Entre vulgarisation et entreprise de séduction

Fribourg: La Bible pour les Nuls serait-elle évangélique?

Valérie Bory, Apic

Fribourg, 17 septembre 2004 (Apic) A côté de Internet pour les Nuls voisine désormais La Bible pour les Nuls. Que vaut l’ouvrage, en vente en Suisse depuis quelques mois? Une collection à succès, américaine à l’origine, les Editions First, a essaimé dans le monde francophone. Certains titres de vulgarisation informatique ont été vendus à plus de 100’000 exemplaires. Ouvrage d’évangélisation orienté, approche traditionaliste ou simple vulgarisation? A prendre avec des pincettes, pour les exégètes en tout cas.

L’Apic a demandé au pasteur Claude Schwab, président d’Enbiro (Enseignement biblique romand) à Lausanne, à Jean-Bernard Livio, jésuite, bibliste à Genève, ainsi qu’à la libraire Aude Morisod, à Fribourg, leur opinion sur cet ouvrage, lancé avec les moyens aguerris du marketing selon les Editions First. L’auteur de la Bible pour les Nuls, Eric Denimal, est un protestant évangélique, rédacteur en chef de Christianisme Aujourd’hui-France. Il est également responsable des Editions de la Ligue pour la lecture de la Bible- France et a proposé lui-même le projet aux Editions First, qui l’ont accepté.

« Un ouvrage de propagande religieuse »

Pour Claude Schwab, de St Légier, qui s’exprime à titre personnel, La Bible pour les Nuls est « un ouvrage de propagande religieuse ». « Mon appréciation est négative », a-t-il confié à l’Apic. « D’abord, la mise en page, le graphisme, la présentation sont absolument indigestes, surtout que l’ouvrage n’est pas donné. Il n’y a même pas une illustration. Je le trouve rébarbatif ». Le président d’Enbiro va jusqu’à lancer: « il s’agit d’un livre malhonnête ».

Pour lui, « le problème est là. Il y manque une approche neutre. Je pensais bêtement que c’était de l’information, mais sous couvert d’information, c’est de la propagande religieuse ». Ce qui en soi est tout à fait légitime, admet Claude Schwab, « simplement il faut annoncer la couleur ». Son auteur est « un théologien évangélique qui agit pour son propre compte ». Peut-on d’ailleurs faire tout seul un tel ouvrage?, se demande en outre le président d’Enbiro.

Poursuivant sur le contenu, Claude Schwab pense qu’il y a dans le livre des « thèses qui sont limites, parfaitement archaïques ». Ainsi l’auteur de La Bible pour les Nuls « attribue les 5 premiers livres de la Bible à Moïse, ce que la tradition a fait pendant des siècles, mais que la plupart des commentateurs nuancent aujourd’hui » Il poursuit en disant qu’on est en porte-à-faux par rapport aux introductions de la plupart des ouvrages faits par les gens du métier, comme la traduction en français courant ou la traduction oecuménique de la Bible. Il donne un autre exemple: « L’auteur arrive, et c’est très habile, à parler du 11 septembre comme s’il était prévu tel quel par l’Apocalypse! »

Des dogmes avancés comme des vérités

Ce que le pasteur vaudois trouve « curieux », entre autres remarques, ce sont « des espèces de dogmes, qui ne se présentent pas comme tels: Dieu est esprit, Dieu est omniprésent, Dieu est omnipotent, Jésus est divin, Jésus est homme, etc. ». Et puis, ajoute-t-il, « il y a comme par hasard autant de place pour le Diable que pour Dieu, ce qui dans la Bible n’est pas le cas. Les 10 conseils pour lire la Bible sont à mon avis orientés, de même que les références de littérature, qui sont par ailleurs assez chiches: on ne trouve même pas de références aux éditions françaises les plus répandues: Traduction oecuménique de la Bible, Français courant, Segond, Jérusalem ou Chouraki ».

Pour Claude Schwab, « on extrait un certain nombre d’énoncés attribués à la Bible, ce que l’on a effectivement fait pendant longtemps, mais ici, il n’y a aucune mise en perspective. Chez Enbiro, comme éditeur pour les écoles, on est obligés d’inscrire ce que cela signifie par exemple, pour les orthodoxes, ou pour les musulmans, etc. »

« Pour ma part », ajoute-t-il, je ne pourrais recommander La Bible pour les Nuls aux enseignants, parce que ça tomberait sous le coup de toutes les précautions légales et constitutionnelles sur le principe de neutralité confessionnelle à l’école ». Le président d’Enbiro caractérise l’ouvrage d’Eric Denimal de « évangélique de tendance fondamentaliste ». Pour lui, le livre est en somme « une publicité qui n’annonce pas la couleur, ni à quel public elle s’adresse ». Qui sont les Nuls, qui donnent leur titre à la collection?, se demande-t-il.

Encore un exemple. « Si on prend l’apôtre Paul, l’ouvrage lui attribue, comme le fait la tradition, 13 épîtres, alors que des spécialistes sont d’accord pour dire qu’il y en a 6 ou 7 qui sont authentiques et que les autres sont de l’école paulinienne ». C’est, pour Claude Schwab, une mécompréhension du mécanisme de production littéraire, qui fait que l’on prend tout à la lettre.

Du jardinage à la Bible en passant par le business

Quant au bibliste Jean-Bernard Livio, il a d’abord été étonné de voir dans une collection pour les internautes ou le jardinage un titre comme La Bible venir compléter la série, qui a abordé aussi des sujets comme la médecine ou le business. « Ce qui veut dire pour le bibliste que les responsables de la collection pensent qu’il y a un public suffisamment large pour s’intéresser à la Bible », lance-t-il. Ensuite, il constate que le style de la collection est le même, quels que soient les sujets. « Même mise en page, mêmes icônes, ça se parcourt dans tous les sens, donc agréable à lire ».

Maintenant, poursuit Jean-Bernard Livio, « c’est mon réflexe de bibliste peut-être de me demander: qui est l’auteur de cet ouvrage, d’où vient-il? Or il se trouve être quelqu’un des milieux évangéliques assez fondamentalistes, et qui cache mal derrière ce style très alerte ses options de fond ». D’où « une première réticence ». La deuxième étant pour notre interlocuteur que le livre garde un style très anglophone. « La collection est très américaine et ça se sent ».

Quant au fondamentalisme, ajoute-t-il, « c’est quand même gênant de se trouver face à des affirmations qui sont justement mises en question par des spécialistes. Exemple, le premier couple: Adam et Eve. Toute la question de la biologie, de l’évolution de l’être humain, tout cela est gommé: le monde a commencé par un coup de baguette magique du père éternel. Il y a eu un couple parental et puis tout descend de ce couple ».

Deux exemples parmi d’autres: les 5 ou 6’000 ans depuis la création du monde et le fait que ce serait Moïse qui a écrit les 5 premiers livres. Pour Jean-Bernard Livio, autant de choses qui passent bien, mais qui ne font que confirmer l’impression que la Bible est un peu à côté de la réalité d’aujourd’hui. « J’ai envie de dire que la critique la plus fondamentale que je fais aux fondamentalistes c’est qu’ils continuent de lire la Bible au premier degré ».

Je ne demanderai pas, continue-t-il, à un bouquin qui s’appelle Pour les Nuls d’entrer en matière sur les recherches, mais au moins de décoder le texte biblique, pour bien montrer qu’il est d’une actualité fantastique. « Alors que ça reste un peu comme nos livres d’images présentant la Bible dans le temps ». On est, avec la Bible, dit-il encore, devant une série de livres qui couvrent 1’100 ans d’âge, donc écrits dans des cultures différentes pour des publics différents, dans des langues différentes. Tout cela est un peu « monocolore » et c’est dommage, pour le bibliste.

« Etant moi-même un vulgarisateur, je suis déçu par cette approche simplificatrice. Ceux qui s’y connaissent un peu n’apprendront pas grand- chose. Quand au public qui se lancerait là-dedans, il risque d’être conforté dans son impression que la Bible est à côté des réalités d’aujourd’hui ».

Le point de vue plus nuancé d’une libraire

Aude Morisod, libraire au secteur religieux de la librairie St-Paul à Fribourg, est plus nuancée et reconnaît des qualités à la Bible pour les Nuls, souvent décriée par les biblistes. Ce qui la frappe dans l’ouvrage, c’est « la très grande simplification ». Il lui semble destiné à un public qui n’a jamais eu accès à une Bible. « Je pense que c’est un bon livre, qui présente un résumé de chaque livre de la Bible, car la Bible est une bibliothèque! »

« Evidemment il ne faut pas », lance-t-elle « que le souci de simplification soit si grand qu’on puisse lire la Bible comme une aventure ou comme faisant partie du patrimoine de l’humanité, sans que cela aille dans le sens d’une conversion ». Dans ce livre, « qui fait quand même 400 pages, écrites sur un mode accrocheur », la libraire estime que le point de vue de la foi est préservé. « Et en plus il y a une bonne dose d’humour ». Au premier abord, « j’ai cru », dit-elle, « que c’était un livre racoleur. Quand je vois qu’il rentre quand même dans une perspective de foi, c’est pour moi l’essentiel ».

La grande tradition biblique protestante

Elle ajoute: « L’auteur est protestant; il fait partie de cette grande école protestante à qui nous devons beaucoup, c’est-à-dire le parti pris de vraiment faire passer la Bible à Monsieur et Madame tout le monde. C’est le souci perpétuel de la Société biblique française, qui publie les bibles dans toutes les langues possibles et imaginables de la terre. Les protestants nous ont devancés, nous les catholiques, dans la publication de la Bible.

En matière de « vulgarisation bien faite », toutefois, Aude Morisod préfère La bible nouveau mode d’emploi, aux Editions « La société biblique française », récemment parue aussi, dont Jean-Claude Verrecchia, l’une des chevilles ouvrières de la Nouvelle Bible Segond, est l’auteur. « Si le lecteur a une quête intellectuelle et culturelle, il sera peut-être plus comblé avec un ouvrage de ce genre ». Revenant à La Bible pour les Nuls, la libraire a regardé plus précisément ce qu’Eric Denimal disait du Cantique des cantiques. « C’est très réducteur et c’est très dommage. Il aurait pu dire beaucoup plus et beaucoup plus profond ». (apic/vb)

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