APIC Reportage
De l’hôtel de ville à l’autel ou quand le maire devient Père
Par Pierre Rottet, de l’Agence APIC
Avignon, mai 2002 (APIC) Marier sa fille à la mairie le matin et l’après- midi à l’église? Patrice Surrel aurait très bien pu le faire, si les circonstances s’y étaient prêtées. Conseiller puis maire pendant près de 15 ans d’une petite commune dans le Département français du Gard, il sera ordonné prêtre l’an prochain, à l’âge de 55 ans. Une vocation tardive pour ce célibataire « endurci », qui le mènera de l’hôtel de ville à l’autel, de l’état de maire à celui de « Père ». Reportage.
« Ce cas de figure est arrivé à l’un de mes collègues, veuf avec des enfants, commente le séminariste Patrice Surrel. Après le décès de son épouse, il était entré au séminaire. Maire et diacre à un moment de sa vie, la question s’est posée pour lui au mariage de sa fille. Finalement, il a laissé le soin à son adjoint d’officier le matin au civil, se réservant celui de célébrer l’après-midi la cérémonie à l’église ».
Des cas où le prêtre est aussi maire, Peppone et don Camillo tout à la fois, le folklore en moins, le séminariste en connaît au moins cinq en France. Pas une raison pour en faire un sixième. Une année après son entrée au séminaire diocésain d’Avignon en 1999, il a préféré renoncer à son écharpe et à son conseil de Boissières, un village de près de 500 âmes niché à une encablure de Nîmes et à deux d’Avignon, aux portes de la Camargue. Elu maire de la commune en 1987, il démissionnera en juin 2000. « J’aurais pu essayer de poursuivre jusqu’à la fin de mon mandat, en mars 2001. Mais cela devenait trop difficile, avec mes études ». L’âge n’arrangeant que peu les choses, hormis l’expérience du vécu.
Patrick Surrel aurait pu se « la couler douce », après 27 ans de travail dans la fonction publique, en qualité de conseiller juridique auprès de la Chambre d’agriculture du Gard, à Nîmes. Avec sa formation de juriste, à moins de 6 ans de la quille, comme tout bon fonctionnaire en France, il aurait assurément passé une retraite à l’abri du besoin, pour ne pas dire dorée. Il en a décidé autrement. Un an avant son ordination diaconale en novembre 2002, puis, si tout va bien, de prêtre en été 2003, l’ancien maire de Boissières ne regrette pas son choix. Il a vu certes ses études adaptées aux vocations tardives: écourtées dans son cas. Au point d’effectuer déjà son stage pastoral à Villeneuve lez Avignon, dans la banlieue d’Avignon, de l’autre côté du pont.
Vocation tardive: un avantage?
Dans la petite église de Villeneuve lez Avignon, qui hésite à s’apparenter au style gothique, parce que plus tardif, le stagiaire Surrel participe à la messe aux côtés du prêtre. En ce matin de semaine, une cinquantaine de fidèles ont pris place dans les bancs, avant d’aller rejoindre leurs petites maisons cossues. A l’abri, dans leur jardin, loin du déchaînement touristique que vit la ville d’en face, sur l’autre rive du Rhône, à l’intérieur de ses enceintes. « Je n’ai pas choisi le chemin de la facilité, reconnaît le futur prêtre, même si, à mes yeux il est plus facile d’entrer au séminaire à mon âge. »
De là à dire qu’une vocation tardive est un avantage. Le futur prêtre n’est pas loin de le penser, lui qui a apporté dans ses bagages de séminariste l’expérience d’un vécu, d’une vie, presque. « Cela me sert effectivement, convient-il, car j’appréhende différemment les questions qui se posent au quotidien. » Issu d’une famille ni trop ni peu pratiquante, Patrice Surrel laisse toutefois entendre que l’idée de devenir prêtre remonte sans doute à son enfance. « Je ne pense pas y avoir renoncé à un moment ou l’autre de ma vie, même si j’ai mis très longtemps à me décider ».
Le fruit d’une longue réflexion, assurément, pour cet homme qui passe dans sa commune pour savoir ce qu’il veut. « On ne le voyait jamais au bistrot, toujours le nez dans la lecture, dans ses moments libres, ou à s’occuper des affaires de la commune. La mairie était sa maîtresse », assure en riant Marc Foucon, successeur de Surrel. « Mais il ne s’est pas fait que des amis dans le village. Avec sa formation de juriste, il allait jusqu’au bout de ses idées. Opiniâtre, il n’aimait pas qu’on le prenne pour un imbécile. A vrai dire, il n’était guère diplomate, ce qui n’était pas toujours fait pour arranger les choses », convient, amusé, l’actuel responsable de Boissières.
« Il aurait mieux fait de se marier »
Dans la petite mairie de Boissières, autour de l’unique table, sous le regard du président Chirac et de Marianne, le maire Foucon, son adjointe Jany Roux et l’un de ses conseillers, le garde-champêtre Gérard Pouget, ami d’enfance du futur prêtre, évoquent la décision de Patrice Surrel de rejoindre le séminaire. « Il s’était bien gardé de nous le dire. Je crois même que nous avons été les derniers à l’apprendre », reconnaît mi-figue mi- raisin la vice-maire. Son ami d’enfance n’a pas eu droit à plus de confidence. « Tout de même, proche de la retraite.. alors qu’il pouvait être tranquille. On le savait bon catholique. Son choix a cependant étonné, y compris ses administrés ». Aucune remarque désobligeante n’a toutefois été formulée, pas même de la part de ses adversaires politiques parmi les plus tenaces. Tout au plus un ton de plaisanterie: « Il aurait mieux fait de se marier ».
Le retour du maire.. comme curé du village?
A Boissières, village naguère à vocation agricole, planté au milieu des cyprès et des oliviers, le chant des cigales a la couleur du rouge pour les protestants, la droite étant traditionnellement catholique. Au grand dam de celle-ci, la commune avait même un jour basculé avec une majorité communiste. En fait, relève le maire actuel, Boissières est très représentative de la population française. « On peut servir d’échantillon. Lorsqu’on a le résultat de la commune, nous avons celui de la France, à 1 ou 2% près ». Pas de quoi pavoiser, par les temps qui courent.
Il n’en demeure pas moins que Patrice Surrel a toujours été confortablement élu. « Ici, on vote habituellement pour l’homme, et non le parti. Je n’ai d’ailleurs jamais su pour qui il votait », glisse son amie d’enfance, la vice-maire. Et si demain l’ancien maire devait débarquer comme curé du village? « On n’a pas songé à cela. Ce serait une seconde surprise, pour nous et les administrés. Tu le vois confesser l’un ou l’autre de ses anciens adversaires », interroge le garde-champêtre au rire et à l’accent généreux. Sûr qu’on ne manquerait pas de lui dire: « Salut l’abbé, on te reprend comme conseiller ».
Une éventualité à laquelle se refuse Patrice Surrel. Mieux, il a un jour devancé la question après en avoir parlé avec l’évêque. Pourtant la hiérarchie avait programmé son stage dans un village agricole près de Nîmes. Guère envisageable, pour l’ex-conseiller juridique auprès de la Chambre d’agriculture du Gard, connu comme le loup blanc par le monde paysan de toute la région. « Cela m’aurait effectivement gêné de me retrouver avec des gens avec lesquels j’ai été amené à vivre des situations pénibles, où il fallait trancher dans le vif. C’est dire que je ne faisais pas forcément l’unanimité », reconnaît-il. Prêtre dans la paroisse de Boissières? La réponse fuse: « Pas d’accord. Semblable situation ne serait souhaitable ni pour mes anciens administrés ni pour moi ». Le futur abbé Surrel se contente de faire de temps à autre le déplacement d’Avignon et de Villeneuve lez Avignon, lorsque ses loisirs lui en laissent le temps, pour rejoindre sa maison familiale et son minuscule domaine flanqué d’oliviers.
« Heureux comme un pape »
Dans un peu plus d’un an, l’ancien maire de Boissières aura été au bout de son idée. Parce qu’un jour il s’est dit qu’il y avait « des choses plus importantes à faire ». Et peut-être même sous la forme d’une continuité par rapport à la fonction de maire, soucieux, dit-il, du bien commun. « Je me suis toujours senti un élu chrétien, en essayant de vivre mes convictions en référence à l’Evangile ».
Patrice Surrel en est convaincu, l’expérience de près de 15 ans de mairie constituera un plus pour affronter les problèmes spirituels et de la vie de ses paroissiens. « Comme maire, je crois que j’ai fait à peu près ce que j’avais souhaité. Savoir maintenant si cela l’a été de manière satisfaisante est une autre question, à poser aux citoyens de Boissières. Contenter tout le monde n’a pas été possible en politique. Il en ira de même comme prêtre ».
Le politicien n’était pas connu dans sa commune natale pour être à gauche. « Sans vouloir me mettre une étiquette politique sur le dos, j’admets que je suis plutôt conservateur ». Reste qu’il n’a pas attendu d’être au séminaire pour découvrir « Rerum novarum », l’encyclique sociale du pape Léon XIII (1891), qui aborde certes la question ouvrière, mais en réfutant le socialisme, pour poser les bases d’un catholicisme social.
Visiblement, Patrice Surrel est à l’aise dans son nouveau milieu. « Il est heureux comme un pape, assure à demi sérieux le garde-champêtre, sans doute loin d’avoir le monopole de l’expression. Ici, désormais, poursuit-il, on ne lui dit plus ’bonjour Monsieur le maire’, mais bien ’bonjour mon Père’. Comme personne, Surrel a changé complètement en 2 ou 3 ans, depuis qu’il est au séminaire. Il avait beaucoup de soucis, lorsqu’il était maire et à la Chambre d’agriculture. En plus, il fallait qu’il se fasse à manger en rentrant. Là, si j’ose dire, il se laisse vivre ».
La méprise de l’évêque
Une seconde jeunesse, sans doute, au contact des jeunes séminaristes. « Un jour, se souvient l’un d’eux au séminaire d’Avignon, au cours d’un repas qui avait suivi une cérémonie, un évêque avait pris Patrice Surrel pour mon père ». Le rire avait succédé à la gêne de l’évêque. Le conflit de génération? Il n’existe pas, assure Franklin, l’ami en question, sauf peut être pour ce qui est de la technique. Dans la salle de cours, une quinzaine d’étudiants prennent des notes au moyen d’un ordinateur portable. Sauf l’un ou l’autre, dont le futur abbé Surrel, fidèle au bon vieux stylo. (apic/pr)
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