Apic Interview
Absorbée par Le Monde, La Vie restera un « Hebdomadaire chrétien d’actualité »
Jacques Berset, agence Apic
Annecy/Paris, 4 février 2004 (Apic) A cinq mois de ses 65 ans, le journaliste français Jean-Claude Petit prend sa retraite et quitte ses fonctions au sein du Groupe des publications de La Vie catholique (PVC), désormais fusionné avec le groupe « Le Monde », dirigé par Jean-Marie Colombani. Dans une interview à l’Apic, celui qui aime se qualifier de « fils de l’événement » estime que cette fusion ne menace aucunement l’identité de l’hebdomadaire chrétien « La Vie ». C’est au contraire à ses yeux une opportunité sur un marché de la presse déprimé.
PDG de Malesherbes Publications SA et directeur de la publication de « La Vie – Hebdomadaire chrétien d’actualité », Jean-Claude Petit a véritablement consacré sa vie à « La Vie », un journal qui tire à près de 200’000 exemplaires. A l’occasion des 8e Journées d’Etudes François de Sales, organisées à Annecy les 22 et 23 janvier par la Fédération Française de la Presse Catholique, le journaliste français nous confie qu’il commence une « nouvelle vie » très active. Il se dit confiant qu’absorbée par Le Monde – le nouveau groupe va totaliser 700 millions d’euros de chiffre d’affaires et 43 titres – La Vie ne va perdre ni son âme ni son fidèle lectorat, qui s’identifie fortement son titre.
C’est Gilles de Courtivron, président du directoire des Publications de la Vie catholique jusqu’à l’unification avec la société éditrice du Monde, intervenue le 31 décembre 2003, qui le remplace à la présidence de Malesherbes Publications. Le groupe PVC n’était pas en difficultés financières, mais il n’aurait pas pu survivre à long terme, étant donné le vieillissement de son lectorat. Outre ces raisons stratégiques qui ont poussé à la fusion, des raisons circonstancielles – il fallait régler les problèmes de succession des familles Hourdin et Houssin, propriétaires de La Vie – ont précipité le regroupement de ces titres fondés à la Libération, il y bientôt 60 ans.
Apic: Pourquoi avoir remis votre démission au conseil d’administration le 9 janvier, cinq mois avant la fin de votre mandat à la tête de Malesherbes Publications SA ?
J.-C. Petit: La fin de mon mandat et ma retraite, à 65 ans, tombaient en même temps. L’unification du groupe « La Vie – Le Monde » – au départ prévue dans deux ans – s’est accélérée. Le Monde a en fait pris la majorité l’été dernier, ce qui a précipité le processus d’absorption. J’ai donc proposé à Jean-Marie Colombani, nouveau patron du groupe, d’avancer mon départ, tout simplement pour faciliter la transition.
Apic: « Votre » journal est absorbé par Le Monde, que va-t-il en rester ?
J.-C. Petit: Tout. Je n’ai pas de crainte et la rédaction a réagi positivement. Selon moi, il n’y aura pas de perte de substance. Nous avons une charte qui préserve l’indépendance, bien qu’en soi une telle charte ne suffise pas. Je pense cependant que cette fusion est une opportunité tant pour La Vie que pour les autres journaux du groupe (*). Ils avaient besoin de renouvellement, mais encore davantage d’un nouveau départ, car nos publications – comme le reste de la presse chrétienne – sont avant tout des journaux d’abonnés (99% du tirage de La Vie). Avec le désavantage d’être ainsi moins soumis à la concurrence, et surtout, avec la difficulté de toucher les nouvelles générations.
Les plus jeunes achètent avant tout leurs journaux dans les kiosques, alors que nous ne vendons pas plus de 2’000 exemplaires de cette façon. Nous avons des intérêts réciproques avec Le Monde: il nous apporte sa culture de vente dans les kiosques et un élargissement de l’émetteur – le nom prestigieux du Monde pour les journaux chrétiens et même pour Télérama permettra d’élargir leur audience – tandis que nous lui apportons notre culture d’abonnements et la connaissance de nos publics. Nous avons l’avantage d’avoir avec nos abonnés des liens de fidélité très grands.
Apic: La pérennité de l’ »Hebdomadaire chrétien d’actualité » est donc assurée à vos yeux.
J.-C. Petit: L’intérêt des gens du Monde et de son directeur Jean-Marie Colombani, dans leur volonté de constituer un grand groupe indépendant, est d’atteindre §le plus large éventail de la population française. Colombani est un patron de presse qui sait bien qu’on ne touche pas plus à la substance d’un journal qu’à un organisme humain, sinon, c’est le début de la fin. On perd les publics.
Jean-Marie Colombani sait bien que l’éventail des lecteurs va de la gauche à la droite. De plus, les publics sont divers: celui du quotidien national et celui des quotidiens régionaux (avec le groupe du Midi Libre), sans oublier un public d’hebdomadaires avec Le Courrier International ou Télérama. Le public intéressé aux affaires internationales cherche des approches aussi différentes que celle du Monde Diplomatique et celle du Courrier International. La Vie apporte au nouveau groupe un public européen, chrétien. Il n’est pas inintéressant au moment où les questions de sens et de lien social refont surface, à une époque où ce lien a tendance à se déliter. En s’élargissant, Jean-Marie Colombani a intérêt à garder la spécificité des titres. En effet, cela n’aurait pas beaucoup de sens d’acquérir des titres et de perdre leur public spécifique.
Apic: Après avoir consacré la meilleure partie de votre existence à votre hebdomadaire, y a-t-il encore une vie pour Jean-Claude Petit après La Vie ?
J.-C. Petit: C’est évidemment une vie nouvelle qui commence. Mais je vais garder la vice-présidence des « Amis de La Vie », l’association de lecteurs qui compte 3’000 membres et une bonne cinquantaine de relais régionaux. Il ne s’agit pas d’un support commercial pour le journal, mais d’un lieu culturel, car je pense que la société civile française et les milieux chrétiens ont besoin de débattre, de vivre la pluralité. Il n’y a pas assez d’espaces pour ce dialogue. Cette association a pour but de manifester publiquement l’existence d’une famille spirituelle et culturelle, héritière du christianisme social de Georges Hourdin, fondateur de La Vie.
Nous voulons faire de cette association une sorte de réseau décentralisé visant à démultiplier le débat et le dialogue social, politique, interculturel et interreligieux. Nous menons ce débat avec d’autres ONG, comme le Comité contre la faim et pour le développement (CCFD), la Ligue de l’enseignement, Médecins du Monde, ATTAC, etc. L’an dernier, avec les « Amis de La Vie », nous avons emmené une centaine de lecteurs au Forum social mondial (FSM) de Porto Alegre. Cette année, près de soixante-dix se sont rendus au FSM à Bombay. A leur retour, ils organisent des débats, des forums.
Apic: Les « Amis de La Vie » ont l’ambition d’animer le débat citoyen.
J.-C. Petit: En effet, notre association est un lieu qui promeut les lecteurs comme partenaires et acteurs citoyens et ne les considère pas comme des consommateurs. Même si l’information est aussi un produit à vendre, ce n’est pas une marchandise. En juillet prochain, nous mettons sur pied la troisième édition de l’Université d’été des Amis de La Vie à La Salette, près de Grenoble, sur le thème de la citoyenneté. Nous sommes déjà allés à l’abbaye cistercienne de Sylvanès, un centre international de rencontres culturelles et musicales, dans le sud de l’Aveyron. Outre les conférences et les ateliers de chant avec le Père dominicain André Gouzes, on a profité du Festival international de musique sacrée, qui ouvrait ses portes en même temps. On a organisé des visites chez les paysans du Larzac tout a côté.
Apic: L’association des Amis de La Vie n’est pas votre seul « chantier » ?
Apic: Bien sûr que non: j’ai déjà commencé à travailler dans le domaine de l’éthique de la communication, en donnant des cours au CELSA, une école universitaire en sciences de l’information et de la communication qui dépend de la Sorbonne. Je vais faire de même à la rentrée prochaine à Sciences Po.
Un autre « chantier » concerne l’élaboration d’une culture de la paix, dans le sillage de mes contacts avec la Communauté de Sant’Egidio, l’UNESCO, le CCFD, Pax Christi, ainsi qu’avec l’Observatoire Euro-Méditerranée pour la paix, créé avec l’Institut de théologie des religions de Marseille. Nous allons créer également à côté du Centre catholique international de Genève un club de réflexion avec des personnalités catholiques, comme le Père Albert Longchamp ou le journaliste Richard Werly. Je m’intéresse aussi au fait religieux à l’école, une réalité importante dans le cadre du débat sur la laïcité qui agite le pays. A 65 ans, j’ai encore beaucoup de pain sur la planche ! JB
(*) Les PVC regroupent 18 titres, dont La Vie et Télérama (l’hebdo phare du groupe, qui tire à quelque 652’000 exemplaires), les revues de Fleurus Presse – titres pour la jeunesse -, Alternative internationale ou Top Famille, ainsi que la maison d’édition Desclée de Brouwer, la Librairie La Procure et des sociétés de service dans le domaine de l’édition et de la presse.
Des portraits de Jean-Claude Petit peuvent être commandées à l’agence CIRIC, Bd de Pérolles 36 – 1700 Fribourg. Tél. 026 426 48 38 Fax. 026 426 48 36 Courriel: ciric@cath.ch (apic/be)
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