Rome: Le Vatican se penche à nouveau sur le New Age et sa nébuleuse

Evolution vers un « Next Age », encore plus individualiste

Ariane Rollier, correspondante de l’Apic à Rome

Rome, 15 juin 2004 (Apic) La Commission interdicastérielle sur les sectes et les nouveaux mouvements religieux est réunie au Vatican du 14 au 16 juin afin de réfléchir sur le New Age et de proposer des solutions pastorales. Une vingtaine d’experts de différentes régions du monde se sont joints aux représentants du Saint-Siège pour se pencher sur la question. L’analyse du Père Joseph-Marie Verlinde, qui a fricoté avec l’ésotérisme par le passé.

L’initiative de la rencontre vient de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples et des Conseils pontificaux pour la promotion de l’unité des chrétiens, de la culture et du dialogue interreligieux. Les travaux se fondent sur le rapport provisoire de 2003 intitulé « Jésus Christ le porteur d’eau vive »: une réflexion chrétienne sur le Nouvel Age et sur les argumentations transmises par des Eglises locales à ce sujet.

L’Apic a interrogé le Père Joseph-Marie Verlinde, membre de la Fraternité monastique de la Famille de saint Joseph et converti au christianisme après une longue quête spirituelle dans les écoles ésotériques, au cours des années 70. Il est l’auteur d’ouvrages sur le sujet dont, « L’expérience interdite » publié en mai 1998 aux éditions Saint Paul et « Le Christianisme au défi des nouvelles religiosités » publié en 2002 par les Presses de la Renaissance.

Apic: Le New Age est-il en perte de croissance, comment évolue-t-il ?

Joseph-Marie Verlinde: Je ne crois pas que le Nouvel Age ait du plomb dans l’aile. On n’en parle moins parce qu’il s’est installé. Cette nébuleuse mystico-ésotérique est devenue un paradigme, soit l’ensemble des pensées à l’intérieur desquelles nous réfléchissons couramment, ou encore les points de repère de notre pensée quotidienne. On peut aujourd’hui ne pas se référer au Nouvel Age tout en réfléchissant à l’intérieur du périmètre qu’il a défini. Il faut également noter une évolution au sein du Nouvel Age qui s’oriente vers le Next Age.

Apic: Que signifie ce passage du Nouvel Age au Next Age?

J.-M. V: Le Nouvel Age des années 60, de Woodstock, des idéologies collectives d’un bonheur collectif escompté, devait être instauré – dans son ère idyllique – au début du troisième millénaire. Les événements du 11 septembre, la guerre en Irak, la famine qui continue en Afrique, ont fait déchanter les adeptes. Le New Age ne pouvait plus ainsi prétendre instaurer un monde de paix et d’harmonie. Il y a alors eu plusieurs réactions au tournant du nouveau millénaire: une défection de certains déçus et des retours à leur religion d’origine. La plupart des adeptes ont cependant évolué vers l’âge suivant, le Next Age.

Apic: Comment le Next Age se caractérise-t-il ?

J.-M. V: Le Next Age n’est rien d’autre que l’adhésion à l’individualisme absolu que l’on constate aujourd’hui. Cette émanation du Nouvel Age suggère aux individus de ne pas se préoccuper des destinées malheureuses de la planète. Il faut se protéger des influences négatives de l’univers, pour concentrer toute son intention sur la réalisation de son bonheur individuel. De nouvelles psychologies transpersonnelles et liées à ce Next Age prétendent, à côté des techniques orientales et de la drogue, qu’il est possible de trouver le divin à l’intérieur de soi-même au travers d’une méthode d’introspection.

Apic: Quelles sont les mises en garde de l’Eglise dans ce domaine?

J.-M. V: Dans le New Age, chacun doit trouver la vérité, c’est-à-dire ce qui est vrai pour lui, en ayant la liberté de changer le jour suivant et en n’influençant pas son entourage, puisque chacun évolue selon une trajectoire propre. Nous sommes donc dans un relativisme au niveau de la vérité, de la morale. Le danger est également le repli narcissique de l’individu sur lui-même, dans une sorte d’indifférence par rapport à ce qui se passe autour de lui. L’individualisme qui imprègne notre société est une facette de ce Nouvel Age.

La menace est enfin celle d’un totalitarisme avec en plus une dimension religieuse, par le biais d’une planétarisation du type Babel. L’homme veut se faire l’égal de Dieu, il s’instaure comme nouveau Dieu, en imposant une unité artificielle – économique, sociale et religieuse – par ses propres forces. Le Nouvel Age réduit la personne, la fait fondre dans le tout et lui fait sacrifier ce qu’elle a de plus grand et de plus noble en elle, à savoir sa dimension personnelle.

Apic: Quelle réponse propose le magistère face à ces dangers?

J.-M. V: Le Vatican a publié des documents comme « Jésus le porteur d’eau vive », un bon document pédagogique et didactique, qui fait référence. C’est le premier document du Saint-Siège qui ait un lexique à la fin et tant de références d’ouvrages. Cet outil de travail, qui n’est pas définitif, a pour but d’initier les curés de paroisse et les responsables de pastorale au vocabulaire, aux limites et aux dangers de ce Nouvel Age et de leur donner des pistes de réponses. L’Eglise, et notamment certaines conférences épiscopales, diffuse aussi des enseignements pour les prêtres et des réflexions générales sur le Nouvel Age. Mais il est certain qu’il y aurait un travail d’approfondissement à faire à côté de cela.

Apic: Un travail d’approfondissement de quel type?

J.-M. V: On peut regretter qu’il n’y ait pas de travail plus suivi. Partout, notamment dans les écoles, face à la recrudescence de la magie, de la sorcellerie, de la démonerie et du satanisme, voire face à la diffusion du channeling et du chamanisme, on demande des interventions. Il faut mettre en garde contre les branches ésotérique, occulte et spirite du Nouvel Age. On pourrait aussi espérer qu’il y ait plus de documents issus du Vatican. Il y a une méthode pédagogique à inventer pour mettre en garde et pour en même temps sortir des généralités.

Apic: Pourquoi l’Eglise s’en limite-t-elle à des généralités; pourquoi n’est-elle pas plus active face à ces dangers?

J.-M. V: La difficulté est de savoir quel est l’interlocuteur du Nouvel Age. C’est une nébuleuse qui n’a pas une seule structure ou un leader. Le Nouvel Age en tant que tel est une toile d’araignée et on ne peut pas s’adresser à une toile d’araignée.

C’est d’ailleurs la force de ces courants parallèles et cela freine le dialogue. Les responsables d’Eglises doivent donc émettre des documents assez généraux pour s’appliquer à tous, mais qui restent en même temps des généralités. Si l’on en venait à une école particulière, les gens n’en faisant pas partie prétendraient ne pas être concernés. Il faut aussi noter que dans le Nouvel Age tout n’est pas mauvais, sinon le magistère aurait réagi depuis longtemps. Mais ce discernement est vraiment très subtil, d’où sa prudence.

Apic: Tout n’est-il pas mauvais dans le Nouvel Age?

J.-M. V: Je ne crois tout de même pas que le renouveau spirituel induit par le Nouvel Age soit positif. Pour un chrétien, c’est une régression vers la sacralisation du monde, c’est un néo-paganisme. Il y a certes quelque chose de fascinant dans cette théurgie qui dit que l’homme dispose du cosmos et de lui-même, et a l’illusion d’en être le maître. Mais cela conduit à une immense solitude, car cet individu qui creuse toujours plus loin son intériorité tombe dans un grand Soi, qu’il écrit peut-être avec un S majuscule, mais qui est une solitude absolue.

Apic: Que proposez-vous face à cela?

Il est difficile de prendre des décisions fermes. Je mets en garde contre certaines pratiques. Il n’y a plus qu’une minorité d’Européens qui ne soient pas au courant des techniques d’occultisme, de spiritisme et de toutes les formes de magie.

Apic: Vous parlez de l’Europe, le New Age ne touche-t-il pas également les autres continents?

J.-M. V: Si, bien évidemment. Je me souviens d’un Canadien donnant une conférence il y a 25 ans et disant que dans une vingtaine d’années leur maîtrise des médias serait suffisante pour déverser leur littérature en quelques années, simultanément sur tous les continents. Cela a été vérifié au travers des média, que ce soit la télévision, la littérature, et maintenant Internet. Tous les continents ont été abreuvés des principes du Nouvel Age. Ce mouvement se veut d’ailleurs planétaire.

Apic: Les sectes dissidentes des Eglises chrétiennes, en Afrique ou en Amérique du Sud par exemple, subissent-elles l’influence du New Age?

J.-M. V: Le Nouvel Age essaie de s’infiltrer dans certaines églises chrétiennes, notamment en Amérique Latine. A cet égard, le danger du renouveau charismatique est de parfois trop s’intéresser au merveilleux. Cette recherche est une porte entrebâillée au Nouvel Age. Le risque dans les mouvements un peu sectaires est également de confondre pouvoirs occultes d’ordre naturel et charismes surnaturels.

Enfin, la recherche exagérée d’une expérience sensible de Dieu qui n’est pas chrétienne commence à séduire certains chrétiens. Or on n’atteint pas Dieu au terme d’une série de techniques mises en pratique: Dieu serait alors manipulable, alors qu’il est une réalité personnelle.

Apic: Comment faire prendre conscience de cette confusion aux chrétiens?

J.-M. V: Le Nouvel Age est un parasite, qui pond ses oeufs dans les nids des grandes religions. Il réinterprète le christianisme de manière inacceptable. Quand j’entends dans certains sondages que 50% des personnes se présentant comme chrétiennes croient à la résurrection et à la réincarnation, je me demande comment ils font pour garder la cohérence de ces positions incompatibles.

Il faut faire comprendre l’arrière-fond philosophique du Nouvel Age, et montrer son incompatibilité avec la doctrine chrétienne. Nous avons la responsabilité difficile, dans ce siècle où nous sommes battus en brèche, de garder fidèlement le dépôt: Ecritures, tradition, magistère, et cohérence de notre foi.

Le chrétien est appelé à ne pas faire de compromission. Il ne s’agit pas de se lancer dans une lutte idéologique toujours stérile, mais d’annoncer à temps et à contretemps, notre message original par un témoignage vécu de paix et de charité. (apic/imedia/bb)

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