Suisse: Affaire Tornay: «Bataille» autour d’études graphologiques»

Nouveau livre et nouvelles ombres

Sion, 16 janvier 2003 (APIC) L’affaire « Tornay », du nom de ce jeune vice- caporal de la Garde suisse qui a tragiquement trouvé la mort le 4 mai 1998, n’en finit pas d’ajouter des chapitres aux nombreux autres déjà écrits. Dans un livre présenté jeudi à Rome sous le titre anglais « In City of secrets » (Dans la cité des secrets), le journaliste John Follain (Etats- Unis) revient sur la thèse déjà émise à l’époque, à savoir l’homosexualité de Cédric Tornay et d’Aloïs Estermann, ainsi que sur les liens supposés qui les « unissaient ».

Cette affaire dite « classée » par la justice vaticane a décidément fait couler beaucoup d’encre en près de 5 ans. Et les zones d’ombre qui demeurent sur ce terrible épisode, avec les morts violentes du commandant de cette même Garde, Aloïs Estermann, et de son épouse Galdys, sont encore et toujours soumises aux interprétations les plus diverses. Au nom de la vérité, en l’absence de transparence et devant le refus de rouvrir le dossier.

Pour le Vatican, Cédric Tornay s’est suicidé après avoir abattu le commandant Estermann et son épouse. Une thèse jamais acceptée par la mère du jeune sous-officier de la Garde pontificale, Huguette Baudat, pas plus que par les avocats parisiens de cette dernière, Jacques Vergès et Luc Brossolet, à Paris. Ces derniers ont du reste annoncé fin 2002 qu’ils allaient porter cette affaire devant la justice suisse.

Après le livre de l’ex-juge Ferdinando Imposimato, faisant état des liens du commandant Estermann avec les services secrets de l’ex-Allemagne de l’Est, la Stasi, l’ouvrage de John Follain jette un autre regard sur la personnalité d’Aloïs Estermann. Sur sa supposée homosexualité, partagée avec le jeune Tornay. Une théorie à laquelle ne croit pas du tout l’avocat parisien de Mme Baudat, Me Luc Brossolet. « Trop d’invraisemblances, dit-il, à commencer par l’âge du jeune Tornay, né en 1974, sachant que l’auteur du bouquin situe la première rencontre de Cédric et Estermann entre l’arrivée de ce dernier au Vatican et sa rencontre avec son épouse Gladys, entre 1980 et 1983.

Ce nouvel épisode, intervient un jour après la publication des témoignages de deux graphologues, recueillis par le journaliste Gilles Berreau, du « Nouvelliste » valaisan. Selon ces deux graphologues, la lettre de Cédric Tornay adressée à sa mère avant son acte est bel et bien écrite de sa main.

Contradictions

Ces deux expertises faites en Valais contredisent celles demandées par la mère de Cédric, qui avait à l’époque ordonné deux analyses graphologiques. Les deux avaient conclu qu’il n’était pas l’auteur de la lettre soi-disant rédigée à l’intention de ses proches, le jour du drame.

Graphologue diplômé, René Vaucher s’occupe à Martigny du Centre d’étude et d’analyse réflexométrique de l’écriture. Selon lui, « la lettre supposée falsifiée, comme chacun des modèles originaux, émane de la main de Cédric Tornay. Ma certitude est absolue ». Son expertise prend en compte 200 mesures effectuées sur les aspects réflexes de chacun des manuscrits. « L’analyse n’a relevé aucun point de comparaison différent », indique René Vaucher.

Travaillant sur la base d’une photocopie également, la seconde des deux graphologues est formelle: « Photocopie ou pas, graphologiquement il ne fait aucun doute que la lettre à sa maman émane de sa propre main (réd: de Cédric). Et durant mes trente années de carrière, je n’ai été que très rarement aussi catégorique ». Et s’il s’agissait d’un faux réalisé parfaitement? « Pour réaliser un faux de cette qualité, il faudrait des heures de travail. Et encore », indique la seconde graphologue.

Questions sans réponse

Invitée par l’APIC a apporter son point de vue, Huguette Baudat ne cherche pas à contester le travail de la spécialiste, ni à réfuter les conclusions. Tout au plus s’interroge-t-elle sur certaines affirmations de la spécialiste aujourd’hui à la retraite: « J’ai mis en garde le journaliste au sujet de la fiabilité de l’examen. L’une de nos expertises, officielle, faite après la mort de Cédric, a coûté 2’500 francs. Je doute qu’une telle somme ait été dépensée, d’autant que l’article en question se réfère à deux expertises ». Mme Baudat sourit à l’autre affirmation selon laquelle il aurait fallu des heures de travail pour réaliser un faux de cette qualité. « L’auteur de ce faux a probablement eu davantage que des heures à sa disposition. Peut-être même a-t-il eu des semaines! »

Les invraisemblances

Même son de cloche du côté de Paris, avec Me Luc Brossolet. « Pour faire une étude graphologique dans les règles, assure-t-il, un original est nécessaire. Ainsi que de nombreux exemplaires de comparaisons. « Nous sommes en possession de l’analyse sérieuse et pas du tout orientée faite à l’initiative de Mme Baudat ». Un test ADN pourrait-il être envisageable? « J’avoue que je n’en sais rien ».

Pour le reste, Me Brossolet rappelle ce qu’il avait affirmé dans une déclaration faite cette été à l’APIC: « Nous sommes en présence d’un faux, maladroitement fabriqué ». Et Me Brossolet de marteler: « Il y a certes l’aspect graphologique. Mais il y a tout le reste. Cédric avait des habitudes de langage. Il ne parlait jamais du « pape », ni de Jean Paul II, mais du « Saint- Père ». Dans cette lettre, pour la première fois, il utilise l’expression « pape ». Le scripteur, pour faire plus vrai, au chapitre des injustices pour lesquelles Cédric se dit victime, se trompe sur le nombre de jours, de mois et d’années passés dans la Garde suisse. Enfin, révélateur là aussi, commente Me Brossolet, cette lettre est adressée sous enveloppe à Mme Chamorel, patronyme du second mari de Mme Baudat, que Cédric n’utilise jamais. « Pourquoi l’aurait-il écrit dans son ultime lettre? » Et l’avocat d’avancer: « A la chancellerie de la garde, la mère de Cédric est connue sous ce patronyme. Et sous ce seul patronyme. »

Autre invraisemblance, en marge de la seule étude graphologique, rappelle encore Me Brossolet: « Avant de mourir, le jeune sous-officier a une pensée pour les êtres qui lui sont chers: sa soeur Melinda, qu’il orthographie « Mélinda », une faute qu’il ne commet jamais, sa soeur Sarah et son père ». En revanche, il « oublie » d’avoir aussi une pensée pour d’autres êtres qui lui sont également chers: sa fiancée et ses deux demi-frères. « Le scripteur ignorait l’existence des deux demi-frères et l’existence de sa fiancée », avance l’avocat parisien. Qui s’étonne encore de l’absence de signature sur cette lettre. Pourquoi Cédric ne va-t-il pas signer son dernier message, alors que chacune de ses autres lettres le sont? L’explication est simple: le scripteur n’avait pas d’exemple de la signature de Cédric, et ne veut pas prendre le risque d’imiter une signature qui ne serait visiblement pas celle du jeune homme ». « L’invraisemblance ne s’arrête pas à ces considérations ». Une première mouture de la lettre parviendra dans les journaux le jour avant la remise du message non signé à sa mère, le 7 mai. « Ce premier message est signé. Mais avec un ’h’ à la fin de Cédric. Or, en italien, pour avoir un ’c’ dur, il faut un ’h’ ». Un italianisme de plus. La mère de Cédric Tornay est là aussi formelle: « Aucun italianisme ne transparaît dans toutes ses lettres. Pourquoi en abuser aussi visiblement et ostensiblement dans sa dernière? A coup sûr, le faussaire possède des bases de français, mais sa langue est italienne ».

Histoire de droitier

Autre élément d’interrogation, aux yeux de l’avocat parisien, décrit cette fois à Gilles Berreau: Cédric Tornay avait l’habitude d’utiliser dans sa correspondance du papier ligné. Or, la fameuse lettre destinée à sa maman était écrite sur du papier quadrillé, recyclé, muni d’une attache supérieure (bande collante). Dans leur récente requête de réouverture de l’enquête, les avocats de Mme Baudat révèlent que le papier de la dernière lettre «de Cédric» est issu d’un bloc de 70 feuilles de marque Pigna. Ces blocs-notes font partie des fournitures du Vatican.

« En observant les lettres envoyées par Cédric Tornay à Saint-Maurice, on s’aperçoit en effet qu’il a toujours utilisé du papier ligné. A une exception près: sa dernière lettre, datant d’un mois avant les meurtres et son prétendu suicide, utilise du papier… à carreaux. Ce papier a les mêmes caractéristiques que la lettre reçue par la maman, y compris la bande collante. D’aucuns seraient tentés d’en conclure que Cédric avait tout simplement changé de papier à lettre quelques semaines avant sa mort. Mais l’enquête de Mme Baudat révèle un fait troublant: la feuille aurait été détachée plutôt par un gaucher. Or, Cédric Tornay était droitier ». (apic/pr)

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