Comment les chrétiens doivent-ils considérer le peuple juif à travers la bible?

Document romain pour répondre à cette question « épineuse »

Rome, 12 décembre 2001 (APIC) Le Vatican vient de publier un document de plus de 200 pages, en italien et en français, intitulé « Le peuple juif et ses Saintes Ecritures dans la bible chrétienne ». Ce texte, écrit par la Commission biblique pontificale présidée par le cardinal Josef Ratzinger, infirme toute racine d’anti-judaïsme qui serait présente dans le Nouveau Testament. But du document publié mercredi: tenter de répondre à certaines questions « épineuses » et mettre un terme à « beaucoup d’idées fausses ».

« Dans son travail, la Commission biblique ne pouvait pas faire abstraction de notre contexte actuel, où le choc de la shoah a mis toute la question dans une autre lumière », écrit le cardinal Ratzinger en préface. Pour le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, deux problèmes principaux se posent, à savoir tout d’abord « si les chrétiens peuvent, après tout ce qui est arrivé, avoir encore tranquillement la prétention d’être des héritiers légitimes de la bible d’Israël » et « si ensuite la façon dont le Nouveau Testament lui-même présente les juifs n’a pas contribué à créer une hostilité contre le peuple juif, qui a fourni un appui à l’idéologie de ceux qui voulaient anéantir Israël ». Le document qui comprend trois parties, tente de répondre à ces questions en s’appuyant sur une étude rigoureuse de la bible.

En trois parties

La première partie démontre que les Saintes Ecritures du peuple juif – l’Ancien Testament – sont une partie fondamentale de la bible chrétienne, puisque notamment le Nouveau Testament « reconnaît explicitement l’autorité de ces écritures ». Le document parle de « parenté de langage » entre les deux parties, la seconde « empruntant de nombreuses expressions à la première ».

La seconde partie étudie dans quel mode les thèmes fondamentaux des écritures du peuple juif ont été perçus dans la foi chrétienne. Le document propose ici des analyses précises qui montrent comment la foi chrétienne se trouve en « profonde continuité », sur tous les points essentiels, avec la foi exprimée dans la bible juive. On retrouve ainsi dans le Nouveau Testament les thèmes de « la révélation du Dieu unique », « la grandeur et la misère des personnes humaines », « les initiatives divines de libération et de salut », « l’élection d’Israël », l’alliance, la loi, la prière et le culte. On constate toutefois une nette évolution entre l’Ancien et le Nouveau Testament, qui conduit à certains aspects « de discontinuité rendus nécessaires pour l’accomplissement du dessein de Dieu ». « L’accomplissement des Ecritures comporte aussi, inévitablement, un aspect de discontinuité sur certains points, car, sans cela, il ne peut y avoir progression. Cette discontinuité est source de désaccords entre chrétiens et juifs, il serait vain de vouloir se le cacher. Mais on a eu tort, dans le passé, d’insister unilatéralement sur elle, au point de ne plus tenir compte de la continuité fondamentale », peut-on lire dans la seconde partie du document.

La troisième partie analyse quant à elle les diverses manières avec lesquelles les juifs sont présentés dans les écrits du Nouveau Testament. « Il faut avant tout être conscient de la diversité du judaïsme à l’époque du Nouveau Testament », est-il écrit. Les auteurs rappellent donc que le judaïsme, qui est un terme approprié pour désigner la période de l’histoire israélite – qui a commencé au 5ème siècle avant J.C. -, a connu de nombreuses divisions basées sur des interprétations différentes de la loi juive. Parmi les communautés ainsi créées on comptait à l’époque du Nouveau Testament, celle des « Samaritains », celle des « Saducéens », des « Pharisiens » et des « Esséniens ». Les rapports entre ces diverses tendances étaient parfois extrêmement tendus, précisent les auteurs du document.

Textes polémiques

Ainsi, la situation de tension qui s’est créée entre les disciples et des tendances du judaïsme « n’était pas un fait exceptionnel », explique-t-on. Dans le Nouveau Testament, « la plus grande partie des textes exprime des attentes très positives » regardant le peuple juif. Mais il y a aussi des textes polémiques. Le document les examine attentivement et constate qu’il ne s’agit jamais d’un véritable anti-judaïsme, « c’est-à-dire d’une attitude de mépris, d’hostilité ou de persécution contre les juifs en tant que juifs ». « Il s’agit de reproches adressés à certaines catégories de juifs pour des motifs religieux et, d’autre part, des textes polémiques visant à défendre l’apostolat chrétien contre des juifs qui lui faisaient opposition ».

« Le dialogue reste possible, puisque juifs et chrétiens possèdent un riche patrimoine commun qui les unit », affirme en conclusion les auteurs. Ils soulignent en outre que ce dialogue « est grandement souhaitable pour éliminer progressivement d’un côté comme de l’autre, préjugés et incompréhensions, pour favoriser une meilleure connaissance du patrimoine commun et pour renforcer les liens mutuels ».

Encadré

Entretien avec le Père Albert Vanhoye.

Secrétaire de la Commission ayant rédigé le document « Le peuple juif et ses Saintes Ecritures dans la bible chrétienne », le Père Albert Vanhoye a indiqué mercredi à l’APIC que « les auteurs espèrent fortement qu’une telle étude pourra favoriser le dialogue entre chrétiens et juifs ».

« L’idée de la rédaction de ce document est justement partie de la préoccupation du cardinal Josef Ratzinger concernant la question brûlante des relations entre chrétiens et juifs », a-t-il expliqué. Pour le secrétaire de la Commission biblique pontificale, les auteurs « n’ont toutefois pas prétendu, évidemment, prendre position sur tous les aspects de la question des relations entre l’Eglise et le judaïsme ». « Elle se limite au point de vue de l’exégèse biblique, dans l’état actuel des recherches », a-t-il précisé.

« On doit reconnaître que plusieurs passages de la bible sont susceptibles de servir de prétexte à l’anti-judaïsme et qu’ils ont effectivement été utilisés dans ce sens, mais de telles dissensions n’impliquent en rien une hostilité réciproque », a déclaré le jésuite. « Pour éviter ce genre de dérapage, on doit s’assurer que les textes polémiques du Nouveau Testament, même ceux qui s’expriment en termes généraux, restent toujours liés à un contexte historique concret et ne veulent jamais s’en prendre au peuple juif », a-t-il précisé.

Mettre un terme é des « idées fausses »

Ce document a ainsi été rédigé avec l’objectif « de mettre un terme à beaucoup d’idées fausses qui viennent souvent de lectures trop rapides de la bible », a souhaité le Père Vanhoye, reconnaissant toutefois l’aspect « épineux » de la question. « Cette analyse devrait ainsi permettre d’éviter deux dangers opposés »: le premier consiste à « attribuer une validité encore actuelle, pour les chrétiens, à des prescriptions anciennes », comme par exemple en refusant, par souci de fidélité à la bible, toute transfusion sanguine; le second danger selon le Père Vanhoye est « de rejeter toute la bible sous le prétexte de ses cruautés ». Il a alors souhaité que leur travail qui a pris 4 années d’études « permette une perspective positive » des relations avec les juifs.

Jean Paul II lui-même avait rappelé en mars 2000 à l’occasion de son voyage en Terre Sainte que chrétiens et juifs doivent « travailler ensemble à la reconstruction d’un avenir dans lequel il n’y aura plus d’anti-judaïsme chez les chrétiens ni des sentiments anti-chrétiens chez les juifs. Nous avons beaucoup de choses en commun, avait-il déclaré. Nous pouvons faire tant de choses pour la paix, la justice, pour un monde plus humain et plus fraternel ».

Quelques mois plus tard, en août 2001, les relations entre juifs et chrétiens étaient toutefois menacées par une polémique mettant fin à la commission mixte de travail sur les archives relatives à la seconde guerre mondiale. Cette commission composée d’historiens juifs et catholiques avait été créée en 1998 pour étudier certains points de dissensions liés à cette période. Mais les travaux ont été suspendus, le Vatican déplorant un « sentiment de méfiance » et des « divergences d’interprétation » quant à l’objectif de la Commission. (apic/imed/pr)

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