Soudan: Les aides humanitaires contribuent à la poursuite de la guerre

Les « seigneurs de la guerre » du Sud règnent sur des « baronnies »

Nairobi/Rome, 4 février 2001 (APIC) Les aides humanitaires des ONG et des Eglises contribuent – même si ce n’est pas leur intention – à la poursuite de la guerre au Soudan, peut-on lire dans une surprenante déclaration des missionnaires comboniens du Sud Soudan. Dans cette région, les rebelles semblent avoir perdu de vue leur but de libérer les gens et leurs chefs se comportent en véritables « seigneurs de la guerre » régnant sur des « baronnies ». La poursuite de la guerre semble être devenue un but en soi.

Réunis en assemblée à Nairobi, au Kenya, les missionnaires actifs dans cette région dévastée par la guerre et la famine écrivent qu’au Sud du Soudan, « la guerre, immorale et tragique, n’a rien à voir avec la liberté… c’est une affaire de pouvoir, d’affaires, d’enrichissement sur le dos des pauvres… Les ONG et les Eglises contribuent à perpétuer la guerre avec les aides humanitaires qui, même si ce n’est pas intentionnellement, finissent par approvisionner les factions en guerre ».

« Après 2 millions de morts, 4 millions de réfugiés qui errent à l’intérieur du pays, et 600’000 à l’étranger, 1,5 million de dollars dépensés chaque jour par les belligérants, et la même somme par les organisations internationales de secours pour maintenir en vie la population éprouvée de la région du conflit, il n’est pas possible que la guerre civile du Soudan puisse se poursuive pendant 18 ans sans qu’on puisse en voir la fin. Il nous vient le doute que les grandes ressources financières en jeu soient un élément pour la continuation du conflit », selon la déclaration des missionnaires rapportée par l’agence vaticane FIDES.

Le but premier de la guerre: une Constitution laïque garantissant l’égalité pour tous

Ce sont les populations africaines du Sud Soudan et des Monts Nouba, situées au sud-ouest de la capitale soudanaise Khartoum, qui ont commencé la guerre civile. Le but était d’obtenir une Constitution « laïque » qui permette la cohabitation sur un plan d’égalité entre musulmans, chrétiens et « animistes » adeptes des religions traditionnelles africaines. Dernièrement, d’autres forces se sont ajoutées à elles: le Front Beja au nord-est et le Front Fur au nord-ouest du Soudan, toutes deux en lutte contre la domination du régime islamique de Khartoum (au pouvoir depuis 1989), peut-on lire dans l’analyse des missionnaires présents sur place.

Au Sud règnent les « seigneurs de la guerre » qui se servent de l’aide humanitaire

Pour les missionnaires comboniens, « le Soudan s’enfonce dans le gouffre, mais le grand absent, c’est l’intérêt des gens du pays. » Dans le Sud Soudan, les rebelles semblent avoir perdu de vue la fin qu’ils poursuivaient; ils sont en désaccord sur les moyens pour l’obtenir, et ils continuent à se diviser en factions et en groupes qui jouent au jeu de bascules avec les alliances; leurs chefs se comportent en véritables « seigneurs de la guerre », et réclament leurs pleins droits sur les « baronnies ».

Certes, aux yeux des missionnaires catholiques, les organisations internationales font de leur mieux pour atténuer les effets dévastateurs de la guerre, en distribuant des aides humanitaires pour un montant journalier de 1,5 million de dollars, ce que dépense de son côté le gouvernement de Khartoum pour la guerre. La critique des Comboniens porte sur ces aides qui ont pour but d’assurer la survie des gens, mais non pas la solution du conflit. De plus, les belligérants en profitent: ils se dispensent du devoir de nourrir les gens de la région, qui souffrent de la faim, ils se réapprovisionnent en vivres, et réclament un pourcentage sur ces aides.

« Tant que dure la guerre, il y a de l’espoir »…

Cela leur permet de continuer à rester sur le pied de guerre sans avoir besoin de s’engager dans la seule voie qui conduit à la paix: celle des négociations diplomatiques. « Tant que dure la guerre, il y a de l’espoir », lancent amers les missionnaires du Sud Soudan, en faisant référence à un vieux film sur les marchands européens et sur les marchés africains d’armes. « Pourquoi l’ONU, très présente au plan humanitaire, ne fait-elle pas de même au plan diplomatique ? », se demandent-ils.

Le Nord progresse, le Sud s’enfonce

Les religieux considère que le Nord Soudan, progresse d’une certaine manière en se donnant des structures pour l’amélioration du niveau de vie des gens. « Le Sud Soudan, en revanche, est voué au dépeuplement, à la famine et au sous-développement (sans infrastructures, sans éducation, sans services de santé, et sans commerce), ce qui le rend esclave et dépendant pendant de nombreuses générations à venir, même quand le conflit sera terminé. »

Dans cette situation, les missionnaires estiment légitime de se demander s’il ne vaut pas mieux jouer la carte de « la politique du pire »: bloquer les aides, arrêter le flux vital qui alimente la guerre, contraindre les belligérants à traiter en vue de la paix. D’autant que, au Soudan, est en cours une autre campagne, celle de la formation en vue de créer une mentalité de paix, de participation de la population dans les affaires sociales.

Les Eglises veulent promouvoir la non-violence

Depuis plusieurs années, l’Eglise catholique et les Eglises protestantes ont choisi une voie qui invite les gens à redécouvrir et à mettre en pratique les méthodes traditionnelles et non violentes, pour parvenir à la solution des conflits et des tensions ethniques; à s’engager dans le développement en se passant des aides étrangères, en s’inspirant de la doctrine sociale de l’Eglise. Dès le début des années 1990, le grand séminaire nationale de Khartoum donne des cours de formation pour enseigner comment arriver à la solution pacifique des conflits, à la résistance passive non violente, à la défense des droits de l’homme, et à l’organisation de Comités « Justice et Paix ». De cette manière, les Soudanais eux-mêmes redeviennent des protagonistes dans l’histoire, en créant les conditions pour arriver à la table des négociations pour ouvrir un dialogue de paix, courageux et décisif, commente le Père G. Battista Antonini, missionnaire combonien. (apic/fides/be)

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