APIC Interview
Une radio proche des auditeurs
Moundou, 22 février 2002 (APIC) « Vous êtes bien sur Duji Lokar FM 101.8, Radio Etoile du Matin ». Depuis le 15 décembre dernier, la population de Moundou, au Tchad, et de la région écoute « sa » radio. Pari lancé. Un peu plus de 18 mois après son départ de Fribourg, en Suisse, Maurice Page a tenu le pari. Créer une radio régionale au Tchad. Les locaux ont été inaugurés le 28 janvier dernier. Duji Lokar n’a qu’une ambition, relève le journaliste fribourgeois: être proche de ses auditeurs, être un lien entre les gens.
Il a quitté un jour son poste de rédacteur à l’APIC, laissé sa place de conseiller général chrétien-social de la ville de Fribourg, et aussi sa charge de secrétaire cantonal du parti, pour s’engager comme volontaire au sud du Tchad. Parti en août dernier de Fribourg pour Moundou, le journaliste parle aujourd’hui de « sa » radio diocésaine, catholique, dans un pays largement musulman. Une radio qui se veut aussi un outil au service du développement de la population ». Engagé comme collaborateur laïc des missionnaires de Bethléem Immensee, Maurice Page tire le bilan 18 mois de dépaysement, dans un coin du monde où la patience devient un art. Interview.
M. Page: Après de longs mois d’attente, de préparatifs et de mise en ?uvre, la radio communautaire du BELACD de Moundou est enfin opérationnelle. L’équipe s’est engagée avec enthousiasme dans cette aventure de la communication. En fait d’aventure, le mot n’est pas frelaté. Dès les premiers jours nos journalistes sont montés au front d’une actualité chaude, violente. L’événement: une nouvelle recrudescence du conflit agriculteurs-éleveurs avec des blessés à l’arme blanche et plusieurs morts.
APIC: Pas simple d’?uvre pour une radio diocésaine, catholique, dans une communauté à majorité musulmane. Comment faire votre travail de journaliste dans un esprit de paix, et sans jeter de l’huile sur le feu? Comment éviter les débordements ? Vous n’êtes pas du genre à vous taire.
M. Page: Certainement pas! Nous avons opté pour un traitement neutre en recueillant les témoignages des uns et des autres sur le déroulement des faits, sans jugement, sans condamnation. Premier exercice réussi ?
APIC: Avec quel temps d’antenne, et pour combien de jours par semaine.
M. Page: A raison de 4 heures par jour 7 jours sur 7. La réalisation de programmes pour le temps d’antenne occupe bien notre temps et exige un rythme de travail soutenu: conférence de rédaction à 9h00, départ pour les enquêtes ou les reportages, retour au studio pour le début des émissions à 16h30. Fin des programmes à 20h30 au moment où la ville commence à s’endormir.
APIC: La population de Moundou et des environs pose quel regard sur cette expérience toute nouvelle?
M. Page: La magie des ondes joue encore pleinement. L’enthousiasme des auditeurs est de rigueur à un point tel qu’il est parfois difficile de contenir les énergies ! Avant sept heures du matin, 50 jeunes se pressaient déjà devant le portail pour obtenir une carte de dédicaces gratuite pour dédier un disque à leurs amis. Le courrier des auditeurs est abondant et fleuri: « A chaque fois que je reviens du champ tout fatigué, mes amis me dérangent en me demandant d’écouter la radio Duji lokar. Mécontent de ce dérangement, je les ramasse frontalement en ces termes: Quand on revient du champ généralement on est fatigué. Ne savez-vous pas que je suis fatigué? Excusez-moi, j’ai aussi besoin de repos ! Mais un jour, l’indicateur de mon poste radio s’est arrêté par hasard sur la fréquence de la radio Duji lokar qui est en train de parler du patrimoine. Et je la trouve très intéressante. Depuis je ne fais qu’écouter cette nouvelle station ».
APIC: Comment définiriez-vous la « mission » d’une radio diocésaine dans le cadre qui vous entoure?
M. Page: Informer, éclairer, divertir, éduquer La mission d’une radio peut se définir par ces quatre mots. Dans un pays comme le Tchad, enclavé au c?ur du continent africain, c’est moins banal qu’il n’y paraît de prime abord. La population n’est pas blasée par le flux continu de l’information. Avec la radio, des régions entières qui n’ont ni télévision, ni téléphone s’ouvrent au monde. L’ambition de Duji lokar d’être un acteur efficace de développement n’est pas trop grande. « La démocratie et l’éducation démocratique se fondent sur la foi dans les gens, sur la conviction que non seulement ils peuvent mais qu’ils doivent parler des problèmes de leur pays, de leur continent », écrivait Paulo Freire (1921-1997). Libérer la parole pour sortir de l’ignorance, pour défendre la justice et le droit, pour vaincre les peurs, pour rendre à chacun sa dignité, telle est notre mission.
APIC: Duji lokar dispose aujourd’hui de quels moyens techniques, matériellement s’entend?
M. Page: Matériellement, l’équipe de la radio est enfin presque complètement installée. L’installation électrique a été refaite, la toiture réparée, les locaux rafraîchis. Le bâtiment a retrouvé son allure. Le climatiseur du studio vient de nous être livré. Le pylône d’antenne, construit sur place, domine le quartier de ses 50 mètres. Les grands rapaces ne se gênent pas pour prendre nos antennes pour des perchoirs. Au pied de l’antenne une petite case en dur abrite l’émetteur. Quelques petits problèmes techniques subsistent, mais nous sommes en train de trouver des solutions. Côté « moyens roulants », comme on dit ici, nous sommes désormais équipés d’une mobylette noire, d’une belle moto rouge et d’une Toyota land cruiser bleue. Nous pouvons donc vraiment être sur le terrain et nous déplacer dans les coins les plus reculés de notre « territoire » . à peu près grand comme la Suisse romande avec une dizaine de kilomètres de route goudronnée en ville.
APIC: Et humainement.
M. Page: Une radio n’est évidemment rien sans les hommes et les femmes qui la font. Duji lokar a pu recruter cinq journalistes-animateurs professionnels et un technicien. Ils sont assistés d’une dizaine d’auxiliaires. Faire tourner cette équipe de quinze personnes sept jours sur sept demande déjà une solide organisation. Il faut savoir tirer le meilleur profit des qualités de chacun tout en ménageant les susceptibilités individuelles et en permettant à chaque personne de s’exprimer. Sans compter que nous travaillons en deux langues.
APIC: .Mais avec moins de stress qu’en Europe?
M. Page: Il faut bien reconnaître que les notions de ponctualité, d’horaires, de rigueur, d’assiduité au travail ne sont pas vraiment les mêmes que dans une Europe rongée par le stress. Ma tâche tourne donc essentiellement autour de l’organisation et de l’encadrement. Même si mon rôle est de veiller au bon fonctionnement de l’ensemble et au respect des normes du journalisme radio, j’essaie de déléguer les compétences et de laisser à chacun ses responsabilités dans un rapport de confiance mutuelle. Face à des personnes dont le niveau de formation est assez bas, la tendance naturelle de certains missionnaires et coopérants a été de les considérer comme des enfants et de les garder dans un rapport maître-élève en refusant consciemment ou non de leur confier des postes à responsabilité. A terme, ces personnes ont acquis d’assez bonnes connaissances, mais elles ne sont pas autonomes. Ici au Tchad, plusieurs projets ont périclité pour cette raison. Ce que je tiens à éviter pour la radio, même si cela implique davantage de risques. La précarité permanente des conditions de vie fait qu’il est difficile aussi de penser à l’avenir lointain et de prévoir des investissements à long terme. (apic/pr)
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