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Le bénédictin breton devenu swâmî Abhishiktânanda
Jean-Claude Noyé, correspondant de l’APIC à Paris
Paris, 22 mai 2001 (APIC) Françoise Jacquin , éditrice des « Lettres d’un sannyasi chrétien » (1) et présidente de l’association « Jules Monchanin-Henri Le Saux » (2), et M. Salen, qui a édité « Le bénédictin et le grand éveil » (3), ont récemment donné, au Forum des Maristes à Paris, une conférence sur Henri Le Saux. L’occasion de redécouvrir ce moine médiateur entre le christianisme et l’hindouisme, qui a intériorisé en Inde l’expérience de la non-dualité tout en restant fidèle au Christ.
Dom Le Saux est devenu swâmî Abhishiktânanda: tout un itinéraire qui en fait un précurseur exemplaire du dialogue intra-religieux et de la double appartenance à laquelle se réfèrent désormais de plus en plus de chrétiens. Breton entré à l’abbaye bénédictine de Kergonan (Morbihan) en 1910, à l’âge de 19 ans, il est mort en Inde en 1973. Très tôt il a ressenti l’appel de l’Inde, où il désirait inculturer la vie bénédictine, convaincu que « seule la voie de l’intériorité toucherait l’Inde » et que ce pays « ne s’intéressera pour de bon à l’Evangile que quand il sera prêché dans la pauvreté, la simplicité, l’humilité et la prière ».
C’est Jules Monchanin qui lui donnera l’occasion de faire le grand saut malgré les réticences de sa hiérarchie. Ce prêtre du diocèse de Lyon attendait du renfort pour mener là-bas une vie de prière, de pauvreté et de travail intellectuel. Ensemble ils ont fondé l’ashram de Shantivanam (littéralement « bois de la paix »), dans le diocèse de Tiruchirapalli au sud de l’Inde. Le Père Le Saux, au tempérament mystique très prononcé, a voulu aller plus loin encore et intérioriser l’expérience de la non-dualité, l’une des principales composantes de la mystique hindoue, sinon son cœur. Il s’est pour ce faire mis à l’école des « sannyasi », les renonçants, et a multiplié les séjours dans les grottes d’Arunachala, sorte de montagne sacrée au pied de laquelle se trouve l’ashram de Ramana Maharshi.
Descendre dans le « fond sans fond »
La rencontre de ce mystique de haut vol, l’un plus des plus grands saints indiens du XX°siècle, a bouleversé Le Saux et l’a incité à descendre toujours plus loin en lui-même, dans « le fond sans fond ». Il mènera une vie d’ermite dans l’Himalaya, conformant son existence et sa démarche spirituelle aux ascètes qu’ils côtoient, en pratiquant la voie du non-dualisme védantin tout en restant fidèle à ses sources chrétiennes. Jusqu’à sa mort il ne cessera de dire sa messe et de se nourrir des psaumes. Mais cet entre-deux, ce passage entre deux rives ne s’est pas fait sans rudes tensions. Cette rencontre en vérité l’oblige à repenser le Christ, perçu désormais comme archétype de la non-dualité : « le Père et moi, nous sommes un » (Jean, 10,30). Le Christ est l’Eveillé-éveilleur, donc le vrai maître spirituel.
Quant à l’Eglise, Le Saux estime qu’elle « possède l’Esprit mais en cage ». Alors que fondamentalement elle est « une explosion de l’Esprit », la Pentecôte étant, elle, l’au-delà de toute religion. Au fur et à mesure qu’il s’intériorisait, Le Saux a pris de plus en plus de distance avec le langage conceptuel qui ne peut rendre compte de l’expérience intérieure. Chemin faisant, il a incarné un nouveau visage de la tradition apophatique chrétienne, selon laquelle on ne peut approcher Dieu que par négations successives : Il n’est ni ceci ni cela. Sa quête ardente et douloureuse du Graal intérieur aboutira à une expérience d’éveil spirituel si intense qu’il n’y survivra pas, victime quelque temps après d’une crise cardiaque. Une autre grâce devait le combler dans ses derniers jours: la rencontre de Marc Chaduc, le seul disciple à qui il a pu vraiment faire part de son expérience bouleversante. Fils et héritier spirituel appelé lui aussi à une trajectoire intérieure radicale, Marc Chaduc est hélas disparu dans l’Himalaya dans des circonstances inexpliquées.
Méfiance face à son expérience spirituelle
Disparition d’autant plus dommageable que la fécondité spirituelle de « swami Abhishiktânanda » n’est pas à ce jour considérable, en apparence du moins. En Inde, son nom n’est guère cité. Les théologiens indiens, eux-mêmes audacieux sur bien des points, ne voient pas pourquoi ils en référaient à cet occidental, au parcours pourtant téméraire. Quant à l’ashram de Shantivanam, privé d’un véritable guide spirituel, il est entré dans une phase de relatif déclin depuis la mort du bénédictin anglais Bede Griffiths, le successeur de Le Saux. En Occident, ce dernier n’a pas encore fait école et ses frères bénédictins, méfiants vis-à-vis des « originaux », sont réticents à son égard, y compris dans sa propre abbaye de Kergonan.
L’explication ? Elle est simple : le Père Le Saux est allé loin, très loin dans son chemin de spiritualisation au contact de l’Inde. L’itinéraire radical de ce prophète continue de faire peur à une Eglise somme toute frileuse en matière de dialogue interreligieux, nonobstant des avancées courageuses. Restent les écrits du père Le Saux, qui fascinent nombre de lecteurs, et le prestige qui entoure son nom auprès des passionnés de l’Orient et du dialogue entre les diverses traditions spirituelles. (apic/jcn/bb)
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