France: Le cardinal Barbarin souhaite un «assouplissement» de la laïcité

Voile islamique, « ne pas faire de procès d’intention »

Par Jean-Claude Noyé, correspondant permanent de l’Apic à Paris

Paris, 30 septembre 2003 (Apic) A quelques jours d’être nommé cardinal, Mgr Philippe Barbarin, archevêque de Lyon et primat des Gaules, a appelé de ses voeux « un assouplissement » de la sacro-sainte laïcité française. Le mardi 23 septembre, rencontrant à Paris les journalistes de l’information religieuse, le prélat a présenté les enjeux actuels du rapport entre Eglise et Etat, qui vont de la mobilisation sociale des chrétiens au port du voile islamique

L’évolution du rapport entre l’Etat laïc et l’Eglise catholique de France constituera le plat de résistance du menu de la prochaine assemblée plénière de l’épiscopat français, à Lourdes.

Interrogé sur la polémique autour du port du voile par de jeunes musulmanes à l’école, l’archevêque de Lyon a fait valoir que le fait de porter un signe distinctif tel que le voile ne l’agressait personnellement pas. « En tout cas pas plus que de croiser une jeune fille déshabillée », souligne le prélat. Selon lui, dire que le port du voile équivaut à un acte de prosélytisme, c’est « déjà faire un procès d’intention ». Quant à l’opportunité d’une loi qui en interdirait le port du voile et de tout signe religieux ostentatoire à l’école, Mgr Barbarin estime que « la responsabilité en revient au gouvernement et à lui seul ».

Concernant la création, « au forceps » selon certains observateurs, du Conseil français du culte musulman (CFCM), le primat des Gaules s’est gardé de porter un jugement négatif sur son artisan, Nicolas Sarkozy, l’actuel ministre de l’intérieur et ministre des cultes.

Mgr Barbarin dit « comprendre que le ministre ait besoin d’un interlocuteur légitime » pour aborder notamment des questions relatives à l’organisation du culte musulman ou à la création d’aumôneries musulmanes dans des établissements publics (hôpitaux, lycées, prisons, casernes militaires).

Le prélat fait toutefois valoir qu’il serait faux, sinon dangereux, de vouloir analyser la présence en France des Maghrébins « sur la seule base de leur identité musulmane ». « La plupart d’entre eux se considèrent en effet d’abord comme des citoyens français à part entière, au même titre que la plupart des Français qui se définissent d’abord comme des citoyens et non comme des catholiques », estime le nouveau cardinal.

Une évolution dans les faits

Précisément, le modèle français de laïcité, organisé autour d’une séparation assez stricte de l’Eglise (et plus largement des cultes) et de l’Etat, est-il en crise ? Le président de la République n’a-t-il pas demandé à une commission ad hoc (présidée par Mr Stasi) d’y réfléchir ? « La doctrine change », a répondu l’archevêque de Lyon. Et de souligner que Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur et des cultes, n’hésite plus, à la différence de ses prédécesseurs, à entrer dans une église, une synagogue ou une mosquée. Pourquoi? Tout simplement « parce qu’il prend acte qu’il y a des cultes et qu’on ne peut les ignorer », répond l’archevêque.

Le primat des Gaules observe également un changement dans le discours des politiques, désormais plus enclins « à souligner l’apport positif des croyants à la construction de la République et, plus largement, de la paix sociale, qu’à vilipender leur dogmatisme superstitieux ». Bref, la foi est davantage présentée aujourd’hui par les responsables politiques comme un plus pour la société, remarque le prélat.

Autre nouveauté: la présence de près de cinq millions de musulmans en France aujourd’hui alors que la loi de 1905 (ndlr : de séparation des Eglises et de l’Etat) a été créée en France dans un contexte de pleine catholicité. Cette relative force numérique des musulmans appelle donc des changements. « Qui financera la construction des mosquées ? L’Etat, qui, en l’occurrence, n’en a pas le droit, ou, à défaut, l’Arabie saoudite, ce qui serait embêtant », a remarqué Mgr Barbarin.

Le prélat constate par ailleurs que le rôle des aumôniers dans les établissements publics est, de fait, « largement tributaire de la personnalité de chefs d’établissements, disposés ou non, à leur laisser les coudées franches ». « Cette trop grande divergence d’appréciation devrait être recadrée. De même que les salaires dérisoirement bas des aumôniers devraient être revus à la hausse », souligne l’archevêque de Lyon.

Une Eglise marginale?

En ce qui concerne le risque de marginalisation de l’Eglise dans la société, Mgr Barbarin a souligné que « la seule vraie réponse tenait dans la capacité des chrétiens à consacrer du temps à leur vie spirituelle, notamment par la fréquentation régulière de la Parole de Dieu, et à leur volonté de s’engager au premier rang dans la lutte contre les souffrances de ce siècle ».

« Alors ils seront pris en compte. C’est le cas dans le diocèse de Lyon où le préfet consulte régulièrement l’Eglise catholique. Mais cela peut être fugitif. Il faut bien dire que nous chrétiens, nous avons souvent été persécutés: on a le métier! », a conclu avec humour, le nouveau cardinal. JCN

Encadré

Né au Maroc (Rabat) en 1950, Mgr Philippe Barbarin a fait des études supérieures à la Sorbonne (Paris) et à l’Institut catholique de Paris. Il a été ordonné prêtre en 1977. Il a été successivement vicaire et aumônier de lycée, délégué diocésain à l’oecuménisme, prêtre fidei donum et professeur de théologie à Madagascar, curé de paroisse (à Bry-sur-marne, dans le Val- de-Marne) puis évêque de Moulins (Allier). Il a été nommé le 16 juillet 2002 archevêque de Lyon, en remplacement de Mgr Billé, décédé d’un cancer. Tout comme le prédécesseur de Mgr Louis-Marie Billé, Mgr Jean Balland, Mgr Barbarin est membre de la Commission sociale des évêques et président du Comité épiscopal pour la santé. Le 28 septembre 2003, il a été nommé cardinal par le pape Jean Paul II. (apic/jcn/sh)

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