APIC analyse

Cameroun: La révolte pour l’indépendance du « Southern Cameroun » s’amplifie

Quatre morts lors de manifestations début octobre

Martin Luther Mbita, correspondant de l’APIC au Cameroun

Yaoundé, 9 novembre 2001 (APIC) Les manifestations pour l’indépendance du Cameroun anglophone, entamées en 1990, se sont amplifiées depuis deux ans. Au début octobre 2001, quatre militants du « Southern Cameroons National Council » (SCNC) ont été abattus par les forces de l’ordre. Ils étaient descendus dans la rue lors du 40ème anniversaire de la réunification des parties francophones et anglophones du pays.

« Vive la SCNC », « Vive le Cameroon anglophone », « Nous voulons le retour au fédéralisme », « Nous voulons l’indépendance du Southern Cameroon », pouvait-on lire sur les morceaux de carton et de banderoles que brandissaient les militants du SCNC le 1er octobre. Ils étaient plus d’une centaine à manifester en ce jour de commémoration de la réunification du Cameroun. Ils avaient mobilisé leurs troupes pour faire entendre leurs voix. Une contre-manifestation qui a tourné au drame. Bilan: 4 morts et de nombreux blessés.

Colonie allemande, française et britannique

Ancienne colonie allemande, le « Kamerun » a été attribué à la France et à la Grande Bretagne après la victoire des alliés à la seconde guerre mondiale. La France s’octroie la part du lion dans le partage du pays. Sur dix provinces, huit sont francophones et deux anglophones.

Le 1er janvier 1960, le Cameroun acquiert son indépendance. Ses principaux leaders indépendantistes sont massacrés par les Français, avec la complicité de quelques autochtones. Lors du référendum organisé en 1961 par les Nations Unies et les puissances colonisatrices, le Nord de la partie anglophone (Northern Cameroons) opte pour son rattachement au Nigeria, alors que le Sud (Southern Cameroon) se rattache au Cameroun francophone. Le 1er octobre 1961, c’est la réunification du pays, avec comme président, Ahmadou Ahidjo. On parle alors de la République Fédérale du Cameroun.

La grosse illusion des « Anglos »

Jusqu’en 1965, les anglophones jouissent d’une certaine autonomie. Le multipartisme est une réalité dans cette partie du pays. Il existe deux Chambres parlementaires. Du côté francophone, le président Ahidjo agit en dictateur, avec la bénédiction de la France. Il nettoie les dernières poches de résistance au colonialisme. Oum Nyobé, Félix Mounié, Martin Paul Samba, Ernest Ouandié… farouches opposants, passent par les armes. En 1966, c’est le coup de théâtre, Ahmadou Ahidjo impose le monolithisme (parti unique), sous prétexte de lutter contre le sous-développement. Il monte l’un contre l’autre deux leaders anglophones: Salomon Tandem Muna et Jouh Ngu Fancha.

Le 20 mai 1972, le Cameroun célèbre l’unification des deux parties à la faveur du référendum organisé la même année. Le Southern Cameroon qui s’est rattaché au Cameroun francophone est divisé en deux provinces: le Nord-Ouest avec pour capitale provinciale Bamenda et le Sud-Ouest avec pour capitale Bula. Ahidjo impose le français et l’anglais comme langues officielles. Mais dans la réalité, ceux qui veulent des postes dans le gouvernement doivent obligatoirement parler le français. Le sentiment d’injustice naît chez les anglophones qui se sentent méprisés et humiliés.

L’actuel président Paul Biya, qui a pris le pouvoir en 1982, poursuit la politique d’apartheid de son prédecesseur. La région dont le sous-sol offre plus de 70% des exportations camerounaises est écartée de tout processus de développement. Ce ne sont que de « petits opposants » selon l’expression consacrée. L’eau potable, l’électrification villageoise, le désenclavement sont relégués au second plan. On ne les évoque que lors des consultations électorales.

Sans passer par un référendum, Paul Biya change d’appellation du pays. La République Unie du Cameroun devient tout simplement République du Cameroun.

Le début de la rébellion

La rébellion débute en 1990. Les anglophones de Bamenda sortent massivement dans les rues, le 26 mai, pour revendiquer plus de liberté et de démocratie. Paul Biya envoie l’armée mater la rébellion. Bilan: 6 morts abattus par balles et de nombreux blessés. Le mouvement embrase alors tout le pays et contraint Paul Biya à accepter le multipartisme. Mais les anglophones veulent davantage: une Conférence nationale souveraine, que le président balaie d’un revers de la main en ces termes: « La Conférence nationale est sans objet pour le Cameroun ». Une phrase qui va mettre le feu à la poudre. De nouvelles manifestations tournent au drame. A Douala, Bamenda, Bula, Bafoussam, Garo, on compte de nombreux morts, tués par l’armée.

En 1994, les anglophones s’organisent dans ce qu’ils appellent « All Anglophone Conference ». Ils expriment alors publiquement leur revendication: le retour au fédéralisme d’avant 1972.

Après une période d’accalmie, une centaine de jeunes anglophones poursuit la lutte. Le 30 décembre 1999, une vingtaine d’entre eux, armés de machettes et de gourdins, font irruption dans la maison de la radio de Bula (capitale provinciale de Sud-Ouest). Un ancien magistrat, Ebong Frederick Alobwede, leur leader, proclame l’indépendance du Southern Cameroon et s’autoproclame président. Mais leur rêve ne dure que quelques jours. Ebomg Frederick et ses accolytes sont arrêtés le 8 janvier 2000. Lui et quelques-uns uns sont libérés en mars 2001. D’autres sont encore détenus.

Pour la création d’une « République d’Ambazonie »

Aujourd’hui en exil en Europe, Ebong Frederick a formé son futur gouvernement en vue de la création de la Republic of Ambozania (République d’Ambazonie, du nom de la baie d’Ambas, riche en pétrole). Mais Paul Biya, avec le soutien de la France, a mis tout en œuvre pour qu’aucun anglophone n’accède au pouvoir. Les militants du Southern Cameroon ne subissent que des répressions de la part des autorités. Ils ont déjà perdu près de 20 militants et plusieurs croupissent encore dans les prisons de Bemenda et Yaoundé.

« Tout ceci ne nous intimide pas. Nous irons jusqu’au bout de notre revendication », a lancé un militant du SCNC, très sûr de lui et qui ne veut pas faire des révélations sur leur plan à venir.

« Nous aussi, nous avons des problèmes. Ils ne représentent que 20% de la population camerounaise. Aujourd’hui, c’est un anglophone qui est Premier ministre. Certaine d’entre eux occupent les plus hautes fonctions de l’Etat. Qu’ils nous laissent respirer aussi un peu », a déclaré à l’APIC un francophone exaspéré par la situation. En attendant, cette partie du payas qui offre plus de 70% des exploitations camerounaises provenant du sous-sol demeure le parent pauvre diu pays en matière de développement. (apic/mbt/mk/bb)

webmaster@kath.ch

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/apic-analyse-3/