APIC Reportage:
« La peinture, c’est ma vie »
Josef Bossart, agence APIC
Fribourg, 13 décembre 2001 (APIC) Ils ont à la fois un handicap mental et du talent. Ils aimeraient se consacrer entièrement à leur art. Un atelier d’expression unique en Suisse s’est ouvert pour eux il y a trois ans à Fribourg. Il s’inspire du mouvement Créahm (Création et handicap mental) né dans les années 80 en Belgique. Visite à Créahm Fribourg, où dix artistes adultes sont à l’?uvre un à deux jours par semaine.
Jovial, polyglotte, déterminé, Than Trinh Ngoc a 35 ans. Revêtu de son bleu de travail, il est solidement campé devant la paroi et dessine avec vivacité les contours abstraits de son monde imaginaire.
Avec des gestes larges et puissants, il enchaîne ses compositions à la peinture acrylique, en couches successives de rouge, de vert, de bleu et de brun. Il couronne avec précaution les surfaces colorées de douces formes arrondies, qui font penser à des yeux ou à d’autres éléments du visage. La peinture sort des mains de Than. C’est son monde et les traces multicolores sur le mur de l’atelier attestent de l’intensité de son travail. En prévision de notre visite, l’artiste a accroché ses dernières réalisations au mur de l’atelier.
« Je suis une artiste »
Passage du Cardinal 2E, Créahm Fribourg occupe un local sur deux étages dans une ancienne fabrique d’aluminium désaffectée, utilisée à présent par divers locataires. Les lucarnes donnent sur le ciel. Tout n’est que silence et concentration cet après-midi, mis à part le dernier tube d’Elton John qui tourne dans un appareil CD. Myriam Schoen, 30 ans, se tient à quelques mètres de son tableau. Elle est absorbée dans la contemplation de taches de paysage, très expressives, et qui paraissent peuplées d’êtres fabuleux. Comme si la nature, l’animal et l’homme ne faisaient qu’un.
Myriam ne peut pas parler et communique à l’aide d’une table de vocabulaire simplifié. Elle a écrit dans son journal: « Mon grand-père m’a dit que j’irais mon propre chemin, que j’y arriverais… je suis une artiste. La peinture, c’est ma vie. »
Premières expositions
Il y a quelques semaines, Myriam et Than ont montré leurs travaux lors d’une exposition commune. Avec succès puisque plusieurs ?uvres ont été vendues. Pour le peintre et maître de dessin Ivo Vonlanthen, animateur de la première heure de Créham à Fribourg, l’intérêt manifesté par le public est un premier pas vers la reconnaissance du travail de l’association Créahm. L’art d’un autre genre – l’atelier de Fribourg s’appelle à juste titre « Centre d’art différencié » – qu’il cherche à promouvoir est une expression autonome, un art à part entière et qui veut être perçu comme tel.
L’atelier se situe dans un no man’s land, quelque part entre la culture et le social. Les difficultés commencent lorsqu’il s’agit de trouver des sponsors, pour financer le fonctionnement de Créham, actuellement ouvert deux jours par semaine
Monter des expositions dans les institutions et les foyers pour handicapés reste très important pour informer de l’existence de Créahm, selon Ivo Vonlanthen. Mais pour la reconnaissance de l’art qui s’y développe, il faut accéder aux galeries et se débarrasser de l’étiquette « art de handicapés ».
Motivation jamais prise en défaut
Le Musée singinois de Tavel a accroché cet automne une cinquantaine d’oeuvres des dix artistes qui travaillaient à ce moment là à Créham. L’exposition a attiré un large public.
Les handicapés doués, désirant être admis au sein de l’atelier de peinture à côté de leur travail, font tout d’abord un stage de six mois. Cette période de discernement est nécessaire aux candidats et aux autres membres de l’atelier.
Pour participer sérieusement à l’aventure, le seul talent ne suffit pas. Il faut également être en mesure de travailler de manière autonome, s’astreindre à une certaine discipline et faire preuve de patience: Les journées de travail au « Centre d’art différencié » comptent en principe 6 heures. « Il n’y a pas le moindre problème de motivation car chacun sait exactement ce qu’il veut faire », poursuit Ivo Vonlanthen admiratif: « Je suis stupéfait par leur résistance et leur entêtement! » La personne qui a en déjà assez au bout d’une demi-heure ou qui demande constamment ce qu’elle devrait peindre constatera rapidement que l’atelier Créahm n’est pas pour elle, souligne l’animateur.
Sa tâche? Il apporte avant tout une aide technique. Il a appris à se laisser simplement surprendre. Il ne lui a pas été toujours facile, au début, de laisser ses propres conceptions artistiques de côté, avoue-t-il. En trois ans, il a appris comment conduire ces personnalités uniques à s’exprimer directement: « il ne faut pas les stimuler sinon ils essaient à tout prix de vous faire plaisir – et c’est justement ce que je veux éviter! »
Un regard qui valide le travail
« Ils ont besoin de ma présence, ils ont besoin de quelqu’un qui aime vraiment leur travail et qui le valide », souligne l’animateur Il a déjà essayé de laisser Than, Myriam et les autres quelques heures seuls, mais ils ont aussitôt laissé leur ouvrage en plan. « Pour eux, je suis celui qui comprend et qui reflète ce qu’ils veulent faire. Ils le savent sans qu’on le leur ait jamais dit ».
Guy Vonlanthen, âgé de 43 ans, est assis les jambes écartées devant une feuille grand format collée à la paroi. Sur un tapis d’herbe au vert joyeux luisent des formes de légumes. Il est tout à son affaire et remplit de teintes pastel les formes qu’il a minutieusement dessinées la semaine précédente. « J’essaie depuis un certain temps d’amener Guy à affiner son trait en peignant », explique Ivo Vonlanthen. Il cherche également à le persuader d’observer régulièrement son travail de loin, comme le fait sa voisine d’atelier Myriam. Il n’y est pas encore parvenu.
A l’étage supérieur, Véronique Bovet, 25 ans et Bernard Grandgirard, 44 ans, travaillent. La jeune artiste est assise, crayonnant l’un de ses portraits inimitables et qu’on ne peut méconnaître, réalisé d’après une interprétation libre d’un document d’histoire de l’art. Pour sa part Bernard illustre, à l’aide d’un feutre fin, son récent voyage en Amérique. Et voilà que surgit, confondant de vérité, le visage d’Elvis Presley.
NOTE: Les illustrations de ce reportage peuvent être commandées auprès de l’agence Ciric à Lausanne: tél. 021 613 23 83, fax 021 613 23 84, e-mail: ciric@cath.ch
Encadré:
Créahm Fribourg
Créée en décembre 1999, l’association Créahm Fribourg – « Création et handicap mental » – propose, selon sa documentation, de mettre à disposition de personnes handicapées talentueuses un lieu de travail où elles peuvent en toute liberté s’exprimer dans le domaine des arts visuels. Les activités de l’atelier pourraient s’étendre par la suite à d’autres formes d’expression artistique comme la musique, le chant, le théâtre et la danse.
L’idée de Créahm Fribourg est née dans les années nonante, alors que des artistes du mouvement en Belgique tournaient en Suisse avec des expositions et des représentations théâtrales. En septembre 1998, Fribourg a démarré un essai pilote de deux ans. Seize personnes handicapées venues d’ateliers de travail protégés ont suivi le cours d’introduction. Depuis 1999, dix artistes handicapés poursuivent leur projet personnel à l’Espace Boxal. Créahm Fribourg collecte des fonds pour assurer et étendre ses activité. L’association cherche des membres individuels et collectifs, des donateurs et des sponsors.
Adresse: Créahm Fribourg, Centre d’art différencié, Passage du Cardinal 2E, 1700 Fribourg, tél. 079 479 73 15, E-Mail creahm@yahoo.fr (kipa/job/wm/mjp)
France: La mission sur l’esclavage moderne rend son rapport
Carton rouge aux pouvoirs publics
Paris, 13 décembre 2001 (APIC) La Mission d’information parlementaire sur l’esclavage moderne préconise d’accorder un véritable statut aux victimes de la traite des êtres humains, trop souvent négligées et vues comme des coupables. Ces victimes, précisent les auteurs du rapport, sont presque toujours des étrangers en situation irrégulière. La Mission adresse un carton rouge aux pouvoirs publics.
Dans un rapport de 200 pages publié jeudi, la Mission estime qu’ »une fois sorties des réseaux », les victimes qui le souhaitent doivent pouvoir, à l’instar de ce qui se fait en Italie ou en Belgique, « obtenir un titre de séjour leur permettant d’envisager un avenir en France », même si elles sont entrées clandestinement.
Composée de 30 députés, la Mission a mené neuf mois d’enquête et d’auditions, en France et à l’étranger (Ukraine, Moldavie), sur la traite des êtres humains, qu’il s’agisse d’exploitation sexuelle via la prostitution, d’esclavage domestique, de travail clandestin, voire de soumission à la mendicité et au vol.
« Mineurs que l’on oblige à se prostituer ou à voler, femmes qu’on soumet à un régime de terreur », l’esclavage est une réalité « trop méconnue » et « mal combattue » en France, soulignent les députés. La Mission adresse un carton rouge aux pouvoirs publics et leur demande de faire de la lutte contre la traite une « cause nationale » en créant notamment une structure spécifique au niveau national. Outre des mesures d’aide aux victimes, ainsi que de protection pour les inciter à aider la police à poursuivre les auteurs de la traite, la Mission suggère d’introduire la notion de traite des êtres humains dans le code pénal.
Les députés souhaitent par ailleurs sanctionner pénalement le fait d’offrir des conditions de travail ou d’hébergement contraires à la dignité humaine, doubler les sanctions pour les délits actuellement prévus (portées à cinq ans de prison et 150’000 euros d’amende), renforcer les sanctions financières en matière de proxénétisme et engager, en matière de travail clandestin, la responsabilité du donneur d’ordres. (apic/ag/pr)
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