Apic Portrait
Plus de prières et moins de déclarations
Jacques Berset, agence Apic
Berne, 13 septembre 2004 (Apic) Le nonce apostolique à Berne, Mgr Pier Giacomo De Nicolo, va quitter la Suisse ce mois-ci après 5 ans d’activités dans notre pays pour jouir d’une retraite méritée à Rome. Les catholiques suisses perdent un diplomate qui en a surpris plus d’un en se profilant comme un « nonce chantant », adepte de la « diplomatie du coeur ».
Au moment de prendre ses fonctions en Suisse, l’archevêque De Nicolo, qui venait d’achever un séjour de six ans en Syrie, avait un problème de moins à résoudre: une longue crise venait de trouver une issue avec le départ de Coire de Mgr Wolfgang Haas et son installation au Liechtenstein.
Le nouveau nonce succédait à Mgr Oriano Quilici, décédé quelques mois auparavant après une longue maladie. Le doyen du corps diplomatique accrédité à Berne n’a jamais donné l’image d’un prince de l’Eglise drapé dans sa dignité hautaine ou d’un diplomate froid et distant.
Sa voix de ténor en a conquis plus d’un depuis qu’il s’est mis à chanter des hymnes mariaux dans les églises du pays, comme il l’avait fait lors de l’ordination de Mgr Bernard Genoud à la cathédrale de Fribourg, le lundi de Pentecôte 1999. Pour Mgr De Nicolo, le don qu’il possède est aussi une prière, et c’est aussi l’occasion de donner un témoignage de sa dévotion à la Vierge. « Le langage du coeur, c’est mon langage principal. On est habitué à rationaliser, c’est notre époque qui veut cela, pas seulement en Suisse. »
Ce diplomate originaire de la ville italienne de Cattolica connaissait déjà la nonciature de Berne, car il y avait travaillé comme conseiller de 1975 à 1977, à l’époque du nonce Marchioni. Sous les lambris de la magnifique demeure de la Thunstrasse, l’ancien nonce en Suisse parle avec chaleur du troupeau qu’il quitte: des « brebis suisses » pas toujours en odeur de sainteté à Rome parce qu’elles voudraient n’en faire qu’à leur tête, culture démocratique oblige. Une culture qu’il qualifie volontiers de « difficile et très sécularisée ».
La sensibilité démocratique de la Suisse
En Suisse, la sensibilité démocratique, pour le nonce, a des aspects plus évidents qu’ailleurs même si on ne peut qualifier les Helvètes de « particulièrement rebelles ». Les Suisses, avant d’accepter, aiment analyser, critiquer. « On veut voter sur tout, c’est une autre structure, une autre mentalité. Mais l’Eglise va au peuple, cela veut dire qu’il faut convaincre, tout en restant clair dans la doctrine, dans la vérité. » Mais pour Mgr De Nicolo, la vérité peut aussi blesser des sensibilités: il faut donc quelques fois être courageux dans la vérité, mais généreux dans la charité.
« L’annonce de la vérité, c’est une force dans l’Eglise, mais surtout une responsabilité. Le nonce n’est ni un gendarme ni un juge, il est avant tout un prêtre et un évêque. Il a surtout la mission et le devoir d’être un avocat, dans les deux sens ». En effet, le nonce est certes l’avocat de Rome auprès de l’Eglise locale, mais aussi l’avocat de cette Eglise auprès des instances romaines.
Une sécularisation très avancée
La Suisse, aux yeux du nonce, a quelque chose de fascinant du point de vue de son histoire et de son extraordinaire mélange culturel et linguistique. Mais, reconnaît-il, la sécularisation du pays est très avancée et la culture en est profondément imprégnée. De plus, ces dernières années, les évêques suisses ont été confrontés à des questions de grande portée comme l’avortement, les techniques de procréation artificielle, la recherche sur les cellules souches embryonnaires, le clonage humain, l’euthanasie, le partenariat enregistré des homosexuels, le statut de la famille, sa décomposition comme sa recomposition.
« Ces grands débats de société illustrent un bouleversement des idées constitutives de la société suisse dans le domaine culturel, politique et de manière plus générale, éthique », souligne Mgr De Nicolo. Cette sécularisation, qui ne concerne pas que la Suisse, interpelle les catholiques, en se manifestant également dans les fréquentes tentatives de mise à l’écart de la religion hors de la sphère publique, en la limitant au seul domaine privé.
La foi a perdu du terrain
Et de constater que les catholiques suisses sont confrontés à une situation religieuse ambiguë où un certain nombre de pratiques religieuses demeurent encore sous une forme sociologique, mais ne vivifient plus fondamentalement les familles et la société suisse. « La lente érosion de la foi par cette culture sécularisée pose des défis nouveaux dans l’Eglise et à l’extérieur », note-t-il encore. A l’intérieur de l’Eglise, on doit désormais faire face à une culture de l’indifférence et du relativisme, sous couvert de pluralisme, et le christianisme se réduit peu à peu à un humanisme plus ou moins généreux.
A l’extérieur se pose aussi de manière pressante la question de la nouvelle évangélisation de cette culture et la mise en place d’une pastorale « à la fois humble et audacieuse » pour proposer « de manière nouvelle dans la forme la foi catholique de toujours ».
Les évêques suisses sont parfois confrontés à la haine, estime le nonce De Nicolo: « Les attaques ne viennent pas tant de ce monde sécularisé, mais de l’intérieur même de l’Eglise et même de certains cercles ecclésiaux. Il faudrait aussi connaître les correspondances privées qu’ils reçoivent parfois ». On attaque ainsi les évêques parce qu’ils sont opposés à l’avortement ou à la bénédiction des couples homosexuels!
S’ils sont souvent incompris, voire attaqués, les évêques ne peuvent pas répondre de la même façon: « Ils doivent toujours se laisser inspirer et conduire par le plus grand amour qui prend patience et qui pardonne. C’est cela qui est à la fois exigeant et exaltant. Il s’agit d’allumer la lumière pour dissiper les ténèbres, et non d’essayer de les chasser à force de conflits ». Ils ne sont certes plus persécutés, mais ils doivent faire face à l’indifférence.
Des joies et des peines
A propos des grands dossiers qui l’ont occupé et souvent préoccupé, Mgr De Nicolo estime que son souci primordial a été de veiller à la communion dans la compréhension réciproque, pour la défense de l’unité de la foi. Parmi les souvenirs très heureux, il note la visite du pape Jean Paul II en Suisse et l’établissement de relations diplomatiques complètes entre le Saint-Siège et la Suisse. D’autres dossiers demeurent pour le nonce des questions douloureuses, « comme la crise des vocations sacerdotales et religieuses et le manque d’une vision de foi surnaturelle vis-à-vis du magistère de l’Eglise ».
En contact régulier avec la Conférence des évêques suisses en tant que légat pontifical, le nonce relève que c’est une chance de l’être dans un pays comme la Suisse, dont la petitesse et la tradition permettent la création de liens personnels et de dialogues fréquents et francs. Il a également représenté la Suisse auprès du Saint-Siège et montré comment la vie ecclésiale de ce pays était en communion avec l’Eglise universelle: « La tâche d’avocat de frères amis est bien agréable! » Mais il a aussi été nécessaire de voir comment remettre certaines pratiques et coutumes helvétiques – instaurées parfois depuis des décennies – en harmonie avec l’Eglise universelle.
A propos des tensions oecuméniques qui ont surgi ces derniers temps en Suisse, Mgr De Nicolo rappelle que le pape Jean Paul II s’est engagé avec force et détermination dans le dialogue oecuménique et le dialogue interreligieux. Il suffit de se souvenir de son audace extraordinaire tant à Assise qu’en Terre Sainte, à Rabat, au Maroc, ou dans la synagogue de Rome, avec le Dalaï Lama comme avec le Grand rabbin de Jérusalem. Ainsi, souligne le nonce, le pape n’a pas ménagé ses efforts et ses initiatives.
Des divergences douloureuses subsistent
Cependant, souligne-t-il, l’Eglise catholique a toujours eu le mérite d’avoir une position très claire: « Elle n’a jamais confondu le doctrinal et l’émotionnel, elle n’a pas voulu mélanger ce qui relève des grands débats théologiques de fond et qui est de l’action caritative et du témoignage commun des chrétiens. La vérité dans la charité exige cette clarté, qui présente avec précision les positions respectives des chrétiens séparés ». Le nonce admet que des divergences douloureuses existent et qu’il faut les accepter.
« Dans cet esprit, la position de l’Eglise catholique sur l’intercommunion a toujours été exprimée avec clarté, tant dans les grands documents conciliaires ou pontificaux que dans les discussions au sein du groupe de travail mixte Eglise catholique romaine/Conseil oecuménique des Eglises ». Et Mgr De Nicolo de souligner que le pape lui-même est lié « par la doctrine constante professée depuis les Pères de l’Eglise et jusqu’à aujourd’hui ».
A son avis, seules des imaginations naïves peuvent attendre une attitude différente que celle, « cohérente et claire », présentée lors de la visite du pape Jean Paul II en juin dernier en Suisse. « On peut dès lors légitimement s’étonner de certaines réactions manifestées à cette occasion, comme si l’Eglise catholique avait trahi on ne sait quelle promesse, avait déçu ou trompé on ne sait quel rêve ». Certes, reconnaît le nonce, des susceptibilités du côté des Réformés ont sans doute été éveillées, mais il n’y voit aucun drame particulier. « Ces soubresauts sont des occasions de faire mûrir le débat oecuménique et de lui redonner une certaine consistance ».
Dans le dialogue oecuménique, ne pas oublier les orthodoxes
De plus, souligne le nonce, il ne faut pas oublier que le pape est attentif à tout un pan de la chrétienté, l’orthodoxie. Ainsi, des compromis doctrinaux oecuméniques exigés par les communautés ecclésiales issues de la Réforme porteraient un coup fatal à la communion existante, sur le plan de la doctrine, avec l’Eglise orthodoxe. Et de relever que cette perspective semble souvent oubliée dans les débats oecuméniques en Europe occidentale. « La maturité du dialogue oecuménique nous oblige à ouvrir un peu nos horizons et à prendre en compte les conceptions doctrinales et liturgiques des Eglises soeurs d’Orient ».
Le nonce propose finalement « plus de prières et moins de déclarations » pour faire évoluer la situation actuelle vers plus de communion. Au moment de quitter la Suisse, Mgr Giacomo De Nicolo le fait avec beaucoup d’espérance, même si la crise post-conciliaire a touché également l’Eglise qui est en Suisse. Un de ses soucis reste le retour progressif à la confession individuelle, alors que la confession collective est très ancrée chez les fidèles en Suisse. Il plaide finalement pour davantage d’humilité et de prière, mais aussi pour une nouvelle évangélisation entreprise avec détermination et avec un effort d’inculturation. Sans oublier une attitude d’ouverture sans complexe envers le magistère romain. JB
Encadré
La plus ancienne nonciature au monde
La présence d’une nonciature apostolique en Suisse remonte loin dans l’histoire, elle est même la plus ancienne nonciature au monde. Le premier siège fixe date du XVIème siècle, à l’époque de l’Etat pontifical, et il a été établi en Suisse. Avant, il n’y avait que des nonces itinérants. Cette première mission stable a reçu la personnalité internationale. Cette personnalité a d’emblée été attribuée non pas à l’Etat pontifical, mais au Saint-Siège, reconnu comme tel membre de la communauté internationale. Au moment de la Restauration, en 1815, le Congrès de Vienne a confirmé la personnalité juridique du Saint-Siège. C’est d’ailleurs à cette occasion que l’on a établi que le nonce apostolique est de droit doyen du corps diplomatique. JB
Encadré
Mgr Pier Giacomo De Nicolo, nonce en Suisse de 1999 à 2004
Mgr Pier Giacomo De Nicolo a été nommé nonce pour la Suisse et le Liechtenstein par le pape Jean Paul II le 21 janvier 1999. Il avait auparavant oeuvré en qualité de nonce en Syrie, un poste qu’il occupait depuis 1993. Mgr De Nicolo, d’origine italienne, succédait alors à Mgr Oriano Quilici, décédé le 2 novembre 1998 à Berne. Après six ans comme représentant du Saint-Siège en Syrie, Mgr De Nicolo est arrivé en Suisse le 13 mai, jour de l’Ascension.
Mgr De Nicolo est né le 11 mars 1929 à Cattolica, dans le diocèse italien de Rimini. Il a été ordonné prêtre le 12 avril 1952 et évêque le 20 octobre 1984. Entré dans le service diplomatique du Saint-Siège en 1958, il a fait le principal de sa carrière à Rome. A l’étranger, en dehors de la Syrie, il a oeuvré dans plusieurs pays au service de la diplomatie vaticane: Allemagne, Portugal, Costa Rica. JB
Les photos de Mgr De Nicolo sont à commander à l’agence CIRIC, Bd de Pérolles 36 – 1705 Fribourg. Tél. 026 426 48 38 Fax. 026 426 48 36 Courriel: ciric@cath.ch (apic/be)
webmaster@kath.ch
Portail catholique suisse