Mgr Giuseppe Liberto, maître du choeur de la Chapelle Sixtine

Apic rencontre

« Gardien » de l’orthodoxie musicale au Vatican

Rome, 13 avril 2004 (Apic) Les cérémonies solennelles des fêtes de Pâques ont été de grands rendez-vous de musique sacrée dans les basiliques de Rome. Mgr Giuseppe Liberto, maître de choeur et directeur de la Chapelle Sixtine, a répondu aux questions de l’Apic au sujet de la musique sacrée et de son évolution, quarante ans après la réforme liturgique du Concile Vatican II.

Mgr Liberto est un Sicilien chaleureux, un prêtre et un artiste au service de la liturgie pontificale qui dépend directement et uniquement du souverain pontife. A la tête du plus prestigieux ensemble musical du Vatican, le maestro a une place enviée, mais difficile. Nommé en mai 1997, il est en quelque sorte devenu ’le gardien’ de l’orthodoxie musicale issue du concile Vatican II. Avec 20 chanteurs adultes, et environ 35 enfants, il assure le service liturgique exclusif de toutes les cérémonies pontificales (mais aussi des concerts à travers le monde), et écrit à ces occasions de nombreuses partitions, véritables références en la matière.

Pour le maître de la musique du pape, plus qu’une crise, le chant liturgique « traverse une période de transition, d’une époque révolue à une période qui n’a pas encore une vision claire d’elle-même ». « Il ne devrait pas y avoir de contrastes entre l’ancien et le nouveau. C’est seulement une question de mentalité, de culture et d’inventivité », souligne-t-il.

« Les musiciens et les fidèles accueillent volontiers et mettent en pratique les normes établies et travaillent pour rejoindre la double finalité théologique de la musique sacrée: ’la gloire de Dieu et la sanctification des fidèles’ », explique Mgr Liberto.

De la fanfare sicilienne à la Chapelle Sixtine

Formé au conservatoire Vincenzo Bellini de Palerme, il a été éveillé à l’art musical dans la fanfare de son petit village d’origine et par le prêtre et l’organiste de sa paroisse. Avant d’entrer au service de Jean Paul II, il était chef du choeur de la cathédrale de Monreale en Sicile et directeur de l’office diocésain de liturgie. C’est sans aucun doute lors de ses voyages à Palerme, Mazara del Valo et Syracuse, que Jean Paul II a entendu le maître sicilien. Pour le prélat, son arrivée au Vatican est « due à la providence » et il n’a fait qu’obéir aux ordres de son évêque, pour aller servir le premier d’entre eux.

Le compositeur de l’hymne d’ouverture et de clôture de la Porte sainte du Jubilé de l’an 2000 et du Gloria de la messe du 25e anniversaire du pontificat de Jean Paul II est, sous son air bonhomme, un combattant en faveur d’un chant sacré répondant aux plus hautes exigences. « Il ne suffit pas de composer et d’exécuter de la bonne musique pour la liturgie, encore faut-il comprendre de l’intérieur et par expérience la vraie nature de celle-ci. La vraie musique cherche la beauté et l’ordre, transcende les modes, les émotions occasionnelles et changeantes. La musique liturgique est une prière, et pas une forme esthétique quelconque. »

La sainteté exclut toute profanation

Le chef de choeur estime que « la musique sacrée doit être sainte, un art vrai et universel, cherchant dans les modèles historiques du grégorien et de Palestrina sa source essentielle d’inspiration. La musique moderne ne doit pas être exclue, loin de là, mais être digne des exigences liturgiques », poursuit Mgr Liberto, qui n’aime pas le rock and roll. « La sainteté exige l’exclusion de toute profanation, et la musique liturgique doit répondre aux diverses fonctions du rite et surtout respecter l’intégralité du texte. Chaque rite respecte un texte, et à chaque célébration doit correspondre une forme musicale adéquate », conclut-il, en soulignant que « le rite et la musique sont intimement liés. »

Mgr Liberto appuie son travail et sa réflexion sur la Constitution conciliaire Sacrosanctum Concilium de 1963 et le Motu Proprio de Pie X Tra le sollecitudini (1903), dont Jean Paul II a célébré l’anniversaire en novembre dernier. « La réforme liturgique du concile ne doit pas être considérée comme un événement du passé ou un simple souvenir. C’est une réalité dans les faits, qui a besoin de respirer, d’être courageusement promue et réalisée de façon prophétique », lance gravement Mgr Liberto.

Et le maître de la chapelle Sixtine de poursuivre: « Il n’y a pas de doute qu’après des siècles d’immobilisme du rituel et de cristallisation des formes musicales, dans les 40 dernières années, nous avons assisté à des mutations profondes grâce à de nouveaux ferments. Ces changements ont tenté de répondre aux évolutions ecclésiales et extra-ecclésiales, sociales et culturelles. Comme toujours, ces évolutions de la musique sacrée ont provoqué des déséquilibres, engendré des confusions, et laissé certains perplexes ».

Une réforme qui a bouleversé la musique liturgique

Ainsi, le prélat tente de démêler l’écheveau des querelles au sein du monde de la musique sacrée. « Pour certains, le projet de la réforme conciliaire a correspondu à une ouverture aveugle et a conduit à expérimenter des formes et des styles nouveaux. D’autres, au contraire, ont totalement refusé le projet de réforme. Un troisième groupe a tenté d’obéir aux nouvelles directives, mais sans se soucier totalement de l’ouverture musicale adéquate aux nouvelles exigences de l’Eglise ». Le bon chemin, pour Mgr Liberto, semble être celui choisi par « ceux qui ont accueilli le nouveau projet sur le rituel. Ils ont alors recherché de nouvelles formes musicales dans une vision fonctionnelle et dynamique offrant une participation effective à l’assemblée des fidèles selon leurs références culturelles ».

« Le concile a redécouvert et mis en évidence de nombreux éléments. En premier lieu, il a appelé à travailler sur l’Ecriture et puis à s’ouvrir aux différentes cultures, par l’utilisation des langues vivantes. Les Pères du Concile se sont à la fois attachés aux meilleures traditions du passé, tout en allant courageusement de l’avant, face aux nouvelles exigences des temps », estime Mgr Liberto.

Composer est un « devoir ministériel du culte divin »

Le compositeur sicilien a devant lui un motet que chanteront bientôt les choeurs de la Chapelle pontificale. L’auteur d’une telle musique se doit avant tout d’être « quelqu’un qui perçoit le mystère de la foi, pour ensuite le porter de façon artistique et musicale », souligne Mgr Liberto. « Ecrire de la musique liturgique ce n’est pas tant créer une oeuvre personnelle, qu’un devoir ministériel du culte divin ».

Dans ce travail, « le nouveau et l’ancien ne sont pas antagonistes. Dans ce domaine, l’Eglise conserve un patrimoine musical prestigieux, qui doit être utilisé savamment, intelligemment et avec les compétences nécessaires. Conserver ne veut pas dire être conservateur, mais signifie apprécier et accueillir la nouveauté sans oublier le passé », poursuit Mgr Liberto.

Lors des messes pontificales, Mgr Giuseppe Liberto, associe ainsi ses propres compositions aux partitions historiques des choeurs de la Chapelle Sixtine, en particulier celles du célèbre Palestrina (1525-1594). Dans la musique liturgique, il n’y a pas de place pour les dilettantes, estime le chef de la Sixtine, s’appuyant sur le texte de Jean Paul II du 22 novembre 2003, célébrant le 100e anniversaire du Motu proprio de Pie X.

A la question de savoir si Mgr Liberto est la voix de son maître, on ne saura pas grand chose, sinon que le pape est proche de ses musiciens, qu’il n’a pas émis de jugement quant à leur travail, et qu’il aime toutes les formes de musique. Jean Paul II « continue à chanter lors des offices, c’est un exemple pour tous ». « Ne m’en demandez pas plus ». Toujours est-il que le chef de choeur travaille « avec humilité et sagesse, audace et enthousiasme et dans une grande liberté intérieure ».

Pour les compositeurs de musique sacrée, « le champ de recherche de la musique reste ouvert aux nouveaux langages capables d’exprimer le mystère divin et de favoriser la participation des fidèles. Au-delà du grégorien et du chant polyphonique un peu difficiles, il faut faire une grande place aux fidèles ».

Célébrer la rencontre entre Dieu et son peuple

Pour arriver à composer un chant sacré respectant les cadres liturgiques, il faut savoir former les compositeurs et musiciens. Pour Mgr Liberto, c’est là que le bât blesse. « Il est nécessaire de former au chant liturgique tous les prêtres et servants d’autels: évêques, prêtres, diacres, catéchistes et tout les laïcs ». « Il ne suffit pas d’avoir en main les documents. Il faut être plus concret, acquérir des compétences en matière musicale et spirituelle. Les musiciens exécutant des partitions de musique liturgique remplissent une véritable mission et doivent célébrer la rencontre entre Dieu et son peuple ». Pourtant, cette mission n’est pas toujours appréciée à sa juste valeur par les conférences épiscopales, pas assez attentives, selon le maître de choeur du pape, à la formation des musiciens et à la qualité des chants dans leurs églises.

Pour les fêtes de Pâques, la musique sacrée n’a cessé de résonner sous les voûtes des basiliques majeures de Rome. Chacune de ces quatre églises a son choeur attitré et ils se font parfois concurrence.

A Saint-Marie-Majeure, c’est le choeur de la Chapelle Liberiana, dirigée par Mgr Valentino Miserah, qui a chanté hymnes et motets. Mgr Marco Frisina a, quant à lui, dirigé la Chapelle de Saint-Jean de Latran. A Saint- Paul Hors-les-murs, c’est le choeur des moines bénédictins du monastère voisin qui a chanté lors des différentes cérémonies. Enfin, dans la basilique Saint-Pierre, ce sont deux choeurs qui se sont chargés des célébrations pascales: la chapelle julienne, attachée au service de la basilique et dirigée par Mgr Pablo Colino, et surtout le choeur de la Sixtine, qui dépend directement et exclusivement du pape. (apic/imedia/bb)

webmaster@kath.ch

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/apic-rencontre-1/