Les 50 jours de l’occupation de St-Paul sont une date symbolique pour l’ancien évêque d’Evreux, déposé par Rome le 13 janvier 1995: « C’est la période qui sépare Pâques de la Pentecôte! ». Sur la façade du centre paroissial, une grande banderole, citant une phrase de l’évêque diocésain, Mgr Bernard Genoud, donne le ton: « On peut pas expulser des gens d’une maison qui n’est pas la nôtre, mais celle du Père ».
A l’entrée du centre, le Collectif des sans-papiers fait signer une pétition pour la régularisation collective des sans-papiers de St-Paul, qui a déjà récolté quelque 2’000 signatures en moins d’une semaine. Il distribue un « Appel à la mobilisation » rappelant que le conseil de paroisse veut obliger les 84 sans-papiers à quitter les lieux ces prochains jours.
Un groupe de paroissiens fait circuler une « lettre ouverte au conseil de paroisse » qui déclare inacceptable, « au nom de notre foi dans le Christ », le délai imposé pour le départ des sans-papiers et l’alternative qui leur est offerte dans un appartement de 4 pièces chez les sœurs d’Ingenbohl: « C’est un geste généreux, mais inapproprié pour 84 personnes, sachant que des mamans avec leurs enfants y vivent déjà ». De plus, notent les paroissiens solidaires, « un tel déménagement risquerait de briser leur lutte ».
Ne pas se disperser et ne pas relâcher la pression
Cette crainte de la dispersion des sans-papiers, au creux de l’été, est clairement relayée par Mgr Gaillot, qui milite depuis six ans aux côtéés de ceux de Paris. Il a participé à l’occupation de l’église St-Ambroise et à celle de St-Bernard, qui a inspiré les sans-papiers de Fribourg. « Je ne connais pas de sans-papiers ayant occupé un lieu qui aient décidé de le quitter. Ils sont toujours restés pour manifester leur cohésion et leur solidarité, craignant, en s’en allant, de briser leur lutte. »
L’ex-évêque d’Evreux, aujourd’hui évêque de Partenia – un diocèse virtuel disparu dans les sables du Sahara il y a 1500 ans – ne veut pas donner de recettes aux sans-papiers de Fribourg: « C’est à vous de choisir, c’est votre responsabilité ». Il rappelle cependant que toutes les occupations qu’il a accompagnées ont abouti finalement à la régularisation des manifestants. « Certes, cela prend du temps, c’est usant, décourageant, un vrai parcours du combattant. Certains ont risqué leur vie ou abîmé leur santé dans des grèves de la faim ».
Surtout, les gouvernants, qu’ils soient de droite ou de gauche – « Le Premier ministre Jospin est intraitable surcette question, il veut montrer à la droite qu’il est sérieux! » – , ne veulent pas de régularisation collective. Par crainte de leur électorat, ils procèdent à des régularisation au compte-gouttes, « par petits paquets ». C’est que la population n’est, en général, guère favorable à la cause des sans-papiers. Jusqu’au jour où les gens les rencontrent personnellement: « Ils voient des visages, les trouvent sympathiques, découvrent qu’ils travaillent, qu’ils ont une famille, des enfants… alors tout change! ».
Des chrétiens trop craintifs
L’Eglise institutionnelle, quant à elle, se montre bien trop prudente, regrette Jacques Gaillot, qui passe une partie de son temps à la Maison des Ensembles, rue Aligre, dans le XIIème arrondissement de Paris. C’est là que vivent 250 sans-papiers africains. « Je suis allé voir le nonce apostolique. Il est toujours dans les réunions officielles, dans un certain milieu, il devrait sortir. Je lui ai dit que ce serait bien de venir nous visiter, que les sans-papiers seraient contents ». Comme le prélat est originaire d’Assise, pays de saint François, Mgr Gaillot a dit que lui serait venu tout de suite visiter les étrangers. « Vous me direz: saint François n’est pas nonce, a ironisé Jacques Gaillot, mais en tout cas, ce dernier n’est pas encore venu ». En fait, à l’instar de l’évêque d’Almeria, en Andalousie, sollicité pour visiter les travailleurs clandestins marocains dormant dans la rue, le nonce craint d’avoir des ennuis avec les autorités. « Vous savez, il faut être diplomate, … c’est délicat… ».
Et l’évêque des sans-papiers d’insister: c’est pourtant le rôle de l’Eglise d’être là, d’aider les gens qui sont victimes d’injustices, qui souffrent. Trop souvent, regrette-t-il, les chrétiens ne veulent pas se commettre avec « ces gens-là », hésitent à avoir des engagements clairs et forts, à prendre des risques au nom de l’Evangile. « Avant d’être d’un pays, d’une religion, d’une culture, martèle doucement Jacques Gaillot, nous sommes tous des êtres humains, des citoyens du monde; avant d’être des problèmes, nous sommes des personnes! »
A la fin de la soirée, des sans-papiers de Fribourg ont témoigné. Surtout pour remercier chaleureusement Mgr Gaillot – « notre évêque des sans-papiers », comme l’a qualifié « Moki », un sans-papier originaire de Serbie, « d’être venu tout exprès de Paris pour nous soutenir ». La foule a alors entonné, à la suite du curé Olivier Humbert, un chant que les chrétiens présents connaissaient par cœur: « Laisserons-nous à notre table un peu de place à l’étranger… » (apic/be)
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