Genève: Jacques Chessex parle de la dimension religieuse de ses écrits
Laurette Heim, pour l’Apic
Genève, 5 mai 2004 (Apic) La Bibliothèque cantonale universitaire de Fribourg consacre du 8 mai au 3 juillet une exposition à l’écrivain Jacques Chessex. Le 29 avril, au dernier Salon du Livre à Genève, dans une conférence publique animée par Isabelle Falconnier, journaliste à l’Hebdo, celui-ci s’est exprimé sur cette exposition, son attachement à Fribourg, son dernier livre et sur la dimension religieuse de ses écrits.
Quand on questionne Jacques Chessex sur le sens de la vie, il répond que le quotidien est encombré d’inutilités, de faux-semblants et de miroirs. Dès lors, pour lui, il est nécessaire de s’en débarrasser, de se désencombrer pour accéder à ce pouvoir de contemplation qu’il espère pour lui-même et pour tous. (Je ne suis pas meilleur que les autres, mais comme Jankélévitch, je pense que l’âme qui est en nous survivra dans l’Eternité. Pour cette raison, j’ai une responsabilité et n’ai pas le droit de faire n’importe quoi( explique-t-il. Sans vouloir paraître austère ni rabat-joie, il trouve que 90% des plaisirs offerts aujourd’hui, jeux télévisés en particulier, sont inutiles.
Parlant de la sainteté et des Saints, il dit que ce sont des humains qui ont été tentés, qui ont subit des échecs et qui sont morts physiquement. Ce qui empêche l’Homme de voir Dieu, continue Jacques Chessex, est le péché, le risque et la mort, autrement dit cette humanité trop lourde qu’il doit traîner. Jésus Christ est un exemple permanent de ce parcours qu’il faut faire pour s’approcher de Dieu. Trouver la confiance et la foi signifie être sur le chemin de la sainteté. S’approcher égale ressembler. (Dieu, tu es en moi et je ne le savais pas(, cite l’écrivain reprenant St-Augustin. Quant à la spiritualité et à son sens, Jacques Chessex dit qu’on ne peut la définir car la spiritualité s’incarne. Il y a donc autant de spiritualités que d’êtres humains. Bouddha ou Saint Ignace, chaque être et chaque époque possède sa spiritualité. Elle est partout et c’est une donnée essentielle.
Fribourg et la découverte d’un autre monde
Se référant à son passage à Fribourg entre 1951 et 1952, l’ancien bachelier de St-Michel souligne ce que cette époque a influé en lui. Invitation au monde germanique, catholique et européen, cette période marque pour lui la découverte de la confiance et de la liberté. En opposition, dès son retour à Lausanne, il parlera du canton de Vaud comme du pays de la culpabilité calviniste (celle qui ne pardonne pas) et de l’examen de conscience. Il parle des professeurs du Collège comme des Maîtres fougueux, inspirés et d’une foi intense. Il se souvient d’ailleurs de l’écriteau sur lequel était inscrit : (Cet enseignement est placé sous le regard de Dieu(. De plus, en classe avec Armin Jordan, le futur chef d’orchestre, et François Gross, qui deviendra journaliste et rédacteur en chef de La Liberté, ce ne pouvait être banal, selon lui.
Y a-t-il un rapport entre la culpabilité et le pardon qui n’existe pas chez les protestants et la mort qui serait moins angoissante chez les catholiques ? Et manque-t-il donc quelque chose aux protestants pour qu’il en soit autrement ? A cette interrogation, Jacques Chessex pense que rien ne leur manque et que tous ont le même sentiment d’imperfection. Par contre, les catholiques, grâce au sacrement du pardon et de l’absolution ont une possibilité de régénérescence, de résurrection. Ce qui leur permet d’alléger considérablement le fardeau. Pour lui, il est difficile d’être un vrai protestant car celui-ci doit faire son analyse, son examen de conscience tout seul en face de Dieu, comme en islam où il n’y a pas d’intermédiaire. (L’islam m’intéresse et je l’admire car il exige une soumission entière(. Et pour certains protestants angoissés, Jacques Chessex suggère cette autre alternative plutôt que le suicide qui, comme vous le savez, est bien plus élevé chez les protestants que dans les cantons catholiques comme le Valais ou Fribourg, conclut-il.
Le travail d’écriture
Selon Jacques Chessex, un écrivain n’a pas la tâche de distraire. L’idée n’est pas juste. Il ne croit pas à la magie des mots. La lecture est une cueillette, c’est un travail de choix. Le lecteur sait si ce qu’il lit lui convient. Ce sont des moments de réflexions sur le fait d’être au monde. Pour lui, une oeuvre d’art n’est pas faite pour rassurer mais pour poser un certain nombre de questions. C’est pourquoi les sculptures et les tableaux aussi, font parfois scandale. (J’assume que la littérature – ou l’oeuvre d’art – est dangereuse, il y a différents stades de la vérité et le but est l’agrandissement de l’intelligence( précise l’orateur.
Par contre, il s’insurge que la presse puisse aujourd’hui dire n’importe quoi ou montrer n’importe quelle image en présence des victimes sans que cela soit jugé obscène par le téléspectateur, comme dans l’actuel procès Dutroux.
Il décrit son travail comme une carte, un plan, où les livres représentent les forêts, les forteresses, les villes. Et en fonction de ce qu’il lui manque dans son paysage littéraire, il écrit. Par exemple (La Trinité( (Grasset 1992) lui donnait le sentiment de bâtir une église. Quant à son dernier ouvrage, (L’Eternel sentit une odeur agréable(, qui vient de paraître aux éditions Grasset à Paris, c’est une folie qu’il s’est construit, dans le sens d’une petite villa coquette pour vivre le repos, la passion.
Le thème de l’absence du péché
Contrairement aux (Confessions du pasteur Burg((1967), ce livre n’est pas un livre sur le péché, selon Jacques Chessex, il traite au contraire de l’absence de péché. « Roger Vailland* m’intéresse, c’est un miroir, un passeur. C’était un grand résistant qui a cru en toute bonne foi à l’athéisme, au marxisme et au stalinisme. En 1945, cela représentait le courage et la vérité même. Il avait une grande fascination du plaisir, hérité du 18ème siècle, et de plus ses livres sont beaux. Vailland s’est débarrassé de cette notion judéo-chrétienne qui est le péché »: c’est par ces quelques phrases que l’écrivain décrit le personnage dont il a eu envie de poursuivre les idées avec ses propres mots, dans une sorte de fidélité. A celui qui le lui reprocherait, il rétorque qu’un romancier a tous les droits de se servir de gens qui ont eux-même écrits sur les autres. Son livre est une rencontre de divers personnages avec Roger Vailland et les lieux sont exacts. Un roman, poursuit-il, n’est pas une analyse critique, c’est le choix d’un aspect du comportement d’un personnage.
Lorsque Jacques Chessex parle de sa fascination pour l’érotisme, c’est en spécifiant que l’intelligence y est inclue. Sinon, dit-il (c’est un étalage, non intéressant, de charcuterie, qui se nomme la pornographie(. C’est pourquoi, son roman parle de Roger Vailland car pour lui, la différence dans le plaisir est l’invention de l’esprit. Pour un critique belge, il s’agit du 1er livre catholique car il est débarrassé des breloques calvinistes. Il faut entendre par là, dit encore l’écrivain, (comme après la confession et le pardon lorsque le prêtre a dit: ne recommence pas(. Un autre critique, Sean James Rose, s’est également référé à Dieu pour commenter le dernier ouvrage de Jacques Chessex comme une (Théologie singulière où le désir d’extase ne fait que traduire, en creux, la soif de Dieu(. LH
*Grand reporter, romancier communiste qui roulera en Jaguar à la fin de sa vie, drogué, presque collaborateur mais grand résistant, alcoolique, amateur de cyclisme et de montagne, ascète lorsqu’il écrit, romancier historique, scénariste de films, ex-surréaliste, obsédé sexuel, ennemi juré d’Aragon, prix Goncourt 1959 avec « La Loi », Roger Vailland a commencé tôt à opérer le « dérèglement de tous les sens » cher à son maître Arthur Rimbaud. In (Petite bibliographie Roger Vailland, ou un libertin au regard froid(.Yves Courrière. Plon, 1991.
Encadré:
« Il y a moins de mort lorsqu’il y a plus d’art »
A partir du 8 mai et jusqu’au 3 juillet, et après Paris et Berne, l’exposition (Il y a moins de mort lorsqu’il y a plus d’art( consacrée à Jacques Chessex fera un passage à la Bibliothèque cantonale de Fribourg. L’écrivain vaudois animera une rencontre à la Rotonde, le 15 juin à 18 h 30, intitulée « Ce que je dois à Fribourg ».
Pour Chessex, il s’agit d’une sorte de retour aux sources, puisqu’il a étudié au Collège St-Michel entre 1951 et 1952. Dans cette exposition, le public pourra découvrir la diversité de l’oeuvre de Jacques Chessex en 7 parties qui seront chacune précédées d’un texte tiré de Monsieur (Grasset 2001). Chaque thème illustre les principaux accents de ses travaux: (Autographe( parle de ses écrits autobiographiques, (Métaphysique( de sa préoccupation de l’absolu et de la religion, (Féminaire( de la femme et de l’érotisme, (Bestiaire( de sa fascination pour la nature et les animaux et (Peintres( des nombreux textes qu’il leur a consacrés. Enfin (Suisse romande( et (France( démontrent son attachement à ces deux pays. Composée essentiellement de manuscrits et de livres, l’exposition montre aussi quelques oeuvres picturales et graphiques de l’auteur, ainsi que des photos de Philippe Pache. D’autre part, le professeur Gérald Froidevaux, de l’Université de Bâle, viendra parler en allemand, lors d’une rencontre à la Rotonde le 25 mai à 18 h 30 de (Jacques à Fribourg(. (apic/lh/bb)
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