Dominique de Buman a repris le postulat Vaudroz

Suisse: Le Conseil national reconnaît le génocide des Arméniens de 1915

Berne, 16 décembre 2003 (Apic) Contre l’avis du Conseil fédéral, par 107 voix contre 67 et 11 abstentions, la Chambre du peuple du Parlement suisse a reconnu le génocide du peuple arménien commis par la Turquie en 1915.

L’acception d’un tel postulat – déjà rejeté de justesse par le Conseil national en 2001 -, risque de faire remonter d’un cran la tension entre Ankara et Berne. Elle était déjà vive cet automne après la reconnaissance du génocide arménien par le parlement du canton de Vaud et d’autres « incidents diplomatiques » concernant la question kurde.

Les Eglises avaient demandé la semaine dernière de soutenir ce postulat du conseiller national démocrate-chrétien Dominique de Buman. Le Fribourgeois avait repris le postulat du démocrate-chrétien genevois Jean- Claude Vaudroz, signé en son temps par 114 parlementaires fédéraux.

Soutien des trois Eglises nationales

Alors que le gouvernement turc refuse toujours catégoriquement de reconnaître sa responsabilité historique dans la « campagne d’anéantissement systématique » des Arméniens, les trois Eglises nationales suisses se sont engagées elles aussi pour la reconnaissance du génocide de 1915. Elles ont demandé lundi 8 décembre de soutenir un postulat dans ce sens du conseiller national fribourgeois Dominique de Buman.

La vérité historique et le devoir de mémoire sont en jeu, a lancé mardi Dominique de Buman, tandis que le libéral vaudois Claude Ruey voulait reconnaître un événement historique et non condamner la Turquie. Socialistes et verts ont été soutenus par une grosse partie du parti démocrate-chrétien (PDC), ainsi que par quelques radicaux (PRD) et démocrates du centre (UDC). Le gouvernement fédéral devra transmettre la position de la chambre basse du Parlement par les voies diplomatiques usuelles.

Invoquant la Convention de l’ONU contre le génocide à laquelle la Suisse a adhéré, les partisans ont plaidé pour la cohérence et exprimé le souci d’éviter d’autres crimes de ce genre. Parlant de la « politisation » des victimes, l’UDC zurichois Ulrich Schlüer a dénoncé pour sa part une « morale sélective », arguant des souffrances subies par d’autres peuples. D’autres ont avancé des considérations économiques pour refuser de se mettre à dos la Turquie, « pays ami ».

Le pasteur Thomas Wipf, président de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS), Mgr Amédée Grab, président de la Conférence des évêques suisses (CES), et Mgr Fritz-René Müller, évêque de l’Eglise catholique-chrétienne de Suisse, s’étaient déclarés favorables à l’adoption d’un tel postulat par le parlement helvétique durant la session d’hiver.

Un appel à la réconciliation et au dialogue

Les trois Eglises nationales estiment que la reconnaissance du génocide arménien – , tout comme l’a fait le Parlement français, est « un signal politique constructif, de même qu’un appel à la réconciliation et au dialogue ». C’est aussi un message d’espoir pour tous les Arméniens, soulignent-elles.

Dans leur mémorandum commun, les trois Eglises nationales rappellent que le massacre en 1915 d’environ un million de chrétiens arméniens au début du siècle dernier est « l’un des chapitres les plus sombres de l’histoire de la Turquie ». Ce génocide n’a jusqu’ici jamais été reconnu par le gouvernement turc et aucune procédure pénale n’a été menée à son terme contre ses auteurs, relèvent-elles.

Ankara a toujours refusé de reconnaître le génocide des Arméniens

Entre 1915 et 1918, la campagne d’anéantissement systématique menée par le régime des « Jeunes Turcs » a fait selon les sources entre 800’000 et 1’500’000 morts, peut-on lire dans le mémorandum des Eglises. Le Conseil oecuménique des Eglises a été l’une des premières organisations internationales à se solidariser – par delà les différences confessionnelles – avec le peuple arménien et à prendre explicitement position sur cette question. Les Eglises catholique et apostolique arménienne se sont elles aussi exprimées sans ambiguïté sur cette question. Les gouvernements successifs de la République de Turquie ont quant à eux toujours refusé de reconnaître que le génocide des Arméniens était un fait historiquement avéré.

Dans leur communiqué du 8 décembre, les Eglises rappellent que les Arméniens ne furent pas les seuls chrétiens persécutés par le régime des « Jeunes-Turcs ». Un demi million environ d’Assyriens chrétiens et de chrétiens de langue araméenne, dont quelque 100’000 membres de l’Eglise syrienne-orthodoxe, auraient été massacrés ou expulsés, selon certains chiffres fournis par ces communautés. Parmi les Grecs d’Asie mineure (Ionie, Cappadoce, Pont) et de Thrace de l’Est, au moins 750’000 auraient péri entre 1912 et 1922, à la suite de massacres, d’expulsions et de marches meurtrières. JB

Encadré

Plus d’un siècle de solidarité suisse avec le peuple arménien

La solidarité suisse avec le peuple arménien date depuis plus d’un siècle, alors que parvenaient en Suisse les nouvelles des premiers massacres contre cette population. Près de 100’000 Arméniens avaient déjà péri dans l’Empire ottoman dans les années 1890. C’est en septembre 1896 fut créé un comité arménophile suisse, dont le but était de sensibiliser l’opinion à la cause arménienne et de récolter les signatures d’une pétition adressée au Conseil fédéral. Le texte de cette pétition impressionna par sa pertinence et sa clarté, notent les Eglises, ce qui poussa le Conseil fédéral à prendre position en faveur de la communauté arménienne menacée de l’Empire ottoman.

En 1897, 454’291 signatures avaient été recueillies – aucune autre pétition n’a jamais été signée par autant de personnes en Suisse – parmi une population de 3,1 millions de personnes. De nombreux habitants de la Suisse témoignèrent de leur solidarité avec les victimes des massacres des années 1890 en récoltant de l’argent pour les hôpitaux et les orphelinats. Certains aidèrent même sur place à construire de telles institutions. Pendant le génocide de 1915 à 1918, des citoyennes et citoyens suisses s’engagèrent aussi en faveur de la communauté arménienne.

Parmi les arménophiles suisses les plus engagés au début du XXe siècle, on trouve les conseillers fédéraux Gustave Ador et Giuseppe Motta, les orientalistes Léopold Favre et Edouard Naville, le pasteur Antony Krafft-Bonnard, fondateur des Foyers pour enfants arméniens de Begnins et Genève. Après le génocide, de nombreux Arméniens fuirent vers la Suisse et y furent accueillis à bras ouverts. Quelque 6’000 personnes font aujourd’hui partie de la communauté arménienne de Suisse. (apic/com/be)

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