Rome: Le Saint-Siège ouvre une partie de ses archives sur la période 1922- 1939

APIC Dossier

Il ne faut pas s’attendre à des sensations

Sophie de Ravinel, pour l’APIC

Rome, 13 février 2003 (APIC) Le samedi 15 février, le Saint-Siège rendra accessible aux chercheurs une grande partie de ses archives sur la période 1922-1939, qui fut le pontificat de Pie XI. Il ne faut pas s’attendre à des sensations, a d’ores et déjà déclaré le professeur allemand Walter Brandmüller, de l’Académie pontificale des sciences historiques.

Si les événements et les documents principaux sur cette époque clef de la naissance des totalitarismes sont désormais connus, les historiens s’attendent tout de même à y trouver des informations permettant un éclairage plus précis sur les positions et les actions du Saint-Siège durant cette période. Des informations qui se trouvent pour la plupart à la Congrégation pour la doctrine de la foi, l’ex Saint-Office.

« Jean Paul II tient beaucoup à l’ouverture de ces archives », avait affirmé le 15 février 2002 Joaquin Navarro-Valls, porte-parole du Saint- Siège, lors de l’annonce officielle de l’ouverture d’une partie des archives sur la période 1922-1939. Une partie seulement, en effet, puisque pour l’instant ­ concernant le fond d’archives de la Secrétairerie d’Etat ­ seuls les documents relatifs aux relations avec l’Allemagne et l’Autriche seront disponibles. Un regret a déjà été exprimé par plusieurs chercheurs à ce sujet.

Une décision « discutable »

Le Père Peter Gumpel, rapporteur de la cause de béatification du pape Pie XII, interrogé par la correspondante de l’APIC à Rome, juge ainsi « discutable cette décision car il y aura beaucoup à faire avec d’autres gouvernements et qu’aucune étude globale ne pourra donc être entreprise avant l’ouverture de tous les fonds, promise par Jean Paul II pour 2005 ».

Ancien professeur à l’Université Grégorienne de Rome, le Père Gumpel pense qu’il aurait mieux valu attendre 2005 pour tout ouvrir, d’autres ont espéré une ouverture globale immédiate. Le jésuite allemand, illustrant ses propos par un exemple, explique qu’il sera en effet intéressant de lire les réactions du Saint-Siège envoyées au gouvernement français lors de l’occupation de la Rhénanie par l’armée allemande en 1935, en violation du Traité de Versailles. Pour le Père Gumpel, « il aurait alors suffit de 200’000 hommes pour arrêter cette avancée et rien n’a été fait ».

Comme il n’existe pas de gestion centralisée des archives au Vatican (voir encadré), le fond des Archives Secrètes Vaticanes – qui concerne en majorité la secrétairerie d’Etat – ne représente qu’une partie des archives conservées par les autres Congrégations. Les chercheurs pourront ainsi se pencher avec intérêt dans les archives de la Congrégation pour l’éducation catholique (ex-Congrégation pour les séminaires). En effet, après l’arrivée de Hitler au pouvoir en 1933 et la mise en place au Vatican de la « Nadelstichpolitik », la politique des piques, ce sont encore les universitaires catholiques qui pouvaient s’exprimer le plus librement.

Le fonds conservé à la Congrégation pour l’évangélisation des peuples (ex-Propaganda Fide) qui concerne les pays de mission sera aussi intéressant, comme celui de la Congrégation pour les Eglises orientales, mais certainement plus pour la période suivante.

Le plus riche des fonds à consulter sera sans doute celui de la Congrégation pour la doctrine de la foi qui a joué un rôle souvent méconnu avant et pendant la guerre. Cette Congrégation n’avait pas de préfet comme aujourd’hui le cardinal Joseph Ratzinger, mais dépendait directement du pape et entretenait une liaison étroite avec la secrétairerie d’Etat.

Livres mis à l’Index: pas « Mein Kampf »

Le 15 février, les chercheurs pourront ainsi, par exemple, se pencher sur les dossiers des livres proposés à l’Index. Les chercheurs pourront ainsi lire avec attention le dossier concernant « Mein Kampf » et sans doute des échanges de notes sur ce sujet. L’ouvrage de l’idéologue du parti nazi Alfred Rosenberg « Der Mythus des 20. Jahrhunderts » a été condamné en février 1934, mais celui de Adolf Hitler n’a jamais été mis à l’Index.

Sans doute parce qu’avant son arrivée au pouvoir, il n’était pas jugé intéressant et qu’après, le poisson était trop gros. Un chercheur du Vatican souhaitant garder l’anonymat a ainsi expliqué à la correspondante de l’APIC qu’en raison des négociations sur le concordat avec l’Allemagne signé en 1933, il était difficile d’attaquer ainsi de front Hitler.

Par ailleurs, de nombreux travaux devraient être mis en lumière et notamment un projet de Syllabus ­ « un catalogue contre les erreurs de notre temps » – sur le communisme, le nazisme et le capitalisme qui aurait été commandé par Pie XI au controversé ­ et isolé – recteur du collège allemand de Santa Maria de l’Anima à Rome, Mgr Alois Hudal. Ce projet aurait finalement été mis de côté pour des raisons politiques.

Dans un long article présenté en juin 2002 à Ljubljlana en Slovénie lors d’un colloque sur « Churches and Religion in Occupied Europe. Politics ans Ideology » organisé par la « European Science Foundation », le professeur belge Johan Ickx a révélé ce fait et ainsi proposé des éclairages nouveaux sur la personnalité de Mgr Hudal. Ce dernier avait affirmé, après la guerre, dans ses écrits, avoir été le premier collaborateur du Saint-Office à proposer une condamnation des totalitarismes. Cet article devrait prochainement être publié dans les actes de l’université de Louvain : « Annua Nuntia Lovaniensa ».

De son côté, le bibliothécaire du Saint-Siège, le cardinal Jorge Mejia, interrogé par l’APIC, reconnaît que « l’ouverture de ces archives est un bouleversement pour l’histoire de l’Eglise ». Lui qui a la charge de superviser les travaux des Archives Secrètes Vaticanes pense en même temps que les découvertes « ne seront pas d’un intérêt exceptionnel ». Cependant, la polémique sur le silence de Pie XII pourrait être réactivée dans la mesure où ce dernier a été, entre 1922 et 1939, nonce apostolique en Allemagne puis secrétaire d’Etat. « Dans une affaire aussi compliquée que celle-là, s’il n’y a pas une mutuelle confiance on arrive à rien », a conclu, laconique, le cardinal âgé de 80 ans. SdR/JB

Encadré

L’organisation des archives au Vatican

Au Vatican, contrairement à d’autres Etats comme la France, il n’existe pas de gestion centralisée des archives. Aussi, lorsque l’on parle des Archives Secrètes Vaticanes, il ne s’agit que d’un fond ­ certes important mais limité ­ situé dans un bâtiment voisin de la bibliothèque du Vatican, place du Belvédère. Ces archives sont celles de la Secrétairerie d’Etat auxquelles s’ajoutent certains fonds déposés par d’autres dicastères. On raconte tout de même que si ces archives étaient installées sur un seul rayonnage, celui-ci devrait faire plusieurs dizaines de kilomètres de long. Pour qu’un chercheur puisse pénétrer et travailler dans ces archives, il doit en faire la demande au préfet, le père Sergio Pagano.

Pour autant et en guise d’exemple, si un chercheur est intéressé par les archives ayant trait à la section de la secrétairerie d’Etat pour les rapports avec les Etats, il devrait rédiger une demande auprès de Mgr Jean- Louis Tauran, le responsable de cette section. Les principaux dicastères possédant des fonds importants ­ en particulier pour la période 1922-1939 ­ sont la Congrégation pour la doctrine de la foi (autrefois Saint-Office), la Congrégation pour l’évangélisation des peuples (autrefois Propaganda Fide), la Congrégation pour les Eglises orientales et la Congrégation pour l’éducation catholique (autrefois Congrégation des séminaires). La plupart de ces dicastères tiennent à conserver leurs propres archives et chaque responsable de dicastère est maître des conditions d’admission et des conditions de travail. Cette organisation laisse penser à certains archivistes du Saint-Siège qu’une législation de ces archives serait la bienvenue et permettrait une meilleure gestion des fonds. SdR

Encadré

Aucune règle précise concernant l’ouverture des archives

Il n’existe aucune règle précise concernant les ouvertures de ces archives. C’est Léon XIII qui, en 1881, a décidé le premier d’ouvrir certaines archives, suscitant quelques réticences dans son entourage. Léon XIII aurait ainsi souhaité que les archives concernant le pontificat d’un pape soient ouvertes 70 ans après son décès. Une autre règle non écrite stipule qu’un pape peut ouvrir une « tranche » chronologique d’archives qui suive directement celle ouverte par son prédécesseur.

Le geste effectué par Jean Paul II ne correspond cependant à aucune de ces deux règles. Il a en effet anticipé de plusieurs années l’ouverture des archives du pontificat de Pie XI – décédé en février 1939 – et avait déjà ouvert une partie de la période précédente (jusqu’en 1922) en 1998. Par ce geste, Jean Paul II engage aussi peut-être son successeur dans la mesure ou il a été annoncé officiellement que la totalité des archives concernant la période 1922 ­1939 serait ouverte pour 2005.

Au sein des Archives Secrètes Vaticanes en effet, seuls les documents concernant les relations avec les nonciatures de l’Allemagne et de l’Autriche seront ouvertes au 15 février. Ce sont des contraintes techniques qui empêchent, affirme-t-on au Vatican, une publication globale des documents dits « des Affaires Ecclésiastiques extraordinaires », c’est à dire de la secrétairerie d’Etat. Au sein des Archives Secrètes Vaticanes, un spécialiste raconte une anecdote qui illustre bien le manque de moyens dont dispose l’administration du Saint-Siège. Se rendant en visite au sein des archives d’un petit Canton Suisse, il a provoqué un étonnement général en avouant que les employés de ces archives étaient plus nombreux que ceux des Archives Secrètes Vaticanes. Cependant, depuis l’annonce du pape d’ouvrir cette nouvelle tranche d’archives, des stagiaires ont été mis à contribution pour effectuer le travail de bénédictin nécessaire avant toute ouverture des fonds aux chercheurs. Il faut en effet imaginer des centaines de cartons dans d’immenses couloirs, remplis de milliers de feuillets non classés et d’intérêts divers. Charge à ce personnel de les trier, de les classer, de les authentifier, de les numéroter et surtout enfin de les relier pour éviter toute fuite ou disparition. (apic/SdR/imedia/be)

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