Colombie: L’aide au développement est laminée par la violence et la corruption
Par Samuel Heinzen de l’agence APIC
Tumaco, 31 octobre 2002 (APIC) Assassinats d’humanitaires, corruption généralisée, escadrons de la mort et trafiquants de cocaïne font parties du quotidien en Colombie. Travailler au développement dans ce pays est un métier à haut risque. Jacques Mérat, sociologue neuchâtelois, ne le sait que trop bien. Sa cheffe, Soeur Yolanda Ceron, a été assassinée en septembre 2001 à Tumaco, alors qu’il perfectionnait son management en Angleterre. Pourtant, Jacques Mérat ne se décourage pas. A la fin de cette année, il repartira en mission en Colombie, fort de son expérience et de sa nouvelle formation.
Quand Jaques Mérat est revenu de Colombie en avril 2001, son travail humanitaire de trois ans était couronné de succès. Le projet liant les « Missionnaires de Bethléem », les volontaires d’ »Interteam » et la pastorale sociale du diocèse de Tumaco avait permis à l’Association des paysans du Fleuve Patia (ACAPA) d’obtenir une propriété collective de 90’000 hectares. Un tour de force dans un pays où la corruption et l’oligarchie règnent en maître. Pas simple, dans ces conditions, de défendre les droits de paysans noirs sur une terre riche en ressources. Riche. pour les riches, et pour leur apporter plus de richesse. Au détriment des autres, des populations indigènes. Le diocèse de Tumaco se situe en effet en pleine forêt vierge, dans la région du Narino, proche de l’Equateur, sur la côte Pacifique.
Obtenir pour une population noire, conformément à ce que devrait permettre le texte de loi voté en 1993, de négocier avec des entreprises les conditions d’exploitation de leurs terres et de leurs ressources naturelles, dérange. Et même beaucoup de monde. Un texte de plus, pour une loi de plus, bafouée il va sans dire. Les sept balles qui ont transpercé le 19 septembre 2001 le corps de la directrice d’ACAPA, Soeur Yolanda Ceron, le confirment.
L’assassin? Un paramilitaire des AUC (Milices d’autodéfense unies de Colombie). Sans doute mandaté par un riche propriétaire terrien ou un puissant industriel du pétrole, peu disposé à traiter avec des paysans noirs. A moins qu’un baron de la drogue, semblable à celui qu’un juge a tenté de remettre en liberté récemment ne soit derrière cette exécution. Seule certitude, et qui le restera sans doute pour toujours sur cette terre, un an plus tard, l’enquête officielle n’a toujours pas abouti, remarque J. Mérat.
Quant à l’association ACAPA, aujourd’hui privée de la personnalité charismatique de Soeur Yolanda, elle est actuellement minée par la corruption et les luttes intestines. Les tueurs n’en espéraient pas autant. Prendre la tête d’une telle association représente souvent pour un indigène le signe d’une « réussite ». Sans compter que se mettre dans la poche la dérisoire aide de l’Etat, est une façon de boucler son mois, constate, philosophe, Jacques Mérat.
Corruption et violence généralisée
Que ce soit à Tumaco ou ailleurs en Colombie les problèmes sont de toute façon toujours les mêmes, déplore le sociologue neuchâtelois. Derrière son étiquette démocratique le pays est une oligarchie, explique-t-il. « Les liens du sang sont bien au-dessus des lois ». Le propriétaire terrien, qui paie des paramilitaires pour se protéger des guérilleros révolutionnaires, a un frère ou un cousin général. De quoi expliquer l’étonnante coordination des actions des AUC avec l’armée régulière, censée pourtant les combattre. Ajouter à cela un oncle ministre ou un évêque – même si l’Eglise est encore l’institution la moins corrompe -, et vous pouvez ranger la lutte anti- corruption au placard, explique le sociologue.
L’absence de démocratie dans cet Etat ne fait pas que favoriser le népotisme et les dessous de table. L’insécurité et la violence ont fait naître une justice privée, souligne Jacques Mérat. Les paramilitaires sont payés par les commerçants pour « nettoyer » les villes de la « racaille ». Travail expéditif et brutal, qui n’est qu’un avant goût des missions dans les campagnes. C’est à la tronçonneuse et en publique que « gauchistes » sont mis à mort. La méthode, particulièrement dissuasive, serait inspirée par l’Oncle Sam, murmure-t-on. Les effets de l’Ecole des Amériques?
Enfin, il y a les mafias de la « coca ». Les paysans ont sans doute la « chance » de pouvoir cultiver cette plante qui pousse comme de la mauvaise herbe. Reste qu’elle leur rapporte trois à quatre fois plus que la meilleure récolte de maïs. Encore une incohérence de l’Etat, incapable de faire face au problème des cultures traditionnelles. qui maintiennent toutefois les « campesinos » dans la misère. Comment expliquer à ces derniers cette « manne » amène avec elle, « pour quelques pesos de plus », toute la violence des milieux du narco-trafique, déplore Jaques Mérat.
Faire « atterrir les idées »
Pourtant, le sociologue neuchâtelois ne se décourage pas. Evidemment, retourner à Tumaco même serait suicidaire. Jacques Mérat était le bras droit de Soeur Yolanda Ceron. La question qu’il se pose n’est pas tellement de s’engager pour telle ONG ou telle noble cause, mais plutôt comment aboutir à un résultat efficace et durable. La recette, selon J. Mérat, est simple: « faire atterrir les idées ». En effet, comme beaucoup d’humanitaires qui ont acquis l’expérience du terrain, il a appris que les grands idéaux ne suffisent pas. Vouloir les réaliser sans concessions favorise d’ailleurs plus l’échec que la réussite, assure-t-il.
Il sait désormais que pour arriver à un résultat solide et surtout durable, il faut composer avec le système en place. Une attitude radicale, par exemple contre la corruption, ne fera, selon lui, que figer les autorités locales sur la défensive. En revanche, estime le sociologue, un projet précis, comme l’assainissement d’un réseau d’eau potable, peut tout à fait aboutir, si l’on tolère, dans la mesure du raisonnable, les inévitables « dérapages ». Ce n’est qu’à ce prix, qu’il est possible de promouvoir un développement durable, pense le sociologue. A 30 ans passés, les belles idées de jeunesse doivent céder la place aux réalisations concrètes.
Le président Uribe attendu au tournant
En fait de réalisation, un homme est attendu au tournant: le nouveau président, Alvaro Uribe. Elu au premier tour, il a forgé sa campagne électorale sur la lutte contre la corruption et la violence. Résultats: la guérilla des FARC a interrompu toute négociation et a déclaré une guerre ouverte au gouvernement. La plupart des maires désertent aujourd’hui leur municipalité de peur de la séquestration ou de l’assassinat.
Dans la capitale, Bogota, des hélicoptères de l’armée ont même tiré à la roquette. Quant aux zones contrôlées par les militaires, elles ne sont pas plus sûres que les autres.
Problème structurel
Malgré les obstacles, Jacques Mérat garde à l’esprit la perspective d’une solution. Selon lui, la question à traiter est de savoir comment l’Etat est financé, et s’il est possible que dans des pays pseudo-démocratiques d’Amérique du Sud ou d’Afrique la majorité des ressources naturelles cessent d’enrichir une minorité de personnes. (apic/sh)
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