopie par exemple – empreintes digitales numérisées prises tout en douceur par une jeune employée d’ASCOM – rappelle sans doute à plus d’un arrivant au CERA les méthodes discrétionnaires des services secrets. , explique Didier Scheller, jeune directeur du CERA de Vallorbe.

Partie de cartes surréaliste

Donner son nom, déposer ses papiers d’identité (en échange d’un laisser passer de demandeur d’asile et d’un numéro à six chiffres) chiffres pour les besoins de la maison), placer ses objets de valeur et son argent en dépôt, recevoir draps et couverture et grimper les escaliers jusqu’au dortoir de 4 blocs de 4 lits à étages: Agron (prénom fictif), grand adolescent macédonien, s’exécute. Il enregistre chaque détail au passage: la partie de cartes un peu surréaliste réunissant, à même le sol, un Albanais, un Kosovar, un Macédonien et un Bosniaque et, juste à côté, l’homme déjà vieux, les yeux, rougis, perdus dans le vague, à demi couché dans le hall donnant sur la cour entourée de hauts treillis,.

Et puis deux Camerounaises, superbes, d’une vingtaine d’années, appuyées au mur gris. Menacées de mort par des réseaux de prostitution, elles espèrent être admises au moins provisoirement en Suisse et rêvent de se former à un métier. Le Haut Commissariat des réfugiés ne propose-t-il pas de reconnaître les persécutions liées au sexe, il ne s’agit pas de persécutions sexuelles) par des tiers, au même titre que la persécution en raison de la race, de l’ethnie, de la religion, de l’opinion politique ou du groupe social? Persécution par l’Etat mais aussi par des groupements quasi étatiques comme les Talibans d’Afghanistan. (Convention de Genève 1951)

Agron retient chaque détail, tendu comme une corde de violon. Surtout ne pas faire le faux pas qui diminuerait ses chances de rester en Suisse. L’adolescent sursaute lorsque des petits enfants déboulent vers lui en criant. Agron est comme soulagé d’apercevoir des vêtements mis à sécher sur le banc des douches communautaires. Ces taches de couleur contrastent avec le gris uniforme des façades et des escaliers. Elles le rassurent un peu et son regard a du mal en s’en détacher.

Mineur non accompagné

Ouf! La visite sanitaire assurée par la Croix-Rouge est passée. On l’a vacciné contre la tuberculose. En moins de dix minutes, les résultats des radiographies reviennent du CHUV: il reçoit quelques conseils d’hygiène et des informations sur le sida.

Puis vient le temps de la première audition. Dans sa langue maternelle. Comme l’interprète ne peut assurer qu’il vienne bien de Macédoine comme il l’affirme, l’enregistrement de l’audition sera communiquée à un spécialiste en Europe, pour un test qui établira le bien-fondé de ses dires en croisant différentes informations sur la géographie et les usages locaux. L’auditrice protocole mot à mot ses déclarations et lui demande de les signer. Agron épie les moindres réactions de la jeune femme. « Si elle sourit, c’est que j’ai ma chance », espère-t-il. Sans doute est-ce pour cela que l’auditrice ne manifeste aucune chaleur excessive. Chargée de séparer le vrai du faux et de voir s’il y a abus manifeste: elle doit s’assurer que la personne a de justes motifs d’être protégée.

70% de demandeurs d’asile passent ce cap et sont transférés dans les cantons au bout de deux semaines: Agron en fait partie. Comme « mineur non accompagné ». Il ne sera pas refoulé. Ni tenté de s’évanouir dans la nature comme la grande majorité des requérants déboutés. L’un de ses voisins de dortoir venu de Géorgie a eu moins de chance. Il a fait recours contre la décision de non entrée en matière, la seule qu’un CERA puisse prendre, avec l’aide de l’association œcuménique et humanitaire auprès des requérants d’asile de Vallorbe (ARAVOH), sise à la rue de Moutier 50 à Vallorbe. « Le requérant a le droit d’être entendu pour expliquer par exemple pourquoi il n’a pas dit la vérité », précise le directeur du centre.

La nature sauvage du Nord Vaudois a un effet pacifiant sur les habitants du CERA de Vallorbe où les troubles sont moins nombreux qu’ils ne l’étaient à Genève. Cela n’empêche pas Didier Scheller, d’intervenir personnellement quand une rixe éclate. « Pour empêcher que le choc des cultures ne dégénère, nous n’hésitons pas à transférer des requérants dans un autre centre pour rétablir l’équilibre entre les nationalités. »

Les collaborateurs du CERA ne correspondent pas à l’image que l’on se fait du fonctionnaire: la moyenne d’âge des auditeurs par exemple est de trente ans. « La confrontation quotidienne à des destins de souffrance et à la misère humaine demandent une résistance psychique particulière et une grande capacité de récupération », explique le directeur. Le « debriefing » s’opère dans les discussions quotidiennes qui ont lieu tant entre les membres de l’assistance qui sont des Securitas qu’entre les auditeurs.

Lire entre les lignes du destin

Dans le domaine de l’asile depuis plus de 20 ans, le jeune chef du CERA maintient un contact régulier avec la population et les œuvres d’entraide. « Si nos positions sont souvent radicalement différentes, nous avons un point de convergence: l’intérêt du réfugié. »

Les grandes surfaces soupçonnaient les requérants de voler à l’étalage. Désormais, les pensionnaires du CERA produisent le ticket de caisse à leur retour du village. Un laitier ambulant se rend au CERA et un établissement de la place assure la restauration du centre d’enregistrement.

« Certaines femmes confient au prêtre ou au pasteur qu’elles ont été violées plus facilement qu’aux auditeurs. » Le dialogue avec l’aumônerie est essentiel, poursuit Didier Scheller. C’est déterminant pour le succès de leur demande d’asile.

Lors de la première assemblée de l’ARAVOH, la juriste du Service d’aide aux exilés (SAJE) Karine Povalkic, a relevé la difficulté des requérants, africains en particulier, à livrer leur destin individuel. Il s’agit de décoder leurs déclarations qui mêlent récits, légendes et compositions toute faites pour plaire à l’administration pour comprendre les vrais raisons de leur venue en Suisse. La perception de la réalité historique et des faits n’est pas universelle et change selon les cultures. L’aumônier Jean-Pierre Bardey ajoute même que si cette communication imagée est une difficulté supplémentaire pour trouver la vérité, elle demande de lire entre les lignes et constitue « un aspect merveilleux de son travail ». (apic/mjp)

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