La Mosquée de Paris donne un coup d’arrêt aux élections

Paris: La création du Conseil français du culte musulman est ajournée

Jean-Claude Noyé, correspondant de l’APIC à Paris

Paris, 23 mai 2002 (APIC) Le recteur de la Grande Mosquée de Paris a donné un coup d’arrêt au processus démocratique qui, après deux années de négociations, devait doter prochainement la communauté musulmane d’un Conseil français du culte musulman (CFCM). Officiellement au nom de la nouvelle donne politique et de problèmes relatifs aux modalités d’élection. En réalité parce qu’il n’accepte pas la perte d’influence de la Mosquée de Paris, favorable à un islam modéré, au profit de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), tenante d’un islam plus radical.

Après deux ans et demi de concertation sous l’égide du ministère de l’Intérieur, les représentants de l’islam (1) avaient réussi à arrêter les modalités et la date du 26 mai pour l’élection du futur CFCM. Mille cent mosquées, soit plus de 70 % des lieux de culte, devaient prendre part au vote. Les délégués étaient désignés et les listes des candidats en courts de validation.

Bref, après 20 ans de tentatives infructueuses, « on avait jamais été aussi prêt du but », comme l’a dit Alain Billon, conseiller de l’ancien ministre socialiste de l’intérieur. Mais, le 25 avril, coup de théâtre. Dalil Boubakeur, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, liée étroitement à l’Algérie, demande le report de cette élection. Afin de ne pas saborder celle-ci, les autres responsables musulmans ont proposé de reporter la date des élections au 23 juin. Nouveau refus de la Mosquée de Paris, qui menace de se retirer. Motif officiel: la nouvelle donne politique, après les élections du président de la République, et des problèmes « techniques » relatifs aux listes de délégués. Mais l’UOIF, donnée gagnant de ces élections et principal opposant de la Mosquée de Paris, lui reproche de ne pas accepter d’être marginalisée par la future instance. De fait, selon la Mosquée de Paris le système d’élection mis en place (2) entraînerait une sous-représentation du courant modéré et libéral, sinon institutionnel, qu’elle incarne. A la différence de l’UOIF, présentée comme proche des thèses fondamentalistes.

Mosquée de Paris critiquée

Lors de son grand rassemblement annuel au Bourget, cette instance avait invité la quasi-totalité des membres de la consultation sur l’islam de France à participer à une table ronde au cours de laquelle chacun a critiqué vertement l’attitude de la Mosquée de Paris. Tous ont appelé à maintenir la date des élections au 23 juin. Seule Betoule Fekar-Lambiotte s’est prononcée pour le report. Présidente de l’association « Terre d’Europe », et proche du chef spirituel de la confrérie soufie Alawiya, qui prône un islam tolérant et moderne, elle est la seule femme membre de la consultation sur l’islam de France.

Invitée mardi 21 mai par les journalistes de l’information religieuse (AJIR), elle a déploré que les divisions des musulmans soient étalées au grand jour. Elle a fait valoir en outre que les statuts du futur conseil ne sont pas encore prêts et que l’on ignore, en l’état, ce que seront son contenu et sa structure. « On ne sait pas quel islam ce conseil va prôner. L’ensemble des musulmans de France ne sont pas assez informés des enjeux de cette élection ni suffisamment mobilisés. Enfin, en l’état, les femmes seront trop peu nombreuses dans la future représentation car les lieux de culte sont tous gérés par des hommes. Je demande qu’un quota de femmes soit fixée et je ne voterai pas tant que cette demande n’aboutira pas », souligne- t-elle.

Et d’estimer que la date des élections et un problème mineur par rapport au contenu du futur CFCM, tout en rappelant les penchants fondamentalistes de l’UOIF. Pour preuve, dit-elle, l’atmosphère haineuse lors de son dernier rassemblement au Bourget. A cette occasion, Fouad Alaoui avait appelé les musulmans à ne pas voter aux législatives pour « Ceux qui veulent exclure nos filles parce qu’elles ont choisi librement de porter le foulard islamique et ceux qui veulent les obliger à suivre des cours de natation. »

Fouad Alaoui jure pourtant les grands Dieux que l’UOIF est favorable à un islam soluble dans la République. Il met en avant l’arrêté du Conseil Constitutionnel qui autorise, au cas par cas, le port du voile islamique dans les écoles publiques. Enfin, il souligne que, puisque les positions de l’UOIF sont connues de longue date, il n’est pas cohérent d’avoir accepté de travailler pendant plus de deux ans à ses côtés au sein de la consultation sur l’islam de France et de se cabrer in-extremis, au nom du rejet de l’islam fondamentaliste.

La Mosquée de Paris cherche le soutien de Chirac

De fait, selon des observateurs qualifiés, ce sont des raisons politiques qui motivent le refus de la Mosquée de Paris. La victoire de la droite aux élections législatives ouvrirait à Dalil Boubakeur, proche de Jacques Chirac qu’il a reçu à la Mosquée de Paris le 9 avril dernier, une marge de manoeuvre. Le nouveau gouvernement pourrait reprendre complètement en main le dossier, à la faveur de la Mosquée de Paris. Auquel cas ses nombreux détracteurs se cabreraient leur tour. Par-delà les divergences sur les liens que l’islam doit entretenir avec la modernité, se profilent en réalité des luttes de pouvoir téléguidées, de loin ou de près, par les pays qui financent l’une et l’autre fédération, l’une et l’autre mosquée. Tant que les musulmans de France ne se seront pas libérés de ces ombres tutélaires, ils auront bien du mal à s’entendre. (jcn)

(1) Cette instance regroupe les délégués des grandes mosquées (Evry, Lyon, Paris, Marseille, etc.) et de fédérations musulmanes: l’UOIF, la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF, à dominante marocaine), la Fédération française des associations islamiques d’Afrique, des Comores et des Antilles (FFAIACA), le mouvement Foi et pratique, représentant le Tabligh. Sans oublier des personnalités « qualifiées » comme Betoule Fekkar- Lambiotte.

(2) Chaque mosquée désigne un nombre de délégués calculé selon la superficie de la salle de prières puis ces délégués forment un corps électoral chargé d’élire l’instance représentative.

(apic/jcn/bb)

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