Rome: Influence des inquisitions sur l’Occident

APIC dossier

« Livre noir du christianisme »

Hervé Yannou, correspondant de l’Apic à Rome

Rome, 15 juin 2004 (Apic) Aujourd’hui, l’Inquisition est un nom qui fait encore frissonner. Ses six siècles d’histoire appartiennent « au livre noir du christianisme ». Il n’y a cependant pas eu une seule Inquisition, mais des inquisitions. Selon Jacques Chiffoleau, historien français et spécialiste des Justices du pape, interrogé par l’Apic, l’Inquisition « n’est pas une aberration ou un accident de l’histoire, mais un élément clef dans l’évolution des institutions religieuses et politiques de l’Occident, dont bien des aspects sont encore d’actualité ».

C’est au nom de Dieu et de l’orthodoxie que le Saint-Siège a instauré au 13e siècle, une forme inédite de justice et de tribunaux ecclésiastiques exceptionnels, destinés à combattre l’hérésie. L’Inquisition fut confiée aux nouveaux ordres qu’étaient alors les dominicains et les franciscains, directement liés au pouvoir central de l’Eglise.

Les premiers visés par ces tribunaux ont été, en France, les cathares et les vaudois. Pour l’Eglise, il ne s’agissait pas seulement de réprimer ceux qui s’étaient écartés du droit chemin, mais encore de les y faire rentrer. Rompant avec une tradition constante de l’Eglise, le pape Innocent IV (1243-1254) autorisa l’usage de la « question » dans le cas de « l’enquête » (’inquisitio’ en latin, qui a donné le nom Inquisition) d’abord par des juges civils, puis par les inquisiteurs eux-mêmes. Il était normalement hors de question de mettre en péril l’intégrité physique du suspect, même si la torture n’implique pas toujours la mutilation. Mais il était avant tout demandé à l’inquisiteur d’être un bon prédicateur. Il s’agissait de convaincre l’hérétique de ses contradictions et de le convertir à la foi chrétienne. La peine capitale était un échec du clerc chargé de l’inquisition.

« Ce qui peut heurter aujourd’hui, c’est la méthode inquisitoire », souligne Jacques Chiffoleau. Cette procédure judiciaire veut que si un crime menace l’autorité publique, il puisse « être poursuivi d’office, sur simple dénonciation, sur un soupçon et sans accusateur ». Il n’est pas nécessaire qu’il y ait un flagrant délit. « Mais il faut avant tout identifier le crime. D’où le travail d’enquête pointu et méticuleux des clercs de l’Inquisition, selon des idées préconçues et stéréotypées de ce que devait être un hérétique ».

De nombreux pays européens encore marqué par la méthode inquisitoriale

Selon Thierry Lévy, avocat au barreau de Paris, le système judiciaire de nombreux pays européens est encore marqué par la méthode inquisitoriale. « L’enquêteur est toujours un agent du pouvoir. La figure du procureur qui peut décider d’une enquête ou non, le secret de l’instruction, et la détention provisoire pour obtenir des aveux sont, entre autres, le signe que les méthodes de l’Inquisition ont profondément marqué notre système judiciaire. Ce n’est pas le cas dans les pays anglo-saxons, où la procédure est accusatoire. Le juge n’enquête pas. Ce sont les deux parties qui ont l’initiative des investigations ».

Ce ne sont pas les inquisiteurs qu’il faut rendre responsables de la création de l’Inquisition. Si certains ont été perturbés par le pouvoir redoutable qui leur était donné, « c’est à la société occidentale, ecclésiastique et politique, qu’il faut faire porter la responsabilité d’avoir créé et perfectionné l’Inquisition », affirme le professeur Chiffoleau. L’Inquisition est apparue « dans une période où l’Eglise, la papauté et la société chrétienne se sentaient fragilisées ». Quand l’Eglise détenait un pouvoir à la fois temporel et spirituel, « l’hérétique menaçait la paix et l’ordre social ».

Par ailleurs, l’idée d’inquisition est presque aussi ancienne que l’Eglise elle-même. En 380, l’empereur romain Théodose fait du christianisme la religion d’Etat. Les délits d’hérésie sont alors assimilés à des crimes de lèse-majesté et punis de manière brutale, alors que les Pères de l’Eglise avaient préconisé des peines spirituelles. Saint Bernard de Clairvaux, au 12e siècle, considère encore que les déviants doivent être convaincus essentiellement par la parole. Mais au siècle suivant, saint Thomas d’Aquin affirme que l’hérétique est doublement rebelle, à Dieu d’abord, mais aussi aux autorités pontificales ou royales voulues et instaurées par Dieu sur la Terre. Le coupable peut donc encourir la peine de mort.

Fugitifs, parjures ou relaps condamnés à la prison à vie

Lors des sentences publiques et solennelles (les ’autos da fè’, ’acte de foi’, en portugais), les fauteurs ou suspects d’hérésies encouraient des peines variables qu’il s’agisse des pénitences temporaires, parfois pénibles (port de signe discriminatoire, des croix d’étoffe jaune), de flagellations ou de pèlerinages. Les fugitifs, parjures ou relaps étaient condamnés à la prison à vie. Les irréductibles étaient pour leur part condamnés à mort et livrés aux autorités civiles, en charge pour elles d’exécuter la peine. La nature de l’exécution n’était pas précisée. Il y a eu des bûchers mais peut-être moins qu’on le dit, selon les études récentes.

« Il est difficile de dresser un bilan chiffré des victimes de l’Inquisition, car les sources sont lacunaires « , souligne Jacques Chiffoleau. Mais l’historien cite le cas de Bernard Gui, l’inquisiteur mis en scène par Umberto Ecco dans « Le nom de la Rose », ayant condamné 636 personnes, dont 40 au bûcher, au 14e siècle.

Mais le travail des inquisiteurs ne se limitait pas aux personnes. Ils se penchaient aussi sur les écrits et les doctrines. Il y a des procès connus, sur lesquels le Vatican est aussi revenu, comme celui de Galilée. Une commission spéciale, présidée par le cardinal Paul Poupard, a reconnu les erreurs de ce tribunal en 1992. A partir de 1440, les sorcières furent comptées au nombre des hérétiques et « la chasse aux sorcières » dura jusqu’au 18e siècle.

Un instrument également au service des rois

Créée par les papes, l’Inquisition devient rapidement un instrument au service des rois, indépendant du Saint-Siège. Cette justice, fondée sur la vérité, la torture et l’aveu, est en effet inséparable de l’établissement des monarchies absolues en Europe. Philippe le Bel (1268- 1314), en France, va utiliser l’Inquisition dans le procès politique contre les Templiers (1314) et elle servira aussi contre Jeanne d’Arc. « L’Inquisition appartient ainsi à l’histoire du catholicisme, à celle de l’absolutisme, mais aussi à celle de l’intolérance », souligne Jacques Chiffoleau.

C’est surtout en Espagne que l’institution ecclésiastique devient un organisme d’Etat, indépendant de Rome. La spécificité de cette Inquisition espagnole, symbolisée par le lugubre et zélé dominicain Torquemada (1420- 1498), fut aussi de s’en prendre aux juifs et aux musulmans et à toute opposition à l’autorité du « roi catholique ». L’institution fut si puissante qu’elle contribua fortement à fermer la péninsule aux idées nouvelles. Elle y prit souvent un tour tragique et ne disparut définitivement qu’en 1833.

« Comble de l’arbitraire et de l’obscurantisme »

Au-delà de la légende noire, largement élaborée à partir du cas espagnol, il faut comprendre que le système inquisitorial, « comble de l’arbitraire et de l’obscurantisme » fut mis en place au Moyen-Age, dans un contexte bien particulier, « aux antipodes de la démocratie ». Pour tenter de faire le jour sur cette question, les archives romaines sur le sujet ont été ouvertes aux chercheurs en 1998 et des colloques organisés par les dominicains ont débuté en 2002, et se poursuivront jusqu’en 2006, pour aborder l’Inquisition sous tous ses aspects.

La Congrégation pour la doctrine de la foi est la lointaine héritière de l’inquisition pontificale. Appelée à l’origine « sacrée Congrégation de l’Inquisition romaine et universelle », elle fut fondée en 1542, pour lutter contre les hérésies. Le titre du dicastère fut changé en « sacrée Congrégation du Saint-Office », par Pie X, en 1908. Enfin, Paul VI en a redéfini les compétences et lui a donné son nom actuel en 1967. Son rôle est défini dans la Constitution apostolique Pastor bonus, promulguée par Jean Paul II en 1988. Elle doit « promouvoir et protéger la doctrine et les moeurs conformes à la foi dans tout le monde catholique ». (apic/imedia/bb)

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