Congo RDC: Les dessous d’une guerre sans limite en Ituri
Bunia, 19 juin 2003 (Apic) Pétrole et minerais, richesse du sol en Ituri, en République démocratique du Congo (RDC) sont les mamelles des violences subies par les populations de cette région. Mgr Melchisédech Sikuli Paluku, évêque de Butembo-Beni, ne mâche pas ses mots. Il accuse.
« Les souffrances de la population de la République Démocratique du Congo sont liées aux ressources de son territoire. Les violences à Bunia, en Ituri, et les combats dans le Nord-Kivu font partie d’une seule guerre, menée pour le contrôle du sous-sol de l’est du pays. A présent, le pétrole vient s’ajouter aux minerais, s’indigne-t-il, avec des propos accusateurs recueillis par l’Agence missionnaire Misna.
L’évêque de Butembo-Beni, le plus grand diocèse du Nord-Kivu, dans l’est de l’ex-Zaïre) attire l’attention sur les raisons centrales de la guerre congolaise: les ressources naturelles. La guerre en cours depuis 1998, assure-t-il, est une guerre économique, menée par des acteurs locaux et internationaux, où souvent, les seconds se servent des premiers comme de pions sur un échiquier.
La découverte qui change tout
Mais à quelques kilomètres de Bunia, l’une des zones les plus brûlantes de l’ex-Zaïre, théâtre d’indicibles violences contre des civils et de combats entre diverses factions ces derniers temps, une récente découverte risque de tout remettre en question: un gisement de pétrole qui promet des milliards de barils, caché sous le Lac Albert, qui pourrait changer le destin du Congo et des Congolais. Une incroyable richesse dont on parle peu, ou dont on parle en sourdine, et autour de laquelle plane l’ombre de groupes financiers liés à des compagnies de mercenaires actives en Angola et en Sierra Leone.
Rentable prospection
La compagnie pétrolière qui travaille depuis quelques temps autour du Lac Albert affirme dans ses communiqués qu’elle pourrait commencer à extraire l’or noir en août ou septembre. La « Heritage Oil Corporation » est certes petite, mais terriblement agressive. Il s’agit d’une société pétrolière sise au Canada, cotée en bourse à Toronto. Elle a entamé ses prospections sur la rive orientale du Lac Albert, en terre ougandaise. Le lac était jusqu’à présent reconnu pour son activité de pêche et parce qu’il représente, avec le Lac Edouard, une grande partie de la frontière entre le Congo et l’Ouganda.
Vers 1998, « Heritage Oil » a obtenu la concession en Ouganda d’un terrain de 1,1 million d’acres dénommé Block 3 et le puits de forage Turaco 1, puis a débuté ses travaux de prospection. Assez rapidement, la compagnie a creusé jusqu’à 2’000 mètres de profondeur et trouvé sur son passage du gaz naturel, des hydrocarbures puis finalement, un véritable trésor: un immense lac souterrain de pétrole.
Travaux suspendus
« Heritage » doit cependant aujourd’hui suspendre ses travaux à cause de « problèmes techniques » comme l’a confirmé à Misna le directeur exécutif de la compagnie, Michael Wood, contacté par téléphone il y a quelques jours. La société ne perd pas espoir et elle annonce à ses actionnaires l’ouverture d’un autre puits, le Turaco 2, dont les travaux commenceront vers le mois de septembre 2003. Mais un voile de mystère entoure le Turaco 2. Et la compagnie ne fournit plus d’informations sur sa position, bien qu’elle parle de plus en plus de ses immenses potentialités. Récemment, des employés de « Heritage » ont quitté l’Ouganda pour la République Démocratique du Congo, où ils ont rencontré le gouvernement. Quelques jours plus tard, « Heritage » signait un accord avec Kinshasa sur la concession d’un territoire aussi grand que la Belgique sur la rive congolaise du Lac Albert, 7,7 millions d’acres qui s’étendent de la petite ville de Mahagi, au nord du lac, au village de Rutshuru, au sud du Lac Edouard.
Cette zone qui comprend l’Ituri et le Nord-Kivu est toutefois secouée depuis des années par des combats, des massacres et des violences perpétrées par les factions armées protagonistes depuis 1998. Le gouvernement de Kinshasa n’a quasiment aucun contrôle sur la région et la faible influence de l’exécutif passe par deux groupes armés et leurs alliés. C’est l’Ouganda ou les groupes rebelles qui agissent pour son compte qui ont toujours eu la part du lion, politiquement et militairement. Quelle société exploiterait un territoire aussi dangereux et instable?
Liens étroits
A l’évidence « Heritage », dont les liens avec le gouvernement ougandais sont très étroits, comme l’a déclaré à l’agence Misna Michael Wood. En effectuant quelques recherches sur « Heritage Oil Corporation », on découvre des liens entre la compagnie et des personnages liés aux compagnies de mercenaires les plus fameuses du monde: « Executive Outcomes » et « Sandline International ». Les mercenaires modernes ont bien peu en commun avec les figures des soldats de fortune actifs en Afrique à l’époque de la guerre froide.
Les nouveaux SOF (Soldier of fortune) sont des managers capables de créer d’immenses groupes financiers, composés de multiples sociétés, avec des participations et des filiales (dont de nombreuses enregistrées aux Bahamas) dans lesquelles il est facile de se perdre. Toute la littérature dédiée aux PMC (Private military companies) indique que le plus imposant de ces empires financiers est celui qui a été créé par Anthony Buckingham, directeur et fondateur de « Heritage Oil Corporation ». La compagnie pétrolière canadienne est liée à un groupe britannique, Branch-Heritage Group (BHG) enregistré aux Bahamas, dominé par Buckhingam.
On trouve également au sein du groupe des sociétés impliquées dans l’exploitation de mines de diamants en Sierra Leone et en Angola, dans la sécurité privée, ou avec des participations dans des sociétés éditrices et des compagnies aériennes. Il est cependant difficile d’accéder à des données précises et fiables à cause de la multitude de bureaux et de sociétés off-shore. « Au cours de ces dix dernières années, Buckingham et ses compagnies ont été impliqués dans une série d’opérations militaires mercenaires lancées pour soutenir des gouvernements au pouvoir ou en exil ou des multinationales, en échange d’argent. Il a toujours nié avoir été récompensé en concessions minières » écrivait le quotidien britannique « The Indipendant » le 13 mai 1998.
Pacifier: une priorité
On ignore les termes de l’accord entre Heritage et les gouvernement de Kinshasa et de kampala. Mais ce qui est certain, c’est que la zone doit être pacifiée afin d’extraire du pétrole, et ce malgré l’expérience des hommes de Buckingham à agir en situation difficile. Le président congolais Joseph Kabila a d’ailleurs déclaré lors d’une conférence de presse le 15 mai dernier qu’il serait impossible d’exploiter le pétrole de l’Ituri tant que le pays ne serait pas réunifié.
La situation pourrait se débloquer avec l’arrivée du contingent international envoyé sous l’égide de l’ONU et guidé par la France, autorisée à employer la force en cas de besoin. Deux acteurs important restent cependant exclus de ce scénario: le Rwanda et les grandes compagnies pétrolières internationales. En ce qui concerne le Rwanda, les raisons exposées jusqu’à présent pourraient suffire à justifier la récente avancée vers l’Ituri des troues du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD-Goma, soutenu par Kigali). Ses soldats ont été bloqués par les Nations Unies à quelques kilomètres de Lubero après avoir pris possession de positions clés entre le Lac Albert et le Lac Edouard.
Jeu difficile
Le soutien du RCD-Goma à l’Union des Patriotes Congolais de Thomas Lubanga, protagoniste des récentes violences à Bunia, semble faire partie de la même stratégie. Cette formation rebelle restreinte ne cache pas son désir de dominer l’Ituri, défiant même les Nations Unies et la mission de paix dépêchée à Bunia.
En ce qui concerne les géants du pétrole, Michael Wood a affirmé à Misna que « les grandes compagnies nous observent de très près ». En effet, Heritage semble avoir une structure limitée pour gérer un gisement qui promet des milliards de barils. Heritage a déjà travaillé en Afrique, essentiellement en joint-venture avec d’autres compagnies (Chevron et Ranger Oil West Africa). Si les potentialités du Lac Albert étaient confirmées, le jeu vaudrait la chandelle pour les multinationales. « Mais, écrit Misna, la partie se joue dans un pays où l’Etat est faible et où les choix de « Real Politik » pourraient entraîner une nouvelle tragédie.à moins qu’ils ne représentent le seul intérêt susceptible de donner une solution à une crise jusque là sans issue ». (apic/misna/pr)
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