Apic Interview
Mgr Julien Andavo Mbia, ancien étudiant de l’Université de Fribourg
Jacques Berset, agence Apic
Fribourg/Isiro-Niangara, 4 octobre 2004 (Apic) La République démocratique du Congo (RDC), rendue exsangue par une guerre marquée par l’implication de nombreux Etats voisins, est sur la voie de la pacification, souligne Mgr Julien Andavo Mbia, ancien étudiant de l’Université de Fribourg. L’Eglise participe à la formation des citoyens en vue des prochaines élections de l’été prochain.
La RDC se prépare en effet à élire ses nouvelles autorités suite aux accords signés à Pretoria et à Sun City par le gouvernement de Kinshasa et les forces d’opposition en 2002 et 2003. « Toutes les forces qui étaient en guerre les unes contre les autres forment maintenant un gouvernement de coalition à Kinshasa, sous la présidence de Joseph Kabila », explique Mgr Andavo Mbia, évêque d’Isiro-Niangara. La guerre et ses conséquences – notamment le déplacement et la fuite des populations civiles – a fait près de 2,5 millions de morts en RDC, victimes principalement de la faim, du manque de soins et des maladies.
Depuis février 2004, considérant les enjeux de la transition mise en place par les signataires de « l’Accord global et inclusif » de 2003, les membres de la Conférence épiscopale nationale du Congo/Kinshasa, la Cenco, ont élaboré un programme d’éducation civique. Le but est de préparer les populations aux élections prévues durant l’été 2005.
« Malgré les lenteurs et les difficultés, on assiste à un jeu de réunification, et le pays reconstitue son unité territoriale. Désormais, on circule à nouveau d’un bout à l’autre du pays et l’on veut engager rebelles et militaires gouvernementaux dans une seule armée nationale ». Certes, admet l’évêque congolais, cette décision théorique n’est pas encore tout à fait entrée dans les faits.
Apic: Cela signifie-t-il qu’il y a toujours des rebelles combattant en RDC ?
Mgr Andavo Mbia: En principe pas. L’Accord précise qu’il faut d’abord démobiliser les enfants soldats – ce qui a été fait, grâce notamment à des ONG humanitaires locales – ainsi que les soldats incorporés sans formation militaire. Il est prévu qu’ils apprennent un métier pour pouvoir réintégrer la vie civile. Il s’agit d’un processus en cours. Là, l’Eglise n’intervient pas directement, mais elle est présente par le biais d’ONG proches.
Lors de la dernière assemblée plénière de la Conférence épiscopale du Congo, réunie à Kinshasa, nous avons décidé de nous mettre au service du pays en servant civiquement et électoralement la population. En principe, dans les grands doyennés, sous l’égide de la Commission diocésaine « Justice et Paix », on doit d’abord former les formateurs sur les droits humains, les droits et devoirs du citoyen, de façon à préparer les citoyens aux élections.
Apic: N’est-ce pas là une tâche de l’Etat ?
Mgr Andavo Mbia: Pour le moment, l’Etat est impuissant, car il est en pleine reconstruction sous l’égide du gouvernement d’union nationale. Ce que fait l’Eglise, c’est donner un coup de pouce, car le processus de réunification des diverses forces se fait avec beaucoup de lenteur et beaucoup de doute. Certains aimeraient que le processus échoue ou s’engagent à reculons.
Apic: Dans certaines régions, il n’y a, semble-t-il, plus que l’Eglise qui fonctionne.
Mgr Andavo Mbia: C’est un fait. Pendant la rébellion, et même avant, l’Eglise était souvent la seule institution qui fonctionnait et suppléait sur le plan sanitaire ou scolaire. Nous avons des postes de santé, des centres de soins médicaux, voire des hôpitaux. L’Eglise assume ces tâches, car elle ne doit pas seulement s’occuper de la santé spirituelle de ses fidèles alors qu’ils manquent de tout.
L’Eglise se positionne maintenant pour former les gens, éveiller les consciences. De façon à ce que ceux qui ont été à l’origine du martyre de la population, qui ont pris les armes pour arriver au pouvoir, en soient écartés. Parmi ces gens, on en trouve qui nous ont fait du mal, qui ont pillé, brûlé, voire tué. On ne veut absolument pas le retour des bandits armés. Beaucoup prônent plutôt – et je suis de ces gens là – la voie proposée par le mouvement « Vérité et Réconciliation » en Afrique du Sud.
Que ceux qui ont trempé dans le mal sachent qu’ils doivent le reconnaître et s’amender. L’impunité ne doit simplement pas prévaloir. Si des gens aux mains pleines de sang se présentent aux prochaines élections, ils vont certainement échouer, car la population est consciente. Mais ces gens qui n’avaient pas de mérite, seulement des armes, vont-ils accepter leur défaite?
Des fidèles de notre diocèse sont morts en partie à cause des confrontations entre les bandes armées, mais surtout suite en conséquence des combats. La plupart des victimes ont été causées par la fuite dans la forêt, la faim, le manque de soins. D’autres diocèses ont bien plus souffert que nous.
Apic: Votre diocèse n’a pas été occupé par les Rwandais ?
Mgr Andavo Mbia: Les Rwandais n’étaient pas de ce côté, mais plus au Sud. Sauf peut-être quelques éléments qui se trouvaient dans la troupe de Jean- Pierre Bemba, leader du Mouvement de Libération du Congo (MLC), l’une des factions rebelles. Bemba est d’ailleurs aujourd’hui l’un des 4 vice- présidents du gouvernement de transition.
Jusqu’à très récemment, il y avait encore parmi les commandants de ces rebelles, des banyamulenge, des tutsis congolais. Ceux que l’on voyait à Isiro, c’étaient plutôt les Ougandais. Ces derniers étaient déjà partis quand je suis arrivé en 2003. Il ne restait à Isiro même que les rebelles du RCD-National (Rassemblement Congolais pour la Démocratie).
Notre diocèse, qui s’étend jusqu’à la frontière soudanaise, n’est pas celui qui a souffert le plus. Davantage que les combats, c’est la fuite des populations civiles qui a coûté la vie à de nombreuses personnes. Les effets négatifs se poursuivent, mais il vrai que nous avons eu moins de morts par exemple qu’à Kisangani ou à Goma.
Apic: Dans la pratique, la guerre est finie, du moins dans votre diocèse.
Mgr Andavo Mbia: Isiro a accueilli les déplacés de Bunia et de l’Ituri, où il y a toujours quelques combats sporadiques entre les populations Hema et Lendu. Nous avons donné comme mot d’ordre que ces luttes fratricides ne soient pas importées dans notre diocèse. Nous avons accueilli tous les réfugiés, avec pour consigne de ne pas prendre partie dans le conflit interethnique et d’aider à la pacification.
Actuellement, dans notre diocèse, il n’y a en principe plus de barrages militaires. Il reste cependant des éléments armés de la SPLA (Armée de Libération du Peuple Soudanais) infiltrés depuis le Soudan, des rebelles de John Garang, qui se trouvent notamment dans le parc de la Garamba. Quand on envoie la nouvelle armée congolaise pour garder la frontière, elle n’a pas les moyens de le faire, alors elle se paie, elle aussi, sur la population locale. Cela fait encore problème, car si les soldats (officiels) finissent par être payés, c’est très irrégulièrement.
Il faut avouer que si l’on a décrété l’unification de l’armée, elle reste encore bien théorique: selon les endroits, c’est telle ou telle faction qui domine sur le terrain. On assiste à une sorte de balkanisation, même si avec l’arrivée de soldats venus d’ailleurs, la situation s’améliore.
Dans le cadre de la préparation des élections, ceux qui ont trempé dans la violence n’ont évidemment pas notre faveur. Il y a des leaders politiques formés et capables de diriger qui n’ont pas pris les armes. C’est certain qu’ils ont notre faveur. JB
Encadré
La Conférence épiscopale prépare les élections
Depuis février 2004, considérant les enjeux de la transition mise en place par les signataires de l’Accord global et inclusif de 2003, les membres de la Conférence épiscopale nationale du Congo/Kinshasa ont élaboré un programme d’éducation civique. Le but est de préparer les populations aux élections congolaises prévues pour l’été 2005. JB
Encadré
Un évêque originaire du nord-est de la République démocratique du Congo
Mgr Julien Andavo Mbia a été nommé évêque d’Isiro-Niangara par le pape Jean Paul II en décembre 2002 et ordonné le 19 mars 2003. Le diocèse, situé au nord-est de la République démocratique du Congo, non loin de la zone de guerre de l’Ituri, était vacant depuis avril 2001, suite au transfert de Mgr Charles Mbogha Kambale sur le siège métropolitain de Bukavu.
Mgr Andavo Mbia était à l’époque de sa nomination recteur du séminaire de philosophie interdiocésain à Kisangani, après avoir été professeur de théologie morale au séminaire de Bunia. Le nouvel évêque est né le 5 septembre 1950 à Faradje, dans le diocèse d’Isiro-Niangara. Après sa licence en théologie de l’Université catholique de Kinshasa, il a poursuivi ses études à Fribourg (Suisse), où il a obtenu un doctorat en théologie morale sur l’accueil et le don de la vie en Afrique noire. Ordonné prêtre en août 1979, il a notamment été boursier de l’Université catholique de Kinshasa, avant d’être également boursier de l’Oeuvre St- Justin à Fribourg.
Le diocèse, suffragant de Kisangani, est près de deux fois plus grand que la Suisse (60’000 km2) et compte quelque 830’000 habitants, dont 525’000 catholiques. Les fidèles, répartis dans 21 paroisses, sont desservis par une centaine de prêtres, dont un tiers de religieux. Ils sont épaulés par une quarantaine de frères et près de 175 religieuses. A Isiro se trouve le sanctuaire national de Soeur Marie-Clémentine Anuarite Nengapeta, une jeune religieuse de la congrégation des Soeurs de la Sainte Famille d’Isiro-Wamba assassinée par les rebelles Simbas. Elle a été béatifiée, à Kinshasa, en 1985, par le pape Jean Paul II. Le sanctuaire attire une foule de pèlerins toute l’année. JB
(*) Ancien boursier de l’Oeuvre St-Justin et étudiant à l’Université, Mgr Julien Andavo Mbia a quitté Fribourg en 1995. Après une carrière de professeur de théologie et de recteur, il est depuis mars 2003 évêque d’Isiro-Niangara, son diocèse d’origine. (apic/be)
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