Paris: Régis Debray analyse la notion de «Dieu unique» dans son dernier livre

Le Dieu unique est absent des cultures orales

Paris, 24 février 2002 (APIC) Le Dieu personnel et unique est absent des cultures orales. Quant à l’invention de l’alphabet consonantique, il a permis de « desserrer le temps, de décoller du réel et de produire de l’invisible ». Une innovation technologique utilisée par les Hébreux pour inventer le Dieu unique ». Ces observations ont été faites par Régis Debray dans son dernier livre « Dieu: un itinéraire », aux Editions Odile Jacob. Il les a rapportées devant le personnel du groupe des Publications de la Vie Catholique (PVC).

Régis Debray a été chargé par le ministre de l’Education nationale Jack Lang de rédiger un rapport sur l’enseignement de l’histoire des religions dans l’enseignement public. Il a illustré devant le groupe PVC la « médiologie », une discipline nouvelle dont il est le créateur et qui s’intéresse à l’impact des mutations technologiques sur nos mentalités et nos modes de pensée.

Et d’expliquer que le Dieu judéo-chrétien est « une matrice qui a informé des paysages, une histoire, un calendrier ». Mais, aussi bien, que « sans l’invention de la bicyclette, le féminisme n’aurait pas vu le jour ». Ou, encore de demander: « Pourquoi notre Dieu est-il une personne? Cela ne va pas de soi, il faudrait y réfléchir. » Ce Dieu judéo-chrétien « comme activité, n’est pas neutre ». C’est « une donnée culturelle, une matrice, qui va informer des paysages, une histoire, un calendrier. » Et, si Jésus relève de l’histoire, tel n’est pas le cas du Christ, qui « est l’affaire des disciples à la lumière des Ecritures ». Régis Debray dénonce, ce faisant, le préjugé historiciste, « dont l’exemple récent le plus consternant est l’approche de la série TV « Corpus Christi » car « le sens du fait est plus important que le fait lui-même. A quoi bon pinailler sur tel ou tel détail de la crucifixion ? »

L’ancien conseiller du président François Mitterrand a également dressé un état des lieux relatif à l’enseignement du fait religieux à l’école. Aujourd’hui, les deux tiers des Français y sont favorables. Un consensus se dégage quant à la nécessité de pallier aux lourdes lacunes des élèves, invalidantes tant pour l’accès au patrimoine culturel qu’en matière de tolérance religieuse: ignorer l’autre c’est le diaboliser. Transmettre cette histoire des religions revient aussi à lutter contre un rapport au temps faussé par « un instantanéisme généralisé et une hypertrophie de l’actualité. »

Méfiance face à la manipulation cléricale et au relativisme

Mais si le consensus existe sur le principe, tel n’est pas le cas pour la méthode. « On a affaire à une double méfiance. Les laïcards redoutent une manipulation cléricale. En face, le clergé craint que soit valorisé à travers cet enseignement un relativisme susceptible d’enlever aux religions ce qui fait leur âme », explique Régis Debray. Les syndicats enseignants réagissent à vif car les professeurs font une phobie de tout ce qui ressemble à un retour de « Dieu à l’école ». Cette expression utilisée par un hebdomadaire chrétien pour désigner l’enseignement des religions à l’école et titre d’un colloque récent consacré au même sujet est « contre productive car de nature à faire penser, à tort, que l’on veut enseigner la religion (ndr: chrétienne) à l’école et non les religions. Or, toute la différence est là ». Face à cette double méfiance – des clercs et des enseignants -, il faut beaucoup de pédagogie. Or, en l’état actuel, les enseignants sont inhibés, mal à l’aise quant il s’agit de transmettre le patrimoine historique et culturel des religions. Pour y faire face, il faudrait former aujourd’hui à la didactique des religions 60’000 professeurs d’histoire, 50’000 profs de lettres et 7’000 profs de philosophie.

La France devait-elle s’inspirer de ce qui fait ailleurs en Europe? la réponse de Régis Debray est catégorique: « Certainement pas car aucun des quatre ou cinq modèles européens existants n’est satisfaisant. Il ne s’agit pas de faire un enseignement confessionnel et, au fond, prosélyte, comme c’est le cas en Allemagne ». Par contre, le modèle français, s’il parvient à se construire, « pourrait faire exemple ». De même que l’islam de France, s’il parvient à s’organiser et à fonctionner démocratiquement au sein de la République, dans le respect des principes de laïcité, « pourrait lui aussi faire école ». Utopique? « Non, c’est possible. Il faut y travailler », répond, imperturbable, Régis Debray. (apic/jcn/bb)

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