Apic Reportage
Les phénomènes « surnaturels » ont la vie dure
Pierre Rottet, de l’Agence Apic
Chaînes en folie durant la nuit, bruits bizarres, maisons dites maudites ou hantées, maladies étranges, objets déplacés, bétail victime d’un « sort ». Les récits de ce genre ne manquent pas. Ils ont en commun de toucher à l’inexplicable, et de forcer l’homme à trouver des explications puisées dans des croyances, scientifiques ou sensées l’être, religieuses ou non. L’Apic s’est penché sur ces phénomènes, en allant sur le terrain, dans le Jura, mais aussi en compagnie de Sophie Blanchard, étudiante en psychologie, qui consacre sur la question une thèse de doctorat à l’Université de Lausanne. Ce reportage est le premier d’un triptyque consacré au paranormal.
Un premier constat s’impose: ces histoires ont la vie longue. Elles courent encore et se vivent de nos jours, quoique un peu moins persistantes, malgré la TV, qui a réduit le surnaturel en un simple produit de consommation uniforme, après avoir opéré une rupture avec le patrimoine oral des veillées de naguère. Là où se contaient, se modulaient et « évoluaient » au gré des talents oratoires les légendes et les histoires, « vécues » ou non. Pourtant, à en croire les uns, des phénomènes inexplicables se manifestent encore quotidiennement . Manifestations du « diable », causes naturelles, produit de l’imagination?
Hormis les esprits rationnels et les cartésiens bougons, intellos de préférence, qui s’arrêtent inexorablement à la seconde hypothèse, force est de constater que les milieux « modestes » n’ont en rien le monopole pour voir dans « l’extraordinaire la patte de quelque chose de surnaturel », relève d’emblée Sophie Blanchard, originaire de la vallée de Tavannes, aujourd’hui à Yverdon. Qui détruit une autre idée préconçue: la ville n’échappe pas à ce genre de manifestations. Elles ne sont pas davantage l’apanage des milieux catholiques. Selon elle, la superstition touche tout le monde, tous les milieux sociaux. Cela prend simplement une forme différente.
Invérifiables histoires.
L’étudiante s’est davantage penchée sur la diffusion et le récit des histoires que sur les faits, difficilement vérifiables le plus souvent, même si ceux-ci foisonnent. « Les vaches de mon grand-père se détachaient toutes seules la nuit dans l’étable. En achetant la ferme, dans une région d’Ajoie, il y a bien longtemps, mes aïeux ignoraient qu’un homme s’était pendu à l’étable ». « Le jour où mes parents ont acheté cette maison, dans cette région du Jura demeuré bernois, une voisine les a mis en garde: « Mais cette maison est hantée. » Après plusieurs mois, des bruits se sont fait entendre, comme si quelqu’un sciait chaque nuit à la cave. Le phénomène n’était pas audible uniquement par une personne. Nous tous dans la famille pouvions nettement écouter ce vacarme. Dès que nous allumions, les bruits s’arrêtaient comme par enchantement . » « Cette histoire, je la tiens du frère d’une femme dont on disait au village, du côté du Jura neuchâtelois, qu’elle cherchait son âme et son fils mort. Des témoins affirment avoir vu son fantôme pleurer. Jusqu’au jour où un incendie a eu raison de sa demeure et de ses pleurs. » Mme A. habite le canton de Vaud. Avec son époux, elle rêvait de s’acheter une propriété en terre lémanique. Ce qui fut un jour fait. « Mon mari s’y est vite habitué.. mais très vite, j’ai ressenti des tensions qui n’existaient pas auparavant, une agressivité et une méchanceté inhabituelle de sa part. Moi qui dormais sans problème, je n’arrivais plus à fermer les yeux. Un jour nous avons appris que cette maison avait jadis brûlé, un enfant y était mort et des scènes de violence s’y étaient déroulées. »
Le thème du mystère est porteur
Une chose est sûre, le thème du mystère est porteur. « Il l’a été et le sera toujours, même si son mode de diffusion est actuellement bien différent ». TV oblige. Sophie Blanchard a rencontré des dizaines de personnes, parcouru des centaines de kilomètres pour écouter mille récits. « L’être humain ne supporte pas de ne pas avoir de réponse à ce genre de mystère, assure-t- elle, péremptoire. Souvent, les gens tentent de trouver une explication rationnelle. Le constat d’échec amène à en trouver d’autres: la religion, les esprits, les mauvais sorts, puis le diable. principalement chez les personnes âgées. Des réflexes qui courent encore, même si les gens essaient actuellement de se rassurer en allant chercher des réponses du côté de la science. » Pas toujours convaincante, elle non plus.
Sophie Blanchard a observé qu’un certain nombre de conditions étaient nécessaires pour qu’une histoire puisse naître et se développer. « Quelque chose qui sorte de l’ordinaire, qui attire l’attention, suffisamment en tous cas pour donner l’envie de la transmettre. En d’autres termes, il faut la mise en forme, le relais relationnel et social, sans parler du contexte socio-culturel », cela, dans une région qui accorde beaucoup d’importance aux traditions, au folklore, au patrimoine local, à la mémoire ».
De ces multiples entretiens, la doctorante retient que nombre de personnes ont besoin d’un rituel – jusqu’à l’exorcisme – afin de pouvoir reprendre l’emprise sur les événements. « Et là, l’Eglise catholique propose un certain nombre d’actes, de cérémonies. Ce que ne font pas les protestants ». Selon elle l’Eglise protestante, particulièrement rationaliste, est très démunie face à la question, et elle le sait. « Aussi renvoie-t-elle les gens directement à une question de foi. Ce qui est beaucoup plus fragilisant et culpabilisant pour la personne, qui vit cela comme un échec de sa foi ».
Même Vatican II
Un avis que semble partager l’abbé Georges Schindelholz, rencontré dans sa paroisse de Fahy, dans le Jura. Incontournable en la matière, auteur de plusieurs livres sur la relation de l’homme avec l’inexplicable, il n’aime pas parler de ses nombreux exorcismes pratiqués un peu partout en Suisse. Il rappelle que l’Eglise catholique est intervenue au cours des siècles à plusieurs occasions en ce qui concerne la croyance de l’existence de satan. Le Concile Vatican II a rappelé l’enseignement de l’Eglise sur le problème. Il est question des démons dans plusieurs de ses 16 documents.
Durant les quelque 30 minutes passées dans le bureau de l’abbé Schindelholz, le téléphone s’est signalé à deux reprises. Pour des cas « inexplicables », se contente-t-il de commenter. Son constat est simple: les médiations sont essentielles pour les gens, dans leur volonté de résoudre leurs difficultés. La tentative de l’Apic de se rendre avec lui sur les lieux mêmes où l’un ou l’autre de ces phénomènes se manifestent restera vaine. Mais d’autres sources nous y mèneront. PR
Le diable existe, mais je ne l’ai jamais rencontré, Dieu merci
« Le diable existe, mais je ne l’ai jamais rencontré, Dieu merci. Il s’est contenté de se manifester à l’étable ». Visiblement heureux de sa formule sibylline, campé sur son divan élimé par le poids de tant de « nobles visites », sa pipe largement coincée entre les lèvres, l’homme qui nous reçoit peut compter les jours le séparant de son centenaire. Son regard est malicieux, son visage hâlé est semblable à une pomme blette. Quant à sa voix, elle a la tonalité des gens rassurés par leur long bout de chemin d’une vie consacrée à la terre, à la famille dans ce village qui domine Delémont. « N’écris pas mon nom, ni celui du village. déjà que dans nos campagnes jurassiennes, on passe pour une réserve d’Indiens ». Jules – appelons le ainsi – a le tutoiement facile, que lui autorisent ses 96 ans. Aussi facile du reste que son talent de conteur, une fois les souvenirs revenus et la méfiance éloignée.
« On vous a bien renseigné, admet-il au bout de maintes hésitations. Moi aussi je pourrais écrire un livre sur ce que j’ai vu, entendu, sur mille histoires qui couraient ou qui courent encore ». La faconde de Jules en la matière devient de plus en plus intarissable au fil des minutes. Surtout qu’il a pris un jour le temps de coucher dans un cahier ce qu’il a entendu et constaté en matière d’histoires « inexpliquées ».
La gamme des bizarreries y passe. Le gamin réveillé à heure fixe la nuit, pris de pleurs inexplicables, y compris après contrôle des médecins, sans « imagination », dès lors qu’il avait « suffit » de placer des couteaux sous le matelas de l’enfant pour qu’étrangement les larmes s’arrêtent. Le bétail retrouvé anormalement crevé dans les étables, dont l’hécatombe fut brusquement stoppée « grâce » à un couteau planté à l’entrée de l’écurie. Les histoires de chats mystérieux renvoyés à coups de balai, et dont on a perdu la trace, avant qu’on ne découvre qu’une vieille du village boitait bien bas le lendemain (V. aussi « Grimoires secrets » de l’abbé Schindelholz). La chasse d’eau enfin qui se tire seule durant la nuit, et la nuit uniquement. Sans oubliés les histoires de pendus, les maisons maudites et les disparitions mystérieuse. Et la liste est loin d’être exhaustive,
Trois verres de damassine (ligueur du Jura) et autant d’heures après, le sujet pourtant à peine entamé, Jules consent à faire visiter une maison. Là où vit un couple relativement jeune, avec deux enfants en bas âge. « Tu peux y passer la nuit, si cela te chante et si tu n’as pas la frousse. Mais autant te dire que chaque nuit ou presque, des bruits inexpliqués, provenant semble-t-il d’un mur extérieur, se font entendre. Nous avons tout essayé pour percer ce mystère, des moyens techniques au pendule en passant par des sourciers. Personne ne trouve d’explications. Et pourtant ces bruits reviennent périodiquement à des heures fixes. Sans doute faudra-t-il faire appel au curé de Fahy ».
Une nuit blanche plus tard, le matin, rassurant, est enfin apparu. entre fatigue, déception et soulagement. Déception pour ne rien avoir entendu, et soulagement pour avoir été épargné. Par le Diable? PR
Encadré
Le grimoire retrouvé
Un grimoire retrouvé en 2001 en Ajoie avait à l’époque alimenté les conversations. Autour d’une table, de café de préférence, les rieurs l’avaient disputé aux autres, ceux qui « n’aiment pas se moquer de ces choses-là ». Dans son numéro 25 édité en 2001, « L’Hôtâ », la publication de référence de l’ASPRUJ, l’Association pour la défense du patrimoine rural jurassien, consacre une partie de sa revue à présenter ce « livre de sorcellerie ». « Notre grimoire jurassien, peut-on lire, n’est pas un ouvrage quelconque. Il se présente comme un livre manuscrit de 119 pages. Sur la première, une illustration naïve montre un dragon tenant entre ses griffes un livre orné d’une poule. On peu y lire le double titre de l’ouvrage: le ’Dragon rouge’ et la ’Poule noire’ ». La page suivante offre les titres: « Le véritable Dragon rouge ou l’art de commander les esprits célestes, aériens, terrestres ou infernaux, avec le secret de faire parler les morts. » Suit ensuite la « Poule noire », puis deux dates, d’abord celle de la version originale dont le présent texte serait la copie (1521) et la date de la présente copie: 26 janvier 1846. Le livre, illustré de gravures « abracadabrantes », s’ouvre sur un prélude qui le présente comme la compilation « de plus de 20 volumes ». Enfin commence la description « du rituel qui fera apparaître l’esprit et sortira celui qui l’accomplit de sa bassesse et de son indigence ». On arrive peu à peu au « Second livre contenant le véritable Sanctum Regum (ou Regnum) de la clavicule ou la véritable manière de faire les pactes avec les noms, puissances et talents de tous les grands esprits supérieurs. » Mais c’est déjà une autre histoire. (apic/pr)
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