Le fol espoir des plus pauvres
Jacques Berset, Agence APIC
C’était émouvant, merveilleux, inoubliable, « super »: des visages marqués
par tant d’années de souffrances, de privations, d’abandon, d’exclusion sociale, s’illuminent soudain. Quittant pour quelques jours leurs « lieux de
misère » – bidonvilles de Port-au-Prince ou de Manille, slums de New York ou
de Bangkok, cités d’urgence de Bâle ou de Reims – ils viennent de rencontrer le pape Jean Paul II, et ont ainsi accompli la promesse du « Père Joseph », fondateur du Mouvement ATD Quart Monde : les familles les plus pauvres, les plus rejetées, graviront un jour les marches du Vatican…
A la vue du journaliste, tous veulent témoigner de ce qu’ils sont en
train de vivre et ils utilisent les mêmes mots dans toutes les langues. Ils
sont enthousiastes et plein d’espoir, les quelque 300 délégués du Quart
Monde de quatre continents reçus durant plus d’une heure jeudi 27 juillet
par le pape dans sa résidence d’été de Castel Gandolfo, près de Rome. Pour
eux, les choses changent déjà puisqu’ils se sont mis en marche. Parmi ces
pèlerins de 25 nationalités et de diverses religions et familles de pensée,
25 Suisses, venant notamment des cités d’urgence de Bâle, des quartiers défavorisés de Fribourg, de La Chaux-de-Fonds, de Lucerne, de Soleure ou de
Genève.
C’est la première fois dans l’histoire que les familles les plus pauvres
de divers continents et de diverses religions ou obédiences sont reçues en
délégation par le chef de l’Eglise catholique, note ATD Quart Monde qui a
mis sur pied cette rencontre internationale. En 1982, dans le cadre de
l’Année de la jeunesse, une délégation d’une soixantaine de jeunes du Quart
Monde de divers continents accompagnés du Père Joseph Wrésinski, fondateur
il y a 32 ans du Mouvement Aide à toute détresse – ATD Quart Monde, avait
certes déjà rencontré Jean Paul II. Le pape leur avait donné mission de
créer des communautés de lutte contre la misère. Mais cette fois, la rencontre avec le pape avait une toute autre ampleur et une signification symbolique d’autant plus importante que le Père Joseph, décédé subitement le
14 février 1988, en était physiquement absent.
Malgré sa mort, son rêve s’est tout de même réalisé : en 1956, au camp
des sans-logis de Noisy-le-Grand, dans la banlieue parisienne, où la population vivait dans la boue, le froid, parmi les rats, le Père Joseph fit en
effet la promesse solennelle que les familles les plus pauvres graviraient
un jour les marches de l’Elysée, de l’ONU, du Vatican…
Le pape dénonce le scandale de la misère
Et cette promesse hautement symbolique, ils l’ont accomplie au cours
d’une « cérémonie de la terre » émouvante et digne dans la cour de Castel
Gandolfo qui a fortement touché le pape. Une à une les 25 délégations d’Europe, d’Afrique, d’Asie et des Amériques ont versé une poignée de terre des
« lieux de misère » de leur pays dans une vasque en verre placée aux pieds du
pape, tandis qu’était lu un bref message expliquant son origine, les souffrances mais aussi l’espoir qu’elle porte en étant mélangée aux autres
poignées de terre. La délégation belge a ainsi apporté de la terre d’un cimetière où les vagabonds sont enterrés sous un simple numéro, celle de Centrafrique l’a ramassée dans une décharge publique où les enfants viennent
récolter des vieilles boîtes de conserves pour se nourrir. C’est, apportée
par la délégation allemande, la poignée de terre de Dachau, « où plus
personne n’habiterait si ce n’est les pauvres », qui a le plus ému Jean Paul
II.
Ces pauvres que l’on cache au pape
Auparavant, Alwine de Vos van Steenwijk, présidente du Mouvement international ATD Quart Monde, a déclaré au pape que c’est grâce au Père Joseph
que « vous avez devant vous des parents de familles que le monde, par respect de vous, écarte de votre chemin par pudeur de ne pas vous montrer les
vraies plaies de la misère; interdits ainsi de ne jamais vous parler, ils
ont pourtant voulu venir vous voir ». Un délégué du Québec avait d’ailleurs
révélé au cours de la préparation de la rencontre que le pape n’avait pas
vu les sans-logis lors de sa visite au Canada en 1984 : on avait « nettoyé »
les rues. A Fribourg aussi, a souligné un délégué, « mes copains ont été
alors mis à l’ombre durant trois jours ».
Le pape Jean Paul II, rendant alors hommage au Père Joseph, a lancé avec
force que « toutes les formes de pauvreté dont vous souffrez, et tant de familles avec vous, sont un scandale. Et un scandale insupportable, quand on
découvre que ces situations de pauvreté sont le résultat de la liberté
d’individus et de nations, pervertie en égoïsme, en pouvoir dominateur, en
comportements d’indifférence ou même d’exclusion ». « Il est des pauvres,
beaucoup de pauvres, qui n’en peuvent plus ». Il a encore souligné qu’il
faudra toujours lutter avec lucidité et détermination non-violente contre
les pauvretés humiliantes et accablantes, et contre les structures qui les
entretiennent et même les augmentent.
Le pape a finalement relevé que les pauvres eux-mêmes peuvent et doivent
être les sauveurs des pauvres, une phrase qui a vraiment touché les participants. Sous les applaudissements, il a conclu : « La cause des pauvres habite mon coeur ». Durant la cérémonie, les délégués ont déroulé devant le
pape une « toile des absents » qui représente les difficiles conditions de
vie des milliers de familles au nom desquels ils sont venus à Rome. Cette
longue banderole a été confectionnée à partir des pièces de tissus brodées
avec soin par les familles du Quart Monde dans les divers pays durant les
longs mois de préparation de cette visite au pape. Les délégués se sont engagés à rapporter dans leurs différents milieux de vie le « message de Rome ».
Encadré
Les plus pauvres ont droit à la spiritualité
Néerlandaise, Alwine de Vos van Steenwijk, était diplomate de carrière en
poste à Paris avant de rencontrer le Père Joseph et de tout quitter pour
devenir volontaire dans le mouvement qu’il avait fondé trois ans auparavant
et qui regroupe aujourd’hui près de 350 permanents dans une vingtaine de
pays. Soulignant la signification de ce pèlerinage d’un genre particulier,
rassemblant bouddhistes, catholiques, protestants, musulmans, juifs, anglicans…, elle relève que par cette visite au pape, qui ne se veut pas « confessionnelle » au sens strict du terme, le mouvement ATD Quart Monde, qui
regroupe des volontaires, des alliés, et des familles pauvres de diverses
religions et groupes de pensée, entend souligner le droit à la spiritualité
des familles les plus pauvres. « On n’est pas en dehors des confessions,
comme on n’est jamais en dehors de la politique », tient-elle à préciser.
Les familles dans la misère, insiste Mme de Vos van Steenwijk, n’ont pas
seulement besoin d’un travail, d’un toit, de nourriture ou d’argent, mais
également de reconnaissance : que l’on prenne en considération ce qu’elles
portent au plus profond d’elles-même, en tant qu’êtres humains, qualité qui
leur est souvent niée. Pourtant, les plus pauvres, de par leur expérience,
ont un message unique pour l’humanité. Le Père Joseph a promis qu’il donnerait sa vie pour que les familles les plus pauvres puissent entrer la tête
haute partout où d’autres hommes étaient reçus, partout où d’autres hommes
avaient la parole et étaient pris au sérieux. C’est ainsi que les familles
du Quart Monde ont été reçues par différents chefs d’Etat et responsables
d’organisations internationales. Mais le Père Joseph était aussi prêtre,
souligne Mme de Vos, il avait toujours rêvé de « rendre les plus pauvres à
l’Eglise, et il ne disait pas : rendre l’Eglise aux pauvres, mais rendre
les plus pauvres à l’Eglise, ce qui est une façon de rendre l’Eglise à elle-même ». (apic/be)
Encadré
Une oeuvre du verrier fribourgeois André Sugnaux
Le peintre verrier fribourgeois André Sugnaux, qui a son atelier à Prezvers-Siviriez, près de Romont, s’est joint à la grande rencontre internationale des familles du Quart Monde qui avait débuté quelques jours auparavant à Paris et qui a culminé le mardi 25 juillet par une cérémonie d’hommage sur la tombe du Père Joseph à Méry-sur-Oise, dans la banlieue parisienne. En cette « terre natale » du Quart Monde, il a travaillé à la réalisation d’un grand vitrail pour le Mouvement ATD. Il a peint ses « cartons » à
partir des témoignages, des gravures et dessins apportés par les délégations des divers continents. Le vitrail devrait être fabriqué durant l’hiver dans l’atelier d’un verrier de Chartres ou de Reims. L’artiste fribourgeois, qui a étudié à Paris, a réalisé son oeuvre sur les thèmes de l’errance, de la séparation des enfants de leurs parents, de la torture de la
misère, de la fatigue, des travaux pénibles et mal considérés, du mépris,
mais il en fait une synthèse qui donne un vitrail de lumière, de courage et
d’espoir. (apic/be)
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