Pierre Stutz ancien prêtre catholique et auteur à succès d’ouvrages de spiritualité:

Apic Interview

«Vivre le lâcher prise c’est vivre l’abandon à Dieu»

Valérie Bory, agence Apic

Lausanne, 2 avril 2004 (Apic) Pierre Stutz, prêtre d’origine alémanique, abandonne la prêtrise en 2002, après une profonde crise personnelle. Il est l’auteur d’une trentaine de livres dont les derniers connaissent un succès d’édition sans précédent, dans le monde germanophone. Entre tournées de conférences et séminaires d’accompagnement spirituels, il s’est entretenu avec l’Apic sur sa vision d’une Eglise réconciliatrice, sur le dogmatisme stérile de l’Eglise, sur le rôle de prêtre. Sa philosophie, qui doit beaucoup aux grands mystiques, en fait un interlocuteur proche de chacun.

Lorsqu’il abandonne la prêtrise, en 2002, à l’occasion d’une profonde crise intérieure, Pierre Stutz se déclare ouvertement homosexuel, mais refuse absolument d’être catalogué dans cette problématique. «Je suis toujours un homme sacerdotal. Je ne veux pas devenir un libertin!» lance-t-il.

Il est auteur d’une trentaine de livres dont les derniers connaissent un succès d’édition sans précédent pour des ouvrages de spiritualité et de développement personnel. Ses derniers ouvrages, publiés en Allemagne, Autriche, Suisse alémanique, ont un tirage de 400’000 exemplaires. Il est aujourd’hui accompagnateur spirituel, thérapeute et formateur. Il donne régulièrement des cours à l’Abbaye de Fontaine-André, dans le canton de Neuchâtel. Ses deux derniers livres, traduits en français, «Se connaître pour connaître Dieu» et «Gérer sa crise en confiance – Lettres à quatre grands mystiques», sont publiés par les Editions Saint-Augustin à Saint- Maurice.

Apic: Comment expliquez-vous le succès de vos livres, tournés essentiellement vers l’intériorité?

Pierre Stutz: Je n’ai pas d’explication précise. Mes livres se vendent en Suisse alémanique, en Allemagne, en Autriche. Je constate que la soif spirituelle augmente de jour en jour et beaucoup de gens ne se retrouvent plus dans les Eglises. Ils ne trouvent pas de spiritualité dans les offices religieux. On me dit toujours qu’on y parle trop. Qu’il n’y a pas assez de silence.

Certainement plus de la moitié des gens qui sont déçus de l’Eglise continuent à avoir une quête spirituelle. Peut-être que mes livres leur parlent. Dès que j’ai commencé à écrire des livres, j’ai actualisé les anciens psaumes bibliques dans le langage d’aujourd’hui, par exemple.

Apic: La quête du silence intérieur n’est pas facile aujourd’hui dans une société tonitruante.

Pierre Stutz: Oui, ce n’est pas évident. Cela fait 10 ans que je médite tous les jours une heure. Parfois, je n’y arrive pas. Alors quand les gens entendent que même quelqu’un qui s’est donné beaucoup de peine reste toujours en recherche de cette intériorité, ça leur paraît très crédible. Je reçois énormément de courrier. «Vos textes sont authentiques», m’écrivent les lecteurs. «Ils sont trempés dans le quotidien, mais il y a quand même les grandes valeurs qui sont exprimées, la grande espérance».

Il faut découvrir la qualité du silence. J’ai récemment développé, lors d’une Journée d’accompagnement spirituel à l’Abbaye de Fontaine-André, dans le canton de Neuchâtel, la mystique de Jean Tauler (Ndlr. Dominicain, né à Strasbourg, disciple de Maître Eckart, né vers 1300 mort en 1361): en retrouvant le silence dans la vie, nous rendons un grand service à l’humanité.

La mystique ce n’est pas seulement quelque chose de très personnel, mais c’est découvrir que nous faisons partie d’un ensemble. Dans un monde qui se perd dans le matérialisme, on a besoin d’hommes et de femmes qui aient le courage d’essayer de vivre le silence. D’essayer de perdre la peur du vide. Parce que là dedans, Dieu peut nous parler. Si nous sommes tout le temps pleins d’image, pleins de mots, pleins d’activités, comment Dieu peut-il nous atteindre?

Apic: Vous parlez de la force curative de la foi. En quoi est-elle différente de la force curative de la psychologie ?

Pierre Stutz: J’ai étudié depuis 12 ans énormément de biographies de mystiques, comme Thérèse d’Avila, Hildegarde de Bingen, Thérèse de Lisieux et partout vous retrouvez cet encouragement à aller plus loin: il n’y a pas de connaissance de Dieu sans connaissance de soi. Dans le christianisme, jusqu’à l’âge de 38 ans, j’ai toujours entendu, «Aime ton prochain». Le «comme toi-même» je ne l’ai jamais entendu. On dit: c’est dangereux, c’est de l’égoïsme. C’est aussi cela qui m’a rendu malade. Ce fut une grande libération de découvrir des hommes et des femmes sains, de ma tradition religieuse, qui me disaient: c’est seulement en s’acceptant soi-même qu’on peut vraiment aimer. Il y a un rapprochement avec la psychologie. Il faut une réconciliation entre la religion, la psychologie et la psychothérapie. Jung a d’ailleurs tenté de le faire.

Pour Edith Stein aussi, cette carmélite, mystique allemande, on ne peut pas trouver Dieu si on ne se trouve pas soi-même. La différence avec la psychologie, c’est lorsqu’elle dit qu’on ne peut se trouver soi-même sans trouver Dieu. St Augustin au IV siècle le pensait déjà: Dieu m’est plus proche que je ne suis proche de moi-même. Dieu est encore plus intérieur que toutes mes quêtes intérieures ne le supposent.

Apic: En quoi le «lâcher prise» dont vous trouvez la trace chez Maître Eckhart (chef de file de la mystique dite «rhénane» ou «allemande», vers 1260-1328, Dominicain, l’un des grands auteurs spirituels du Moyen Age), est-il différent de celui des psychologues, pour qui c’est un maître mot?

Pierre Stutz: Maître Eckart le dit ainsi, si on traduit littéralement : «Tu dois te laisser toi-même. Laisse toi». «Aie un regard vers ton intériorité et quand tu t’es trouvé, laisse-toi». Sans cela on reste fixé sur soi. Vivre le lâcher prise, c’est vivre l’abandon à Dieu. C’est essayer, par exemple, de sentir sa propre douleur et de la mettre dans la miséricorde de Dieu.

Mais notre petit exercice individualiste ne suffira pas. Nous vivons, certes, dans une société individualiste et j’en souffre. Mais chez les mystiques, j’ai appris ceci: Si tu veux changer le monde, il faut que tu changes en toi-même. Tu ne peux pas changer l’autre. C’est donc en toi-même que tu peux découvrir quelque chose qui te permettra une autre approche vers l’autre. C’est pourquoi nous avons absolument besoin de silence intérieur. Les mystiques gagnent en actualité de jour en jour parce que leurs messages sont hors temps.

Apic: Vous êtes très favorable à la théologie féministe. Pourquoi ?

Pierre Stutz: Quand je vais en France, on me dit que la théologie féministe n’existe pas. Mais elle préexiste déjà chez certaines mystiques, comme chez Hildegarde de Bingen, au 11è siècle. La mystique ne fait pas de dualisme entre les choses. Elle essaie toujours de trouver ce qui est en commun. Et pour moi ce fut une grande découverte de voir que la théologie féministe n’est pas un fruit de notre époque mais que Hildegarde parle de «la tendresse de Dieu» et écrit «Dieu est comme une mère». Jean Paul ler, le pape qui a régné seulement 33 jours, disait que Dieu était aussi une mère.

J’ai été très marqué par Dorothée Sölle, une théologienne qui vient de mourir il y a un an. Pendant mes études, j’ai été attiré par deux thèmes: la théologie de la libération et la théologie féministe. Pour moi cela a toujours été important que le langage de Dieu ne soit pas seulement un langage masculin. J’encourage à prier «Notre Père, Notre Mère».

Derrière la féminisation du mot Dieu, il y a toute une critique des images de Dieu, ce Dieu très en dehors de nous, ce Dieu «Tout puissant». Les mystiques parlent d’un Dieu qui est à l’intérieur de nous-mêmes. Et c’est plutôt des images féminines qui leur viennent. La grande mystique de Maître Eckart, c’est la naissance de Dieu au fond de l’âme. Cela me parle plus que le que «Dieu roi», quand nous ne vivons plus dans des monarchies.

Apic: Intégrer une manière de parler de Dieu au féminin, alors que dans le catholicisme romain on n’ordonne pas de femmes prêtres, rend la démarche un peu artificielle ?

Pierre Stutz: Oui, et je le regrette beaucoup. Il y a une grande peur de la femme dans l’Eglise et aussi une peur de la sexualité. On a déjà fait de grands pas vers une réconciliation entre sexualité et spiritualité. Là dedans, il entre le thème de la prêtrise au féminin. Il n’y a aucune raison théologique pour laquelle les femmes ne pourraient pas devenir prêtres. Pour moi c’est inexplicable. Je me suis toujours engagé pour qu’ il y ait des prêtres mariés et pour la prêtrise des femmes. Je n’ai pas peur que le célibat perde sa valeur car pour moi, c’est une valeur. Les monastères, les moniales, les moines, c’est très important. Mais ce doit être un choix libre et non pas lié au sacerdoce.

Apic: A votre avis, l’exigence de chasteté pour un prêtre est-elle impossible à tenir, quelle que soit son orientation sexuelle ?

Pierre Stutz: Non, je ne dirais pas que c’est impossible. Mais c’est un grand défi. Je pense qu’avec tous les scandales que l’Eglise a eus ces dernières années, elle l’a découvert. Même le pape l’a dit: dans la formation des nouveaux prêtres, il faut amener les données psychologiques.

Anselm Grün, un moine bénédictin, a depuis des années un grand succès avec ses livres et il a créé une maison de retraite où des prêtres, des soeurs, des frères en crise de vie peuvent se ressourcer pendant 3 mois. Le grand thème qui y est débattu est comment vivre sainement la chasteté. Je crois que c’est possible. C’est un don, mais c’est un grand défi et nous devons, dans ce domaine, être beaucoup plus authentiques. Ailleurs, on n’en parle pas, Ca reste toujours un sujet tabou Au séminaire, ce n’est pas un thème. On pense simplement que tout le monde y arrive. Je crois qu’on y arrive seulement si on peut en parler. Cela concerne bien sûr aussi les soeurs dans les monastères.

Apic: Vous dites que la sexualité est un don de Dieu?

Pierre Stutz: Oui. Et c’est pour cela qu’il faut une réconciliation entre sexualité et spiritualité. Même si je choisis le célibat, je reste un être sexuel. Et c’est à moi de gérer le désir. Dans l’échange de paroles avec ceux qui partagent ce don. En 1985 j’ai fait le voeu de chasteté. J’ai dit à mon évêque je fais cela en pleine conscience et avec l’aide de Dieu. Mais si je deviens malade ou dépressif, je suis convaincu que Dieu ne veut pas cela. Les premières années, j’ai été épanoui dans le célibat. Puis, j’ai eu de plus en plus de problèmes, de santé, de dépression. En 2002, j’ai dit à mon évêque: Après avoir fait une retraite de 30 jours, je dois remettre ce voeu, je ne peux plus le vivre et je ne crois pas que c’est Dieu qui me le demande. C’était ma vocation, elle a eu cette route, et maintenant elle prend une autre route.

Apic: Vous vous engagez aussi pour les divorcés remariés.

Pierre Stutz: Il y a une grande souffrance parce que justement on part de l’idée que quand on s’est engagé une fois, c’est pour toujours. A mes yeux la fidélité reste une grande valeur, mais il faut admettre que parfois, par des circonstances de la vie, on n’y arrive pas. Je me suis toujours engagé pour que les divorcés remariés puissent de nouveau aller au sacrement. Je ne suis pas le seul. La plupart des prêtres leur donnent la communion, pourtant officiellement ce n’est pas permis.

Mais vous avez aujourd’hui 40% de divorcés… Comment voulez-vous parler à ces gens si vous leur dites qu’ils sont hors de l’Eglise? C’est ça, la grande souffrance que l’Eglise n’apprend pas: qu’on peut garder les valeurs et en même temps trouver des chemins avec ceux qui n’ont pas réussi. Je suis convaincu que le Christ est surtout allé vers ceux qui n’ont pas réussi – il le dit clairement – vers les blessés de la vie, les gens qui vivent une coupure. L’Eglise devrait être prête d’autant à les recevoir et ne pas les rejeter comme elle le fait.

Apic: Vous ne désirez plus parler de votre homosexualité, dites-vous, pourquoi?

Pierre Stutz: Je ne veux plus en parler dans les médias, car alors, on croit que la coupure avec l’Eglise concerne seulement ce thème. Or elle concerne tous les autres thèmes de rupture. Je ne veux pas être réduit à ce côté de ma personne. Il y a 80’000 prêtres mariés dans le monde entier. Vous vous rendez-compte! 80’000 prêtres qui ont dû quitter leur fonction parce qu’ils se sont mariés. Et vous avez des millions de catholiques divorcés qui souffrent. C’est pour cela que je ne quitte pas l’Eglise catholique, mais je m’engage pour une Eglise catholique plus près des gens, sans lâcher les valeurs. Je ne veux pas devenir un libertin. Je ne pense pas qu’il faille faire ce que la plupart des gens font, selon les sondages d’opinion.

Apic: Quel est le rôle du prêtre ?

Pierre Stutz: Pour moi le prêtre c’est un archétype. Il doit faire le lien entre la terre et le ciel. L’Eglise ne peut pas apporter Dieu à quelqu’un. Le prêtre non plus. Parce que Dieu est déjà présent au coeur de toute chose. Le prêtre est là pour parler de Dieu. A contre-courant aussi. Il est là pour encourager les gens à découvrir Dieu dans leur quotidien. En leur disant toujours: Dieu est déjà là. C’est le rôle aussi, des parents, de dire à un petit enfant qui aide quelqu’un: A travers tes mains, c’est Dieu qui agit. Dieu existe dans chaque être humain. Et les animaux aussi ont une âme, et les plantes, toute la création.

L’Occident croyait pouvoir apporter Dieu aux Indiens. Cela a créé un malheur terrible. Et finalement c’est une question de pouvoir. L’Eglise, pas seulement l’Eglise catholique, croit encore qu’elle a le pouvoir d’apporter Dieu. Toutes les religions institutionnalisées ont tendance à abuser de leur pouvoir.

Apic: Dans votre approche de la création comme un tout, y-a-t-il une influence bouddhiste ?

Pierre Stutz: Quand je donne des conférences, des gens me disent parfois: cela je l’ai découvert aussi dans le bouddhisme. Tous les mystiques, quelle que soit la religion, mettent l’expérience au centre. D’abord il faut faire des expériences et après il y a la réflexion. Et là, vous trouvez un lien commun avec toutes les religions. Les mystiques en parlant de Dieu utilisent souvent des images, des symboles. Thérèse d’Avila parle de Dieu comme «source de vie». C’est une image tellement ouverte. N’importe quel humain peut s’y retrouver. Comme lorsque Maître Eckart dit: «Dieu est le fond de ma vie», «Dieu qui me porte».

Ouvrir d’abord les portes, dites-vous?

Pierre Stutz: Oui, d’abord ouvrir toutes les portes et après, bien sûr, il y a un chemin chrétien, il y a un chemin juif, il y a un chemin islamiste, etc. Mais je suis convaincu que tous les chemins conduisent vers Dieu. J’encourage les gens à se décider pour un chemin parce que ça n’aide pas si on puise à chaque tradition. Aujourd’hui dans leur quête spirituelle, certains sont comme des abeilles, ils cherchent toujours le sucre partout. Pour moi, aller dans la profondeur c’est pas seulement le sucre, c’est découvrir la souffrance, la solitude, la mort. J’encourage les gens à s’enraciner dans le christianisme, mais en découvrant qu’il y a des ponts communs avec les autres religions et aussi des différences .

Site internet de Pierre Stutz: www.pierrestutz.ch

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