Colombie: 49 syndicalistes colombiens assassinés en 2001

APIC – Interview

« 42 millions de personnes menacées de mort »

Propos recueillis pour l’APIC par Inès A. Chittilappilly

Genève, 30 juillet 2001 (APIC) Depuis plusieurs décennies, l’histoire de la Colombie est marquée par la violence. Une violence présente sous toutes ses formes : conflits armés entre les différentes fractions des guérillas et l’armée, répressions militaires, terreur des paramilitaires, disparitions, déplacements, mutilations, assassinats, tortures, mais aussi la pauvreté.

Julio Roberto Gomez, secrétaire de la Confédération générale des travailleurs démocratiques, un des trois importants mouvements syndicalistes de la Colombie encore existant, explique la situation colombienne où la violence fait partie de la vie quotidienne. Ce dirigeant syndical menacé de mort par les groupes paramilitaires dénonce non seulement les assassinats mais aussi la politique gouvernementale, responsable de la disparition des mouvements sociaux et de la plupart des syndicats. Une politique qui entraîne la population colombienne dans la misère.

APIC: Quelle est la situation actuelle de la Colombie?

Julio Roberto Gomez : On a un problème d’indigence généralisée. 67% de la population colombienne salariée gagne moins d’un salaire minimum légal, c’est-à-dire moins de 140 dollars par mois, 17 à 20% gagnent à peine 280 dollars. Plus on monte en salaire plus le pourcentage se rétréci.

56% de notre économie est informelle (« economía del rebusque »), vendeurs ambulants, crieurs de presse, cireurs de chaussures, tous travaillent sans aucune sécurité sociale. L’écart entre riches et pauvres s’est converti en un abîme. C’est cela la violence sociale.

APIC: Quelle est aujourd’hui la réalité des mouvements sociaux?

Julio Roberto Gomez : En 2001, il y a eu déjà 46 syndicalistes assassinés. Il y en avait eu 130 en 2000. C’est pour cela que nous dénonçons très fort la mort de nos camarades. Nous parlons haut, mais aussi pour défendre le respect de la liberté syndicale et sociale de la Colombie. Parce que, pendant que nous enterrons et que nous pleurons nos morts, les syndicats, en raison des pressions, des menaces et des peurs mettent la clef sous le paillasson. Sans compter que la politique gouvernementale a restreint le droit d’association et a anéanti le droit de faire grève.

Moi-même je suis sur la liste noire des paramilitaires. Mais nous ne pouvons pas ignorer que nous sommes 42 millions, dans ce pays, à être menacés de mort. Tous peuvent être tués à n’importe quel moment.

APIC: Qui sont les responsables de ces assassinats?

Julio Roberto Gomez : En premier lieu les paramilitaires, suivis par l’Etat, l’armée, même la police, les groupes liés au narco-trafic et aussi la guérilla. C’est un état généralisé de violence très triste dans lequel on évolue.

APIC: Quelle est la relation entre l’Etat et les paramilitaires?

Julio Roberto Gomez : Il est démontré qu’il existe une liaison entre les groupes paramilitaires et l’armée. Il a été prouvé que des membres d’une ou l’autre fraction collaborent.

APIC: Qui tire le profit de cette situation au niveau international?

Julio Roberto Gomez : Ceux qui tirent profit sont ceux qu’on appelle « les chiens de la guerre », les trafiquants d’armes, les pays qui produisent les mines antipersonnel, (« quiebra-patas »), dont beaucoup sont enfouies dans une grande partie du territoire colombien. Ce sont les Etats-Unis, l’Allemagne et la France, Pour la plupart, ce sont des pays riches qui produisent ces armes. C’est contradictoire, avec certains signes de solidarité marqués par ces mêmes pays riches, on peut légitimement se demander ce que cache et que signifie cette solidarité. Car une réelle solidarité serait qu’on ne vende plus d’armes ni pour les paramilitaires, ni pour la guérilla, ni pour l’Etat. Ces armes, destinées à faire la guerre, pèsent énormément sur le budget de l’Etat.

APIC: Et les compagnies de pétrole?

Julio Roberto Gomez : Ce n’est pas seulement la Colombie, mais toute l’Amérique latine qui est dépouillée de toutes ses ressources nationales. Les ressources naturelles sont littéralement exploitées par des compagnies multinationales.

APIC: Qui exploite le pétrole en Colombie?

Julio Roberto Gomez : Les compagnies Shell, Esso et Texas principalement. Il en va de même pour le charbon, le fer nickel, les mines d’or et d’émeraudes.

APIC: Et les syndicats dans tout cela?

Julio Roberto Gomez : Si les compagnies pétrolières n’ont pas fait plus de dégâts à ce jour, c’est grâce à l’action des syndicalistes, en particulier du syndicat de la USO (Unión sindicalista Obrera), qui a lutté contre une politique pétrolière très agressive. Dans le cas des télécommunications, c’est la même chose. Le syndicat des télécommunications (SITTELECOM), a empêché que tout le réseau de notre pays soit bradé aux multinationales. Bien ou mal gérées, les meilleures affaires dans le monde sont les télécommunications. Bien avant le pétrole.

APIC: Quelle est l’image de la Colombie à l’étranger?

Julio Roberto Gomez : Aujourd’hui, la Communauté internationale parle beaucoup des victimes de la violence, mais on parle très peu des autres victimes, celles qui payent cash ce qu’il convient de qualifier de « délits sociaux » que commet le gouvernement. On devrait en effet parler de la quantité des personnes qui meurent de faim, de la malnutrition. Nous pouvons aussi parler de 4 millions de chômeurs (nous avons entre 22 et 25% de chômage, un des taux les plus hauts dans le monde) ; des quelque 2 millions de déplacés par la violence, en raison de l’exploitation des richesses naturelles par les multinationales, des Colombiens poussés à l’exil sur les propres terres, qui vivent comme parias dans leur pays.

APIC: Quelle serait une lecture proche à la réalité colombienne?

Julio Roberto Gomez : Une lecture correcte serait de voir la réalité dans son ensemble. J’aimerais que toutes les personnes qui font des analyses de notre situation viennent à Bogota, à Cali, à Medellin, Bucaramanga ou Barranquilla. Elles seront surprises de ce qu’elles vont voir : un peuple qui a de l’enthousiasme, qui chante, qui siffle, qui tente de s’épanouir. Une autre chose est si on va directement dans les zones où il y a clairement la guerre. Une chose est sûre, mon peuple résiste, malgré les 30’000 personnes qui meurent annuellement assassinées. (apic/iac/pr)

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