L’Eglise de Chine dans la tourmente des événements de juin

APIC – Dossier

Analyse du Père Jeroom Heyndrickx, sinologue de Louvain

Louvain, 30juin(APIC) A l’heure de la sévère répression qui s’abat sur la

Chine en ce mois de juin, le Père Jeroom Heyndrickx, scheutiste flamand et

sinologue reconnu, fait le point sur la situation de l’Eglise chinoise pour

l’agence de presse catholique CIP à Bruxelles. Après avoir passé 25 ans à

Taïwan, le P. Heyndrickx dirige aujourd’hui la Fondation Ferdinand Verbiest, centre culturel de l’Institut Chine Europe au sein de l’Université

catholique de Louvain (KUL, Leuven). Son regard est celui d’un ami du

peuple chinois qui souffre de voir les signes d’ouverture de ces dernières

années si brutalement réprimés.

« Depuis une semaine, ici, nous avons eu chaque jour un enterrement, et

chaque fois, de nombreux chrétiens sont venus pleurer leurs disparus », racontait à la mi-juin un vieux prêtre dans une église catholique de Pékin.

Pendant qu’il parlait, des hommes et des femmes s’agenouillaient en pleurs

dans l’église, laissant échapper de temps à autre leurs cris de chagrin en

pensant à leurs enfants tués. Un jeune prêtre ajoutait: « On nous sollicite

beaucoup pour présider des enterrements. Nous allons là où on nous demande.

Notre tâche est de consoler ceux qui pleurent ». Il ne s’est cependant pas

risqué à évaluer le nombre de catholiques tués sur la Place Tien An Men. A

ce propos, les officiels de l’Association patriotique des catholiques de

Chine (APCC), proche du régime, ont affirmé qu’aucun catholique n’avait été

tué durant les événements de Pékin.

Les catholiques et le mouvement pour la démocratie

Dans quelle mesure les catholiques chinois ont-ils pris part en tant

tels aux manifestations? Difficile à dire, répond le Père Heyndrickx. Normalement, on s’attendrait à ce qu’ils aient pleinement soutenu la lutte

pour la démocratie et contre la corruption.

Mais peut-être étaient-ils un peu moins activement concernés par les manifestations. Le traumatisme des tortures qu’ils ont subies durant la Révolution culturelle est encore vivant chez eux.

Fausses images sur l’histoire de la Mission de Chine

Dans les années soixante, on idéalisait en Occident tout ce qui se passait en Chine durant cette période. En conférence internationale, on analysait l’idée de l’ »homme nouveau » en Chine d’après les écrits de Mao. Des

spécialistes chrétiens de la Chine sont allés jusqu’à affirmer qu’il n’y

avait qu’en Chine que l’Evangile était authentiquement vécu! Tout cela à un

moment où, en Chine, tous les chrétiens subissaient persécutions et mauvais

traitements. Plusieurs d’entre eux sont morts ou ont été torturés en prison. En fait, à l’époque, la souffrance était le lot de tous les citoyens

chinois. L’information diffusée durant cette période peut passer pour un

modèle quant à la manière de faire mentir la réalité.

Les images fausses sur l’Eglise qui ont été répandues en Chine pendant

des années sont un résultat manifeste de la même tactique. Les missionnaires Ricci, Schall et Verbiest ont été des pionniers en matière d’échanges

culturels et scientifiques entre la Chine et l’Europe. On les a rangé dans

la « génération des géants ». Leur initiative quant à l’inculturation de

l’Eglise en Chine a, certes, échoué. Ceci ne doit pas surprendre, étant

donné qu’ils étaient en avance sur leur temps.

Les chrétiens chinois qualifiés de « mauvais patriotes »

Les historiens de la Chine d’aujourd’hui y ont vite trouvé un prétexte

pour considérer les missionnaires comme auteurs d’une « invasion culturelle ». Résultat, entre autres: les chrétiens chinois, jusqu’à nos jours, sont

désignés en Chine comme « mauvais patriotes ». Le Père Ferdinand Verbiest,

envers qui son ami, l’empereur Guangqi ne tarissait pas d’éloge, a été soudain, dans les documents officiels chinois depuis la Révolution culturelle,

dépeint comme un espion des Russes. Des historiens russes, polonais et même

chinois ont contesté cette version des faits et l’ont taxée de non scientifique lors de la Conférence internationale de Louvain consacrée à Ferdinand

Verbiest, en septembre 1986.

Face à cette tactique, les plus vulnérables étaient naturellement tous

les missionnaires étrangers venus en Chine après la Guerre de l’Opium. Ils

ont toujours clairement profité des avantages politiques et commerciaux

moyennant le chantage exercé sur les Chinois par les grandes puissances impérialistes occidentales. C’est via ces grandes puissances que les missionnaires ont obtenu l’autorisation d’entrer en Chine après 1840. Ils y ont

construit 3 Universités, 250 écoles secondaires, 800 écoles primaires et

250 dispensaires et hôpitaux.

Ils ont lancé l’aide au développement dans les provinces où la population était extrêmement pauvre. En plus du travail missionnaire accompli,

c’étaient là des contributions positives au pays et à la population. Même

le Premier ministre Zhou Enlaï le reconnaissait encore en 1951. Mais peu à

peu, un seul discours s’est imposé: « Invasion culturelle. Impérialisme occidental ». C’est devenu « la Vérité officielle » sur l’histoire de l’Eglise

chinoise. Personne en Chine ne peut tenir, oralement ou par écrit, un autre

discours.

Les mots défendus

Les communistes se sont arrogé le monopole de l’écriture de l’histoire

et dans leur propre jargon. Ils ont fait avec toute l’histoire de la mission catholique en Chine ce qu’ils ont fait aujourd’hui avec le drame de la

Place Tien An Men.

Lorsque Mao Zedong, en 1949, est arrivé au pouvoir, la plupart des pays

ont rappelé leurs ambassadeurs. Ils n’avaient pas de sympathie pour le nouveau régime. C’est seulement 25 ans plus tard que ces pays, un à un, ont

reconnu la République Populaire de Chine et y ont renvoyé leurs ambassadeurs. L’ambassadeur du Vatican, néanmoins, était lui resté en Chine en

1949, manifestement avec l’intention d’être aux côté de l’Eglise chinoise

et de collaborer avec le nouveau régime. Mais la Chine a refusé tout contact avec le nonce.

Le résultat de nombreuses années de falsification de l’histoire de

l’Eglise, c’est que presque tous les Chinois ont des catholiques et de

l’Eglise dans leur pays une image fortement déformée. On s’en rend vite

compte quand on parle avec l’homme de la rue. Il suffit de prononcer les

mots « Eglise catholique », « pape », « Vatican », « évêque » ou « prêtre » pour que

les oreilles tintent. Ces mots renvoient pour les Chinois à « quelque chose

de très mauvais », aux « figures de proue de l’impérialisme occidental », à

« l’espionnage ». Dans les romans et à la télévision, l’espion est très souvent un prêtre catholique ou quelqu’un qui, comme par hasard, porte une petite croix.

Division au sein de l’Eglise chinoise

En 1957, la Chine a trouvé bon d’ériger une Association patriotique des

catholiques Chinois (APCC). Son but avoué: « Régler les relations entre

l’Eglise et l’Etat ». Les catholiques durent faire la preuve de leur patriotisme en se faisant membres de l’APCC. Et ils le firent en étant obligés de

rompre leurs liens avec le pape. A partir de 1958, cette APCC a commencé,

de son propre chef, à nommer ses propres évêques et à les ordonner, sans

aucune concertation avec le Saint-Siège.

Seule une minorité de catholiques chinois est devenue membre de l’Association patriotique. Même la plupart de ceux qui sont devenus membres ont

fait comme tout le monde afin de sauver ce qui pouvait l’être au profit de

l’Eglise. Ils sont restés des chrétiens fidèles. Quelques dirigeants laïcs

de l’APCC, cependant, sont allés beaucoup plus loin. Les déclarations pontificales les plus positives ont subi leur rejet et leurs critiques acerbes. Ils se sont en outre directement occupé de la direction de l’Eglise

chinoise. La conséquence est que, depuis ce temps là, au sein d’une même

Eglise catholique chinoise, deux groupes campent l’un en face de l’autre.

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L’Eglise de Chine dans la tourmente des événements de juin

(Suite et fin)

Louvain, 2juillet (APIC) La plupart des catholiques chinois ont toujours

refusé de devenir membres de l’APCC. Ils aiment autant leur patrie que

n’importe quel autre Chinois. Nombre de catholiques ont été élus par les

gens de leur village citoyens-modèles. Mais, dans le même temps, ils restent aussi fidèles au pape. Ils n’admettent pas que leur Eglise soit victime de discrimination, que la position du pape dans l’Eglise et dans tout

le passé ecclésial de la Chine soit qualifiée d’ »invasion culturelle » et

d’ »impérialisme » grâce au monopole d’Etat dans l’écriture de l’histoire.

Ils refusent de contribuer à la propagation de cette « Vérité officielle ». L’énorme souffrance et les humiliations que ces catholiques ont subies

publiquement durant la Révolution culturelle ont suscité une grande sympathie de la part des autres Chinois, dans un grand nombre de cas. Chacun

sait aujourd’hui en Chine que ce sont les catholiques qui, durant cette

période, ont le plus subi de violations des droits de l’homme.

Espoir ou refus d’être naïfs ?

La Révolution culturelle a été suivie d’une période de normalisation. On

a construit un certain nombre de nouvelles petites églises et un millier

d’églises anciennes ont été restaurées. Douze grands Séminaires ont été

réouverts: de quoi accueillir quelque 700 candidats qui sont venus se

préparer au sacerdoce. On a également ouvert des noviciats pour les religieuses dans plusieurs diocèses. Toute cette évolution a donné à de

nombreux catholiques en Chine un nouvel espoir d’une normalisation de la

situation de l’Eglise. Ils se sont mis à fréquenter les offices religieux

et, tout en n’étant pas d’accord avec les critiques et la double attitude

des dirigeants de l’Association patriotique, ils se sont efforcés d’entreprendre des relations positives de collaboration en vue du bien de l’Eglise

chinoise tout entière.

Mais d’autres catholiques n’ont pas oublié le passé. Ils ne veulent pas

être naïfs et ne pourront pas croire dans ce qu’on appelle officiellement

« la liberté religieuse » aussi longtemps que des évêques et des prêtres demeureront en prison. Ils refusent de collaborer avec les dirigeants de

l’APCC ou de reconnaître les évêques nommés par cette Association. Ils ont

leurs propres évêques et prêtres « clandestins » et sont farouchement adversaires de tout groupe de catholiques « patriotes ». Les catholiques qui n’oublient pas le passé disent aux chrétiens que « fréquenter les églises de

l’APCC pour célébrer l’eucharistie est un péché mortel ». Ils campent ainsi

sur une situation excessivement agressive, que même leurs amis trouvent

malheureuse et exagérée. Il y a donc de la brouille au sein de l’unique

Eglise catholique chinoise.

A la recherche d’une relation nouvelle avec l’Eglise chinoise

Depuis l’étranger, des amis catholiques ont fait de gros efforts pour

entreprendre un dialogue positif tant avec l’un qu’avec l’autre de ces

groupes, avec l’espoir d’une réunification dans l’Eglise catholique de Chine. On a encouragé les catholiques « clandestins » à faire des pas en vue de

la réconciliation, tandis que l’on demandait aux dirigeants de l’APCC de

revoir leurs préjugés à l’égard des non-membres de leur Association et de

tirer au clair leur propre fidélité à l’Eglise universelle.

Avec les instances chinoises officielles aussi, un dialogue ouvert a été

engagé par la communauté catholique internationale. On a trouvé positif et

juste que la Chine ait pu finalement prendre place dans le concert des nations. La plus grande nation du monde a, dans son long passé et sa riche

culture, largement de quoi contribuer à la paix dans le monde et à la construction d’une fraternité universelle entre les peuples. C’est pour cela

que Jean Paul II, en effet, avait plaidé le 4 octobre 1965 dans son allocution aux Nations Unies, bien avant que la Chine soit admise à l’ONU. Le

Saint-Siège, il y a quarante ans, a pris une attitude de dialogue en ne

souhaitant pas quitter la Chine de Mao en 1949, alors que d’autres le faisaient. Après 1979, relève encore le Père Heyndrickx, Caritas international

a lancé des dizaines de projets sociaux en collaborations avec les instances chinoises officielles.

Avenir sombre?

« Nous sommes optimistes, mais pas naïfs ». C’est toujours en ces termes non suspects à l’époque – que nous avons toujours exprimé aux instances officielles en Chine notre opinion sur l’évolution du pays. Des raisons

d’espérer, nombre d’autorités occidentales, d’hommes d’affaires et de gens

d’Eglise qui sont partis en Chine en ont trouvé. Que nous ayons eu raison

d’exhorter à la vigilance, on s’en est bien rendu compte sur la Place Tien

An Men. Il faudra encore longtemps avant qu’apparaissent de nouveaux signes

d’espoir parmi les signes sombres que nous avons perçus ces temps-ci.

Toute la Chine étudie à présent le document du Parti daté du 5 juin

(Quotidien du peuple du 6 juin) et adressé à tous les membres du Parti et

au peuple chinois. Ce texte ne présage rien de bon pour l’avenir: « Les organisateurs et les instigateurs de cette révolte contre-révolutionnaire

étaient principalement un petit groupe de gens qui réclament avec entêtement la libéralisation de la classe possédante, des agitateurs politiques

qui complotent avec les puissances hostiles d’outremer et à l’étranger et

qui livrent les secrets de l’Etat et du Parti à des organisations illégales ».

Nombre d’amis catholiques de la Chine ont cru que la Chine allait jouer

un rôle positif de paix dans la famille des nations. Ils ont voulu aller

coopérer avec la Chine et ont encouragé leurs amis à faire de même. Ils ont

entrepris des dizaines de projets de collaboration avec la Chine. Deng

Xiaoping a certes affirmé que la politique d’ouverture vers l’étranger allait se poursuivre, mais il a mis en garde dans le même temps face aux pensées malsaines venant de l’étranger. Chenyun et Li Xiannian ainsi que Li

Tiehying ont fait des discours qui faisaient penser aux slogans de la Révolution culturelle. A Pékin, des responsables d’Eglise et des prêtres ont

reçu ces jours-ci à nouveau une masse de « travail d’étude » imposé d’en

haut. Les catholiques se posent manifestement des questions. Les Eglises à

Pékin sont vides.

« L’incertitude et l’obsurité déterminent en ce moment le ton de tout

pronostic sur l’Eglise de Chine. Jusqu’à ce que la Chine elle même nous

donne la preuve du contraire, car, conclut le Père Heyndrickx, nous croyons

qu’il y a des gens qui, même en ces temps sombres, travaillent en vue d’un

nouvel espoir pour l’avenir ». (apic/cip/pr)

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